C’est une île du Chili, isolée dans le Nord-Est de l’Océan et entourée de mystères. Rapa Nui, nom polynésien de l’île de Pâques, est une monarchie dont le trône est vacant depuis 2017, date à laquelle est décédé son dernier souverain, Valentino Riroroko Tuki, à l‘âge de 85 ans. Monarque méconnu dont le couronnement avait été aussi symbolique que politique, il n’a jamais été reconnu par le gouvernement chilien qui a obtenu la possession de l’île dans des conditions controversées. Population réduite en esclavage, dotée d'un roi français tyrannique, un culte de l’oiseau mis à mal par le christianisme, de cette histoire fascinante Valentino Riroroko Tuki en jetait un regard amer. Toute sa vie, il luttera pour l’indépendance pascuane et réclamera en vain le retour du Hoa Hakananai'a, un moaï (statue) monumental exposée au British Museum dont les origines alimentent encore tous les fantasmes et toutes les théories.
Elle a été découverte un dimanche de Pâques 1722 et immédiatement baptisée de cette fête sainte. Rapa Nui, son nom polynésien, a été rapidement colonisée et en dépit d’un environnement hostile, a su développer une civilisation prospère, écologique, marquée par l’érection de centaines de moaï, ces statues gigantesques, source de mystères pour bon nombre de scientifiques et d’historiens. Divisée en divers clans, la monarchie a pourtant rapidement périclité, sombrant dans de violentes guerres civiles ou victime des exactions des péruviens, venus enlever les indigènes pour les réduire en esclavage. Ceux qui revinrent des champs de guano ramenèrent avec eux des maladies, jusque-là inconnues et qui achevèrent de réduire une population démographique déjà en déclin, laissant derrière elle bien des enigmes comme l’écriture rongo-rongo dont les derniers dépositaires décédèrent en 1862.
Au cours du XIXème siècle, l’île de Pâques est l’objet d’une intense activité digne des aventures patagonnes d’Antoine-Orélie de Tounens. Marin peu sympathique, il avait laissé femme et enfant pour vivre ses aventures, Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier se réfugie en 1867 sur ce territoire et devient un objet de fascination pour les rapanuis. Escroc, vendeur darmes, l’homme comprend rapidement qu’il peut se tailler un royaume en bernant les habitants de l’ile priés par le gouvernement péruvien de bien vouloir céder 94% de leurs terres aux fermiers sud-américains pour leurs élevages de moutons. Une aubaine pour ce natif du département de la Vienne qui introduit « huit mille quatre cents moutons, cent cinquante bœufs et une vingtaine de chevaux » sur une île déboisée à outrance.
Accusé d’avoir spolié des terres aux rapanuis, il arrive à convaincre le roi Kai Mako'i 'Iti de se soulever et de rejeter le christianisme au profit de ses croyances traditionnelles. Aidé de quelques mercenaires et locaux armés de fusils, la reconquête ne sera guère difficile. Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier fait chasser les missionnaires français installés et s’octroie le titre de gouverneur à vie de l’île. Sans aucune légitimité. Kai Mako'i 'Iti n’aura pas le retour escompté de son protecteur. Il sera envoyé en esclavage. Le nouveau « roi » est tyrannique, sans scrupules, verse même dans le rapt d’adolescentes pré-pubères avant de connaître finalement un sort funeste. En 1876, Dutrou-Bornier est l’objet d’un assassinat ou d’une chute de cheval, les avis divergent sur la mort de ce jeune quadragénaire loué par certains, détesté par d’autres. La mort de Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier permet le retour des missionnaires qui s’empressent de renommer un souverain parmi les membres du clan royal, Atamu Tekena. L’ile a perdu plus de 90% du reste de sa population et techniquement il a un concurrent en la personne d’Alexander Ariʻipaea Vehiaitipare Salmon Junior, apparenté à la maison royale de Tahiti, détenteur des droits agricoles de Dutrou-Bornier. En 1887, le Chili envoie une délégation négocier le rachat de l’élevage de mouton du roi défunt et de facto s'emparer de l’île. Le traité, qui sera signé entre le roi Atamu Tekena et les chiliens, reste ambigu. Dans sa version Rapanui, on évoque un protectorat, dans sa version espagnole une annexion pure et simple. Lorsqu’il meurt en 1892, les clans élisent alors Siméon Timeone Riro ʻa Kāinga Rokoroko He Tau à la tête d’une monarchie qui n’a plus de régalia et peuplée d’une centaine de personnes. Ironie de l’histoire, son père avait été un des plus fidèles partisans de Jean-Baptiste Onésime Dutrou-Bornier. Il tente de fédérer les clans et nomme même son opposant au trône, Enrique Ika a Tuʻu Hati, au poste de premier ministre. Une indépendance retrouvée mais de courte durée entre 1896 et 1897 avant que les chiliens ne finissent par intervenir.
Donnée en gestion à une compagnie, la Sociedad Ovejera Merlet & Cia, ses propriétaires vont agir en véritables potentats, interdisant même le drapeau rapanui et leur langue. Les tensions avec le roi vont s’accroître tant et si bien que Siméon Timeone Riro ʻa Kāinga Rokoroko He Tau demande aux chiliens de trancher le litige. Ignorant les avertissements de ses conseillers, le souverain partira à Valparaiso dont il ne reviendra jamais. Il décède dans des conditions mystérieuses au cours d’une beuverie. Enrique Ika a Tuʻu Hati lui succédera de 1900 à 1901 puis Moisés Jacob Tu‘u Hereveri jusqu’en 1902 mais ni l’un ni l’autre ne seront reconnus par les chiliens qui finissent par abolir cette monarchie trop rebelle.
Devenue réserve, seuls 6% de l’île reste la propriété des rapanuis devenus étrangers sur leur propre territoire et qui sera sous le contrôle de la Marine chilienne jusqu’en 1966, date à laquelle ils obtiennent enfin une citoyenneté à part entière. La résurgence progressive de l’identité pascuane et l’apparition d’un mouvement indépendantiste permet aux rapanuis de reprendre progressivement le contrôle de l’île de Pâques. En 2011, le gouvernement chilien apprend par la presse que les descendants des premiers polynésiens se sont dotés d’un nouveau roi. Pécheur, père de 8 enfants, .Valentino Riroroko est le petit-fils de Siméon Timeone Riro ʻa Kāinga Rokoroko. Le couronnement a été modeste. 60 personnes réunies sur la Plaza de la Gobernación lui ont remis son manteau de sacre et sa couronne de plume. « Je dois annuler le traité de 1888 signé par Atamu Tekana. À cause du traité, tant de mauvaises choses se sont produites sur l'île. Nous avions moins de droits que les animaux.. Si un roi a signé ce traité, un roi se chargera de l'annuler. C'est la raison pour laquelle je suis là » affirme t-il. Le Chili ne reconnaît pas ce monarque qui réclame désormais une indemnisation de 175 milliards de pesos en compensation de l'utilisation de la terre et des animaux, ainsi que pour l'enlèvement de plus de 10 000 pièces archéologiques ancestrales. Le British Museum en fera les frais. Valentino Riroroko exigera de Londres qu’elle lui restitue son célèbre moaï célébrant le culte de l’oiseau et enlevé de l’île par les anglais en 1869 à la demande expresse des missionnaires français agacés par cette religion païenne qui perdurait. En vain.
Il a toujours regardé le passé avec amertume. « Nous n'avions rien. Ni animaux ni eau. Les femmes devaient parcourir plusieurs kilomètres pour trouver de l'eau aux pieds du volcan Orongo. Nous ne pouvions pas non plus pêcher » raconte-t-il. Lui est revenu s’installer sur la terre de ses ancêtres dont il est le 88ème légitime souverain. Il est reconnu par les habitants qui le saluent mais la nouvelle génération l’ignore. Seul succès, le retour en grand pompe du corps du roi Atamu Tekena en 2006. « Je ne me suis jamais senti chilien ! Comment le pourrais-je alors que cet état nous a massacré ? Aujourd'hui, nous voulons que le Chili parte. Le Chili n'a jamais aidé cette terre. Depuis l'époque du roi Hotu Matua jusqu'à aujourd'hui, nous avons toujours vécu à Hanga Roa. Nous nous battrons pour récupérer la terre qui appartient ancestralement à chaque clan » disait de sa voix rauque, celui qui s’imaginait un jour en homme libre. Un rêve qui s’est finalement éteint avec lui le 29 juillet 2017 à l’âge de 85 ans. Depuis, le trône reste vacant et ses 7750 habitants attendent le retour d’un monarque, un roi-oiseau qui saura redonner ses lettres de noblesse à une île entourée de questions restées sans réponses. Aujourd’hui encore, il est toujours interdit d’appeler l’île de Pâques de son vrai nom, Rapa Nui.
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