« Il est temps que le Canada ait son premier Gouverneur-Général autochtone ». La démission fracassante de Julie Payette de son poste de Gouverneur-Générale du Canada continue toujours d’alimenter les colonnes de la presse locale et britannique alors qu’on lui cherche désormais un (e) successeur. Chef Okimaw Vernon Watchmake, qui dirige la Confédération indienne du Traité des Six-nations iroquoises, a décidé de prendre sa plume et a adressé un long plaidoyer à la « Grande mère blanche », la Reine Elizabeth II. Réclamant son intervention directe dans cette affaire qui secoue le pays de l’érable, les représentants des Six-Nations indiennes du Canada ont également plaidé pour que leur souveraine désigne légitimement un des leurs à la tête de cette partie d’Amérique du Nord. Si le palais royal a bien accusé réception de cette demande inattendue, il n’en a pas moins douché les espoirs des Six-Nations divisées sur le sujet.
Le 27 janvier dernier, la Confédération indienne du Traité des Six-Nations iroquoises a décidé d’écrire à la reine Elizabeth II, exprimant son inquiétude après la démission de la représentante du monarque - l'ancienne astronaute Julie Payette - six jours auparavant et après qu'une enquête ait révélé un climat « toxique » à Rideau Hall mis en place par la Gouverneur-Générale du Canada. C’est la première fois que les nations indiennes s’adressent aussi directement à « Queen Elizabeth II » afin de réclamer son intervention dans ce débat qui agite le pays. Désigné en 2021 à la tête de la Confédération, le Chef Okimaw Vernon Watchmake a rappelé que la nomination de Richard Wagner, le juge en chef de la Cour suprême du Canada, devait être temporaire afin de ne pas menacer la stabilité institutionnelle, un nouveau Gouverneur-Général accrédité dans les meilleurs délais. « La nomination juge en chef de la Cour suprême du Canada, en tant que « suppléant », ne nous rassure pas » a précisé le Chef Okimaw Vernon Watchmake à «Sa Majesté la Reine». « Plusieurs fois, nos nations ont été impliquées dans des litiges qui ont abouti devant la Cour suprême » fait remarquer la Confédération des Six-nations qui exige que « les peuples des traités soient impliqués dans le processus » de nomination au poste de Gouverneur-Général. « Nous sommes partenaires de la Couronne et il est important que notre voix soit entendue dans le processus de nomination du prochain Gouverneur-Général » ose rappeler le représentant des Six-Nations à Elizabeth II.
« Nous avons reçu nos terres du Grand Esprit, et nous ne reconnaissons aucun maître, ni Anglais ni Français ». Mohawk, Cayuga, Onondaga, Oneida, Sénéca et Tuscarora sont autant de tribus indiennes qui composent actuellent la nation iroquoise, forte aujourd’hui de 45000 âmes au Canada. C’est en 1603 que les français rencontrent pour la première fois cette ligue, un des plus puissantes d’Amérique du Nord, en guerre contre la Confédération des Hurons et les Adirondacks. Lors de la guerre de Sept ans (1756-1763), les iroquois décident d’apporter leur soutien aux britanniques qui s'empressent de rémunèrer tout scalp («onantsira ») rapporté pour motiver ces indiens dont la brutalité est crainte des français de la Nouvelle-France. Ne pouvant accéder à de nouvelles sources de castors, un commerce juteux que se disputaient indiens et européens, les iroquois avaient déterré la hache de guerre en 1697 et attaqué le village de Lachine. Un véritable massacre, plus de 200 européens, femmes et enfants, furent tués ou enlevés. Cette guerre entre indiens et européens, d'où va sortir la célèbre figure du marquis Louis Joseph de Montcalm-Gozon, sera d’ailleurs illustrée dans le roman intitulé « Le dernier des Mohicans » de James Fenimore Cooper. Paru en 1826, les studios d’Hollywood adapteront cette fresque historique avec succès sur grand écran. Lors de la guerre d’indépendance américaine, c’est encore aux côtés des Tuniques rouges que les iroquois se retrouvent à combattre. A la défaite des anglais, le mohawk Thayendanegea (ou « Monster » Joseph Brant) réussi à négocier que les Six-Nations obtiennent des territoires où ils pourront vaquer à leurs affaires en toute indépendance. Ce seront les terres de Grant River où leurs descendants y vivent encore. L’homme, bien qu’accusé de nombreux crimes de guerre (une question qui divise encore les historiens) avec sa compagnie de volontaires éponymes, est aussi connu pour avoir eu une trentaine d’esclaves blancs et noirs, « une pratique indienne normale » s’était d’ailleurs justifié en son temps le leader indien au gouvernement qui lui avait demandé des explications. Il passera son temps à unifier les nations indiennes, auréolé d'autres faits d'armes et sera même reçu par le roi George III ou encore Georges Washington. Sa mémoire est encore révérée de nos jours et le Canada lui a érigé de nombreuses statues.
« Il est temps que le Canada ait son premier gouverneur général autochtone» a déclaré le chef national de l'Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, le 28 janvier. Avant d’ajouter : « J’ai toujours dit que nous devions amener les peuples des Premières Nations aux plus hauts niveaux de pouvoir décisionnel et d’influence et le Gouverneur-Général, pour moi, est l’un des plus élevés ». « Lorsque les nouveaux arrivants sont arrivés sur nos terres il y a des années, nous sommes la première relation que les sujets de la reine ont établi au Canada », a renchéri le chef de la Fédération des nations autochtones souveraines de la Saskatchewan dans un communiqué de presse. « En tant que représentant de la Couronne, il est important que nous profitions de cette occasion pour honorer l'histoire de cette amitié» a déclaré Bobby Cameron. Pour les Six-nations, il est désormais important que le poste de Gouverneur-Général revienne à un indien et que le Royaume-Uni respecte les traités conclus avec eux. « Lorsque le représentant de la reine Victoria a approché nos peuples pour conclure un traité, nos ancêtres ont accepté dans la paix et l'amitié. Nous continuons de considérer ces traités comme des engagements sacrés » précise d’ailleurs le communiqué officiel de la Conféderation des Six-nations.
Cela fait-il pour autant l’unanimité chez les Six-nations ? Dans un tweet, l’écrivain et journaliste indienne, Tanya Talaga, a également expliqué que « le simple fait de nommer une personne autochtone à ce poste ne réglerait pas vraiment les causes profondes du colonialisme et des inégalités qui persistent dans le pays aujourd'hui. Cela ne signifierait aucunement la réconciliation entre nos nations, cela ne voudrait simplement rien dire » a surenchéri cette lauréate de littérature. «Comment une personne autochtone pourrait-elle représenter la Couronne alors que nous nous battons encore pour la reconnaisseance de nos droits humains fondamentaux ? Y compris le respect des traités » a posé comme question Tanya Talaga, renvoyant dos à dos les Six-nations et la couronne britannique. «Le Gouverneur- Général est un représentant de la Couronne, qui est censé faire part des préoccupations des partenaires du traité à la Couronne», a tweeté Robe Houle, membre de la Première nation Wapsewsipi en Alberta, le 22 janvier. « Cette personne doit-elle être autochtone, probablement pas. Ils représentent la Couronne, pas les peuples autochtones » ajoute-il, un brin agacé
Un faux débat puisque depuis de nombreuses années différents indiens ont été nommés à des postes importants comme encore récemment en 2007, le skowkale Steve Point nommé Lieutenant-général de la Colombie britannique. Ou encore le Tobique Graydon Nicholas à celui du Nouveau Brunswick deux ans plus tard. Des espoirs qui ont été douchés par le Conseil privé de la Reine qui a répondu au Chef Okimaw Vernon Watchmake. « Les rôles du juge en chef et du gouverneur général restent distincts et il conserve une totale indépendance dans l’exercice de ses fonctions judiciaires », selon la porte-parole du Conseil privé. « Même lorsque le poste de gouverneur- Général n'est pas vacant », a ajouté Béatrice Fénelon. « Les juges de la Cour suprême sont appelés de temps à autre à exercer des fonctions de députés du gouverneur général, et ce sans compromettre leur indépendance judiciaire » explique le Conseil privé qui oppose ici une fin de non–recevoir aux Six-Nations dans leur demande d’obtenir ce poste désormais tant convoité.
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