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Pinedo, el rey de Bolivia

« El último rey de América ! » C’est une maison royale méconnue mais qui pourtant bénéficie d’un statut officiel au sein de l'État plurinational de Bolivie.  Depuis le 18 avril 1992, le roi Julio Pinedo y Pinedo règne sur une communauté de descendants d’esclaves noirs, forte de 22 000 personnes. Une dynastie qui ne revendique aucun trône vacant mais qui entend perpétuer la mémoire d’une histoire troublée. Qui est donc ce dernier « rey negro » encore en exercice et qui vit au cœur de la jungle sud-américaine ?

10 3Le gouvernement bolivien a reconnu cette monarchie atypique en 2007. Ancienne possession de l’empire Inca, la Bolivie en devenir s’appellera « Haut- Pérou » durant la colonisation espagnole. Elle doit son nom actuel à un homme qui aura marqué le XIXème siècle sud-américain, Simon Bolivar. La communauté afro-bolivienne tire ses origines principalement d’Angola et du Congo. Vendus par des chefs africains, ravis de se débarrasser de leurs ennemis, aux espagnols qui prennent bien soin de ne pas pénétrer au cœur de cette Afrique objet de tous les fantasmes de l’époque, les voyages de ces esclaves vers le « Haut-Pérou » sera l’un des pires du commerce triangulaire. Plantations, mines d’argent, domestiques de maisons, la communauté noire de Bolivie va essaimer et se doter d’un monarque. Et c’est un vrai prince qui va occuper ce trône atypique. Le prince kikongo Uchido impressionne par sa stature d’albâtre. Débarqué en 1820, il est envoyé dans l’hacienda du marquis de Pinedo dont il prend le nom comme le veut la loi. Aussi incroyable que cela puisse paraître, comme le raconte les annales de la maison royale, il est reconnu par les autres esclaves qui se baissent à son passage. Entre deux claquements de fouets des contremaîtres qui font peu de cas de cette altesse royale. C’est dans le plus grand secret qu’il est couronné en 1832. La légende raconte même que son père, ayant été averti,  lui aurait envoyé les regalia de son pouvoir. La dynastie Pinedo est née.

C’est aujourd’hui une des rares maisons royales héréditaire encore régnante en Amérique du Sud. Et à La Paz, la capitale de la Bolivie, on prend les choses très au sérieux. Julio Pinedo y Pinedo réside à Mururata dans la région luxuriante de Los Yungas. Inutile de chercher un palais, le souverain réside dans une simple maison qui fait aussi office de supermarché local nous indique le journal « El Pais », venu en 2016, à la rencontre de cet «último rey de América ». Il ne porte pas de couronne, de cape, tout l’attirail royal est rangé dans un placard et sorti uniquement lors de grandes occasions.  Julio Pinedo y Pinedo sert lui-même le café aux visiteurs de passage. Et aime à raconter son histoire de famille, digne des meilleures productions américaines du genre. Il évoque la mémoire du roi Bonifacio, son grand-père, qui a connu l’esclavage. « Il nous aimait beaucoup mais était très strict » raconte-t-il. Son propre couronnement a fait l’objet d’articles divers et variés. En 1992, la Bolivie a un nouveau roi et l’ignore totalement. La république bolivarienne est plus préoccupée par le « mariage de la carpe et du lapin » opéré par le socialiste Jaime Paz Zamora et de l’ancien dictateur Hugo Banzer Suárez. Un général dont la photo officielle le fait sortir tout droit d’une bande dessinée de Spirou et Fantasio » tant il ressemble au fameux « Zantas, autocrate à vie de Palombie ». Il faut attendre l’arrivée au pouvoir de l’amérindien Evo Morales pour que le roi Julio Ier soit enfin reconnu.

Un premier statut officiel en 2007 et deux ans plus tard, la reconnaissance des afro-boliviens comme une communauté à part entière de la république. Jusqu’en 1952, date à laquelle le pays connaît sa « révolution nationale », les descendants des esclaves noirs vivaient dans des conditions quasi féodales. Bonifacio Pinedo, arrière-arrière-petit-fils d’Uchido, était lui-même la victime de racisme et de ségrégation raciale comme l’explique le roi Julio. Le temps s’est figé pour des décennies dans cette partie reculée de l’Amérique du Sud.  En 2018, la réalisatrice Paola Gosalvez a réalisé un documentaire, « El Rey negro », sur la vie de ce roi-paysan qui marche d’un pas taciturne sur ses terres, dont personne ne connaît véritablement les frontières. 8 ans de travail intense pour présenter celui qui a renoué avec ses ancêtres en Afrique, lors d’un voyage médiatisé. Orphelin de ses parents décédés tragiquement dans un accident de la route, il a même effectué, des tests ADN pour savoir de quelle partie violée de cette Afrique, il pouvait venir. En vain. Un guide l’a vaguement amené dans un palais abandonné où se trouve encore un trône vidé de sa substance. Sans savoir réellement si c’est celui de sa famille.

11 2Il continue aujourd’hui de cultiver ses terrains et fait pousser des oranges, des mandarines, du café et même de la coca. Son fils de 25 ans (en réalité son neveu adopté), le prince Rolando, travaille comme agent administratif au parlement. Le presque octogénaire souverain peut être satisfait du travail accompli même si «son rang est plus symbolique honorifique que réel » ironise-t-il au journaliste chilien venu l’interviewer en 2014.

Et que confirme le député Medina. « Julio Pinedo est notre souverain symbolique, nous ne lui rendrons pas hommage comme au roi d'Espagne, mais nous avons beaucoup de respect pour lui ». « Il ne fait aucun doute que le rôle du roi est important », explique encore récemment à « El Diaro », Zenaida Pérez, jeune coordinatrice de l'Institut de langue et de culture afro-bolivienne. « Il représente une grande partie de ce que notre Mère Afrique nous a légué » ajoute-t-elle avec émotion.

La monarchie afro-bolivienne n’est pas un cas unique en Amérique du Sud. Et si on connaît celles des empires brésiliens et mexicains, les nombreuses vice-royautés espagnoles qui tentèrent de nommer leurs propres monarques durant les guerres d’indépendances, Bourbon ou Bragance, le « Nouveau monde » a eu d’autres monarchies tout aussi concrètes. Celle du royaume Mosquito au Nicaragua créé au début du XVIIIème siècle, devenu un protectorat britannique en 1740 et dont le dernier souverain, George Augustus Frederic II, a été réduit au simple rang de chef indien en 1861. Ou encore le royaume afro-brésilien de Palmares du roi Zumbi Kongo qui tint tête aux portugais durant une grande partie du XVIIème siècle avant d’être trahi puis décapité le 20 novembre 1695. Un souverain d’ailleurs considéré comme le « père de la conscience noire ». Et il y en eu d’autres plus éphémères comme celui d’Araucanie fondé par un avoué périgourdin, Antoine-Orélie de Tounens, en 1860. Mais, ici c’est encore une autre histoire.

 

Copyright@Frederic de Natal

Paru le 23/12/2019

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