«Au moment de la révolution de mai, ils étaient tous monarchistes, à une ou deux exceptions près. On ne comprend toujours pas comment nous avons finis par choisir une république». Loin de l’Europe, ils sont à peine quelques milliers à rêver aujourd’hui de la restauration de la monarchie en Argentine. Pour beaucoup d’argentins, l’idée monarchique est un vestige du passé qui appartient désormais à l’histoire. Mais pour Mario Santiago Corasini, leader du Movimiento Monárquico Argentino, c’est la solution aux problèmes de ce pays d’Amérique latine marqué par des années de dictature militaire et de péronisme.
C’est une onde de choc dont on ne mesure pas encore la portée. Le 6 mai 1808, le roi Ferdinand VII remet sa couronne à l’empereur des français, Napoléon Ier. L’annonce de l’abdication du roi Bourbon arrive tardivement dans les vice-royautés d’Amérique du Sud et c’est un vent de liberté qui va parcourir les colonies d’un empire où le soleil ne se couchait jamais. A Buenos, Aires, actuelle capitale de l’Argentine, on s’agite. L’aristocratie créole complote contre les «péninsulaires», ces espagnols de souche qui tiennent les rênes de la vice-royauté de La Plata. Le temps va jouer en leur faveur d’autant que le nouveau roi d’Espagne, Joseph Ier Bonaparte, est fortement contesté y compris en Amérique latine. Le blocus économique va également avoir de fortes répercussions et fragiliser les défenses de la vice-royauté qui subit les assauts de la flotte britannique. On pense alors prendre son indépendance de la mère-patrie et proclamer l’instauration d’une monarchie. Une délégation se rend alors auprès des Bragance réfugiés au Brésil afin de proposer une couronne à la reine Charlotte Joaquim Carlota Joauina) qui a l’avantage d’avoir du sang Bourbon. Sœur de Ferdinand VII, elle est l’épouse de Jean VI du Portugal et excessivement ambitieuse. Le projet est séduisant, le charlottisme vient de nâitre
«Notre parti soutient le retour à la monarchie. Nous cherchons avant tout à expliquer à un grand nombre tous les avantages qu’une monarchie constitutionnelle et parlementaire pourrait apporter à notre pays sachant que notre constitution actuelle serait parfaite pour un roi » explique Mario Santiago Corasini dont le mouvement, né en 1987, revendique un milliers d’adhérents et où se mêlent péronistes et socialistes. Il jette un regard nostalgique sur l’histoire monarchique de son pays. «Au moment de la révolution de mai, ils étaient tous monarchistes, à une ou deux exceptions près. On ne comprend toujours pas comment nous nous avons finis par choisir une république» se demande encore le président du Movimiento Monárquico Argentino. «…Si par malheur notre métropole est subjuguée, il y aura lieu alors de convoquer sur-le-champ des Cortes, afin que, une fois établie la régence en faveur de madame l’infante Charlotte Joachime, il y ait un gouvernement qui serve d’exemple à la décadente Europe, et que nous vivions en tranquillité et sécurité... sans prêter l’oreille aux sifflements du serpent qui veut nous induire à la démocratie » écrit Manuel Belgrano, un des protagonistes du projet. Un temps intéressés par cette idée, les autorités en place à Buenos Aires commencent à se méfier et accusent les Bragance de menées expansionnistes comme les créoles de tenter de s’arroger des pouvoirs au détriment des péninsulaires. Partisans du Libéralisme et de l’absolutisme s’affrontent. Enfin, la reine Charlotte Joaquim refuse catégoriquement d’être un monarque autrement qu’absolu avec en face des comploteurs, un Jean VI larmoyant qui affirme ne pas pouvoir vivre «sans sa bien-aimée». Alors que le couple vit séparé depuis des années. L’intransigeance de la princesse royale aura raison du projet qui est finalement jeté aux orties des fantasmes de l’histoire, en novembre 1808.
«Il y avait des positions monarchistes parmi ceux que l’on appelait les jonctionnistes. Belgrano, Castelli, Beruti et d'autres ont farouchement soutenu le projet carliste de la création d'une monarchie dans le Río de la Plata, avec à sa tête Carlota Joaquina, épouse du prince régent du Portugal et sœur de Ferdinand VII. Le projet a échoué parce que Carlota n'a pas accepté d’être à la tête d’une monarchie constitutionnelle, privilégiant avant tout sa forme absolutiste», confirme Silvana Ablin, professeur agrégé d'histoire latino-américaine à l'Université de Buenos Aires (UBA). L’histoire ne devait pas s’arrêter ici. La révolution qui éclate dans la vice-royauté en mai 1810 est l’occasion pour les monarchistes de reformer un autre projet d’instauration de la monarchie. La guerre civile qui éclate met un temps en sourdine ce dessin qui prendre un jour le nom de «Plan Inca». José de San Martin, Simon Bolivar, Manuel Belgrano,…autant de noms qui sont associés à la période des révolutions qui font secouer le continent sud-américain au cours du XIXème siècle. En mars 1816, une fois les royalistes vaincus, on proclame enfin l’indépendance de l’état sans vraiment s’accorder sur sa forme intitutionnelle. Unitaristes et fédéralistes vont de nouveau s’affronter. Belgrano ressort alors de son chapeau son projet monarchique. Exit les Bourbons, bienvenu aux descendants des Sapas Incas que l’Espagne a chassé définitivement de leur trône en 1572. Les rejetons de la maison impériale vivent confortablement en Espagne et si quelques-uns ont tenté au cours des siècles précédents à reprendre leur trône comme en avec l’insurrection de Tupac Amaru II (1781-1783), l’idée est aussi surprenante qu’intéressante pour certains députés. Il propose également que Cuzco redevienne capitale impériale en lieu et place de Buenos Aires. Les Congressistes applaudissent. L’Inca sera restauré. Un élan de patriotisme secoue le Congrès de Tucuman. On évoque alors la candidature du prince Dionysos Yupanqui, officier militaire et député du Pérou à Cadiz ou alors celle de Juan Bautista Monjarras que connaît bien Belgrano. Les caciques indiens qui sont consultés approuvent la restauration de l’Inca.
Les négociations avec les différentes provinces de la vice-royauté (devenue Etat des Provinces Unies) commencent dès le 12 Juillet 1816. Il s’agit de les rallier à cette idée. Si celles du HautPérou et du Nord- Ouest sont acquises au projet de restauration de la monarchie inca, celle du Cuyo et de Buenos Aires sont favorables à la république. Les discussions s’éternisent et au début de 1817, les indiens menacent de se soulever et de proclamer l’Inca dans les Provinces du Nord. Les Républicains veulent que le Congrès se réunisse à Buenos Aires, les partisans de la monarchie insistent pour rester à Tucuman. Le Général Jose de San Martin tranche et installe une Junte à Cordoba ; le Congrès est installé à Buenos Aires et le plan Inca est définitivement abandonné. Les monarchistes n’abandonnent pas pour autant, réussissent in extrémis à imposer une constitution monarchique et obtiennent qu’un prince européen puisse ceindre la couronne vacante de l’Inca. Les congressistes choisissent alors le prince Charles de Lucca pour occuper le trône. C’est un ancien duc de Parme dont le territoire est devenu l’apanage de l’Impératrice Marie Louise. Un temps à la tête d’un éphémère royaume d’Eturie voilà le prince Charles II appelé à devenir souverain des Provinces Unies. Mais la défaite de Cepeda (affrontements entre unitaristes et fédéralistes en 1820) qui abolit le gouvernement de la Junte, plonge le pays dans l’anarchie. Belgrano meurt en Juin 1820, quelques mois après la bataille de Cepeda. Et avec lui, s’envole le rêve de la restauration d’un empire Inca ou celle d’un nouveau royaume Bourbon en Amérique du Sud
Quoique. Véritable icône nationale grâce à ses discours qui mobilisèrent des centaines de milliers de « sans-chemises », Evita Perón, femme du général Perón (dictateur de l’Argentine de 1946 à 1955 et de 1973 à 1974), s’intéressa particulièrement à la question monarchique. Elle prit contact à divers reprises avec le roi Humbert II d’Italie et le prince Juan de Bourbon, le père du roi Juan-Carlos Ier. Dans la biographie que lui a consacrée Lorris Zanatta, ce dernier évoque les projets royalistes qu’elle souhaitait financer à court terme. Difficile pourtant de savoir si cette femme du peuple, aux origines françaises, avait caressé l’espoir secret de ceindre une couronne pour elle-même. «L'une des principales raisons historiques pour lesquelles nous nous avons adopté une forme d'organisation républicaine était que la seule nation indépendante qui avait combattu et obtenu son indépendance par une guerre contre une monarchie était les États-Unis. De guerre lasse nous avons simplement agi par mimétisme» explique Miguel De Luca, docteur en science politique et chercheur au CONICET qui reconnaît que la proclamation de la république est vraiment due au hasard et non pas par adhésion au concept. «Le monarchisme de nos révolutionnaires était surtout lié à la nécessité de restaurer la légitimité d’un pouvoir qui avait été mis en déroute et à des intérêts plus personnels de certains» renchérit juan Carlos Korol, historien et professeur d'histoire latino-américaine à l'UBA.
Mais alors qui serait l’héritier au trône d’Argentine ? Mario Santiago Corasini ne peut répondre à cette question. Pour l’heure, il s‘affaire à préparer le premier forum inter-monarchique qui aura bientôt lieu à Cordoue et sous l’égide de la maison impériale des Orléans-Bragance. «Une assemblée nationale réglera tout cela en temps et en heure» précise-t-il tout en appuyant sur le fait que la nomination d’un souverain permettra «d’endiguer la corruption qui s’est institutionnalisée dans le pays». Bien que les chances de voir un roi en Argentine sont très faibles, le Movimiento Monárquico Argentino n’est d’ailleurs pas le seul mouvement monarchiste du pays. Il existe également une mouvance carliste qui reconnaît la primauté de Don Sixte-Henri de Bourbon-Parme et qui célèbre chaque année les grandes fêtes d’un carlisme qui rappelle les grandes heures de la vice-royauté défunte.
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