Profitant du retrait progressif des troupes américaines décidé par le président Joe Biden, les Talibans ont rapidement repris de la vigueur et menacent désormais la capitale du pays, Kaboul. Parmi les membres de l’équipe chargée par le gouvernement de négocier avec les islamistes, Fatima Gailani, présidente de la Croix Rouge. Aristocrate pachtoune, c’est une monarchiste convaincue appartenant à une famille qui a donné diverses figures importantes à l’institution royale et à la résistance contre les islamistes. Face au chaos ambiant, certaines voix s’élèvent, timidement, pour réclamer le retour de la monarchie abolie par un coup d’état prosoviétique en 1973.
C’est la surprise du gouvernement afghan. Parmi les négociateurs chargés de signer un accord de paix avec les Talibans dont l’armée menace désormais Kaboul, la capitale d’un pays ravagé par des années de guerre contre les soviétiques et une succession de conflits inter-ethniques, se trouve Fatima Gailani. Actuelle présidente de la Croix rouge et fille de Pir Ahmad Sayed Gailani (1932-2017), le fondateur du Nahzat-e Hambastagi-ye Melli-ye Afghanistan (MSNA), un mouvement qui réclame le retour à la monarchie abolie en 1973 par un coup d’état prosoviétique, cette septuagénaire est une figure soufi, incontournable de la politique afghane. Une participation à la fois symbolique, vis-à-vis des Talibans qui prônent la burqa aux femmes, et politique en raison de ses convictions. La monarchie est-elle aujourd’hui une option à envisager pour l’Afghanistan ?
Ce n’est pas la première fois que ce sujet est évoqué par différents mouvements. Lorsqu’en décembre 2001, différentes délégations se sont réunies afin de débuter les premiers pourparlers de paix pour l’avenir de l’Afghanistan, les royalistes (délégation de Rome ou Groupe du roi ) avaient été invités à participer aux débats. Contre toute attente, ils avaient réussi à imposer une Loya Jirga (assemblée tribale) sous la houlette du roi Zaher Shah (1914-2007), dernier monarque d’Afghanistan considéré comme un arbitre naturel. Bien que l’ensemble des clans tribaux soient tombés d’accords pour donner un rôle de dirigeant au souverain déchu, en dépit de ce choix, les américains sont finalement intervenus et ont préféré donner la présidence à un politicien plus docile, réduisant les monarchistes au rang d’opposants mineurs (15 députés sur 370 élus). « Quelle que soit la décision du peuple afghan, nous l'accepterons. De toute évidence, le temps des monarchies est révolu et il est pour l'instant difficile d’entrevoir son retour. Cependant, si la majorité des Afghans exigent un rôle pour un roi en tant que symbole [unificateur], alors je soutiendrai ce rôle » avait déclaré Pir Ahmad Sayed Gailani de son vivant.
Face au chaos ambiant, l’idée d’une restauration de la monarchie constitutionnelle a depuis refait timidement son chemin dans le pays. Bien qu’elle ne soit toujours pas majoritaire, elle reste un symbole de liberté et de réconciliation nationale pour beaucoup d’afghans, « nostalgiques d’une ère où les femmes étaient libres comme en Iran » comme le rappelle régulièrement Fatima Gailani dans ses interviews. Pour les partisans du roi, l’actuel prétendant au trône, Ahmad Shah (64 ans) reste la meilleure option consensuelle mais fermement rejetée par les Talibans qui n’y voient que l’image d’un passé moyen-âgeux. « C’est pourtant un symbole qui unira car force est de constater que les afghans n’ont jamais apprécié le régime de la charia imposée par les talibans. Nous savons ce qu’un roi peut apporter au pays, ligne qui sépare gouvernement et religion » affirme Wahab Raofi, éditorialiste au Foreign Policy Journal et qui avait publié en 2018 un long manifeste en ce sens. « Quand j’étais journaliste indépendant et je me suis rendu à Rome pour interviewer le roi, qui y était en exil. J'ai rencontré des intellectuels, des chefs de tribus influents et des commandants de milice d'Afghanistan, ainsi que des dignitaires étrangers, qui étaient tous venus en Italie pour exprimer leur soutien au retour du roi à la tête d'une monarchie constitutionnelle ravivée » poursuit-il. Selon lui, les talibans auraient pu soutenir cette option s’ils n’avaient pas été de facto exclus des premières négociations pour avoir osé soutenir le terroriste Omar Ben Laden. Leader du mouvement d'Al Qaïda, il avait organisé l’attentat du World Trade center qui a fait des milliers de victimes, le 11 septembre 2001. Une tragédie qui a provoqué le débarquement des Forces armées américaines et alliées dans le pays. Une stratégie mise en place par Washington, aujourd’hui un échec.
Une monarchie serait-elle bien accueillie par les différentes tribus d'Afghanistan ? « Je pense que oui, du moins en partie parce qu'il est évident que les élections présidentielles ont toute échoué » assure Wahab Raofi. Un point de vue qui a été partagé d’ailleurs, dans la première décennie des années 2000 par le Général Petraeus, commandant de la coalition comme l’affirmait un article du Golf News. « Puisque tout ce que nous avons essayé n’a pas marché, cela vaut peut-être la peine d’y songer » répète à qui veut l’entendre Wahab Raofi et qui pointe aussi le fait que les Talibans sont aussi issus du clan pachtoun. Une idée pourtant loin de faire consensus. Ancien dirigeant de l’Agence de Protection nationale de l’environnement, le prince Ahmad Shah ne prend jamais la parole et reste assez méconnu de ses compatriotes pris en étau dans le jeu tribal et international. Fait chevalier de la Grande Croix honoraire par la Reine Elizabeth II en 2007, on estime à 10% le soutien d’un retour à la monarchie par les afghans.
Le mouvement monarchiste est dirigé Sayed Hamed Gailani, également vice-président de la Meshrano Jirga (Chambre du Sénat). En 2018, lors de l'élection présidentelle, ils avaient scellé une alliance avec le mouvement de la Grande assemblée de l‘Unité nationale, vaste coalition composée de partisans de l’ancien commandant Ahmed Shah Massoud et des islamistes dirigés par l’ancien premier ministre Gulbuddin Hekmatyar. Les Gailani ont occupé des postes gouvernementaux et de députés jusqu’en 2015. Pour Fatima Gailani, le temps de la réconciliation est venu avec un partage équitable du pouvoir. Avec ou sans roi à sa tête.
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