Zanzibar, une monarchie oubliée

Jamshid ben abdallah en 1963Hier puissant souverain de Zanzibar, un archipel situé dans l’Océan indien, c’est aujourd’hui l’un des monarques qui a été oublié par l’histoire. Renversé en 1964 lors d’une révolution sanglante, au cours de laquelle se sont affrontés et massacrés anciens maîtres et esclaves, le dernier rejeton de la maison royale des Khalifa Al Bou Saïd prend le chemin d’un exil sans retour. Unie à la république de Tanzanie, la majestueuse Zanzibar offre aux touristes de passage, un voyage dans le temps parfumé par les nombreuses épices et les gouttes de sueur de ces africains qui ont fait la fortune des marchands arabes. Que devient donc aujourd'hui le sultan Jamshid ben Abdallah ?

28 juillet, aéroport international Abeid Amani Karume et son flot journalier de touristes qui se déverse sur l’île d’Unguja, située à une distance de 80 kilomètres à peine des côtes est-africaines. Ici, l’eau est d’un bleu cristallin, les senteurs de bois et de vanille, de curry ou de plats de laits de noix de coco imprègnent chaque ruelle de la ville qui grouille de petits marchés locaux. Destination phare des Européens venus se dépayser de la lourdeur de leur quotidien, ces corps bronzés par un soleil à son firmament et qui se prélassent sur le sable blanc, ignorent les événements tragiques qui se sont produits en 1964. Ici, loin de toutes cartes postales idylliques, une révolution sanglante a mis fin au règne des sultans et à la domination arabe sur l’île aux épices.

Dans le jardin de cette maison de retraite où il loge à Portsmouth, Jamshid ben Abdallah Al Said se souvient. Il reçoit encore beaucoup de ses compatriotes qui viennent le visiter et qui lui montrent encore beaucoup de déférence. L’homme a perdu de sa superbe mais garde le ton vif. A 90 ans, dans cette partie de l'Angleterre,  bien peu de personnes savent ici qu’il a été le dernier souverain de l’île de Zanzibar. Monté sur le trône le 1er juillet 1963, Jamshid ben Abdallah Al Said est l’héritier d’une dynastie dont les racines plongent dans Oman et qui s’est installée au XVIIIème siècle sur cette île, située au carrefour de la route des Indes, de l’Arabie et de l’Afrique. Une route commerciale évoquée par Marco Polo venu y séjourner, impressionné par ces «géants si grands» et dont les lignes du récit de son voyage cachaient mal l’admiration qu’il avait de ces bantous enchaînés et exhibés sur le marché comme de vulgaires bestiaux. Car, c’est bien ici que va résider principalement la richesse de l’île, le commerce des esclaves (50000 africains  vendus chaque année sur les marchés de Zanibar), avant que les britanniques n’y mettent fin en 1873.

Esclave de zanzibarZanzibar, c’est aussi la culture de canne à sucre, de l’indigo ou du clou de girofle, le tout sous le chapeau d’une monarchie qui a pris son indépendance de Mascate en 1856 au prix d’une guerre fratricide. Jamshid ben Abdallah Al Said a grandi au sein du protectorat britannique. Il a toujours côtoyé les anglais depuis son enfance non sans une certaine méfiance envers eux. Que ne lui a-t-on pas raconté sur cette folle journée d’août 1896 où la marine de Sa Majesté a bombardé durant 45 minutes le palais et le harem du prince Khalid bin Barghash Al-Busaid (1874 –1927) qui venait de s’emparer du trône à la mort suspecte de son cousin. La guerre la plus courte de l’histoire mais aussi la plus violente de la colonisation anglo-est-africaine. L’émergence de la classe moyenne noire au début du XXème siècle entraîne inévitablement la création de parti ethnocentristes qui vont exploiter les rancoeurs et lee mépris réciproques que se livrent atabes et africains. L'ASP (Afro Shirazi Party) dont l'électorat est exclusivement formé de noirs et le ZNP (Zanzibar Nationalist Party) dont la base est principalement arabe voient rapidement le jour. Contraint d’octroyer en 1960 une constitution, le sultan Abdallah Ben Khailifa (1910-1963) perd également un soutien de taille. Le départ des britanniques qui acceptent de rendre à Zanzibar son indépendance (tout en autorisant qu’elle demeure au sein du Commonwealth) va être le premier chapitre d’un opéra tragique qui va s’écrire en lettres de sang. Le premier ministre, déjà en poste depuis deux ans, Muhammad Shamte Hamadi, a déjà fort à faire et se heurte aux revendications de l’Afro Shirazi Party de cheikh Abeid Amani Karume. Les anciens esclaves se sont mués en féroces politiques, des jacobins noirs animés par un seul but : se venger de ces arabes qui avaient raflés massivement leurs ancêtres du continent africain. Lorsque le Zanzibar Nationalist Party remporte les premières élections libres, l’ASP crie à la fraude organisée. Les émeutes succèdent aux manifestations contre la monarchie (68 morts). Les agressions et les assassinats se multiplient avec une sauvagerie sans précédents. La montée sur le trône de Jamshid ben Abdallah Al Said se fait sous les vivats de ses partisans et les huées des descendants des esclaves. qui pénètrent la nuit dans les maisons des arabes pour les égorger. Le début de la fin pour la monarchie Zanzibari qui se radicalise, interdit les partis d'opposition et purge sa police de tous ses éléments africains.

Le marechal okelloDans la nuit du 11 au 12 janvier 1964, c’est l’escalade. Menées par un policier d'origine ougandaise, John Gideon Okello, des unités para-militaires, où règne un certain messianisme exalté, se lancent à l’assaut de la ville de Zanzibar et de son vieux quartier, Stone Town. Les tirs crépitent dans la nuit noire, le palais est rapidement investi et le sultan prié de bien vouloir se suicider avec toute sa famille. Les britanniques, dont les troupes stationnent en Tanzanie, interviennent et exfiltrent le gouvernement, le monarque avec sa famille à bord de son yacht avant de se retirer manu-militari, laissant exploser la haine des africains contre les arabes Cette fuite provoque la colère d’Okello (qui a trouvé bon ton de s'auto-proclamer «maréchal ») et va servir de prétexte pour un massacre qui va s’étaler à la une de tous les journaux européens. Des torrents de sang coulent dans les rues de la capitale. Durant 3 jours, entre le 18 et le 20 janvier, 5000 à 20000 arabes âgés de 18 à 25 ans seront tués ou emasculés selon les ordres formels du maréchal, jetés en masse dans des fosses communes sous l'oeil des caméras italiennes. Islam oblige, ce chrétien assumé avait cependant donné ordre à ses séides ne pas toucher aux personnes âgées, femmes enceintes et jeunes vierges.  Tout au plus, étaient-ils autorisés à les violer afin qu'elles portent une nouvelle génératon de zanzibaris.  Même les européens ne sont pas épargnés tandis que les arabes fuient vers Oman à bord d'embarcations de fortune. Jamais révolution africaine n'aura été plus sanglante que celle de Zanzibar.

Jamshid ben abdallah en exilLa monarchie abolie, la république proclamée, sa durée de vie sera éphémère. Okello est trop extrême, trop proche de l’URSS et ses alliés de l’ASP vont se débarrasser de lui afin de réaliser la jonction avec le Tanganyika voisin. Le 26 avril 1964, la Tanzanie voit le jour avec à sa tête le panafricain Julius Nyerere. Les bantous ont remporté définitivement la victoire mais les tensions ethniques ne s’estomperont pas pour autant et  se poursuivent encore de nos jours, toujours aussi violentes. A Londres, le gouvernement britannique accorde l’asile politique au dernier souverain. Jamshid ben Abdallah Al Said n’a plus de pouvoirs, ni de parti encore moins de partisans prêts à se soulever afin de le restaurer sur le trône. Interrogé sur un retour éventuel, le sultan hésite et reste hagard. «Je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cette question». C’est un homme abattu, abandonné, qui voit de loin, son royaume s’enfoncer décennies après décennies dans le chaos politique. Larmoyant, il affirme qu’il n’a rien vu venir, de «simples rumeurs» tout au plus et regrette que son gouvernement ait oublié de signer un accord militaire avec le Royaume-Uni. Lors d’un autre entretien télévisé réalisé en 1972, il se félicite de l’assassinat de Karume, son tombeur. «J’ai été enchanté d’apprendre qu’il a été assassiné et j’espère que je vais pouvoir être en mesure de revenir» déclare t-il en présence de ses 7 enfants. Maigre revanche pour ce sultan déchu qui espère qu’on va le rappeler. «Si mon peuple le souhaite, je suis prêt à revenir » poursuit-il. Ses espoirs seront douchés. A peine Karume enterré, l'ASP s'empresse de voter une interdiction au sultan de revenir sur son île et les quelques manifestations qui soutenaient ci et là la restauration de la monarchie, seront rapidement dispersées.

Cheveux blancs jamshid ben abdallah et ses rares partisansPour couronne, il n’a plus que des cheveux blancs. Il s’est éloigné de la politique mais son ombre fait toujours peur au gouvernement autonome de Zanzibar. En janvier 2000, lors du 36ème anniversaire de la révolution, le président Salmin Amour créé la surprise en annonçant qu’il amnistie le souverain déchu et  l’autorise à revenir sur l’île. Seule condition préalable à l fin de cet exil, qu’il vienne en simple citoyen et non comme un monarque. L’opposition crie haro sur cette décision et les députés en viennent aux mains dans l’enceinte du parlement. Arabes et africains n’ont toujours pas pansé les plaies de la révolution. Mais c’est trop tard pour Jamshid ben Abdallah Al Said qui est l’objet d’accusation en tout genre et notamment d’avoir volé le trésor royal, mystérieusement disparu lors des évènements qui ont conduits à la chute de la monarchie. Certainement pas entre les mains de Jamshid ben Abdallah Al Said qui rigole lorsqu’on lui pose la question. D’argent justement, l’ancien monarque en manque. Titré chevalier-commandeur de l’Empire britannique par Elizabeth II, il vit de l’aide sociale britannique et ne reçoit aucune pension de Zanzibar. Ultime humiliation voulue par les africains. Autant dire «qu’il ne roule pas sur l’or !». Le roi va plusieurs fois à la mosquée, certainement pour tromper son ennui même s'il est selon l’avis de tous un fervent croyant. Croit-il en ses chances de recouvrer son trône ? L’homme en a perdu les illusions tout en ayant conservé le réalisme de sa situation d’exilé permanent. A Zanzibar, son palais et devenu un musée dédié à l’histoire de sa famille, Devant la porte sculptée, on passe désormais sans un regard sur ce passé qui a fait les beaux jours de cette île.

C’est un soleil couchant de mille feux multicolores qui embrase l’océan indien. Les derniers vacanciers ont plié leurs serviettes et rentrent dans leur chambre d’hôtel de luxe, marchant sans le savoir sur les pas d’une histoire tumultueuse aux odeurs multiples. Alors que le son des premiers taarabs se fait entendre dans les restaurants, que les derniers vendeurs à la sauvette tentent de vous vendre des tee-shirts ornés du portait de Freddy Mercury (dont la seule gloire est d’être né ici et dont la famille a fuit durant la révolution), le vent souffle tristement sa complainte des temps passés. Sur la plage, l'embrun achève de tremper les feuilles de ce roman qu'un touriste a oublié et dont le titre résume à lui seul, toute la réalité historique derrière le fantasme...«Mourir à Zanzibar» (1973, Gérard de Villiers). Visage tourné vers l'horizon, Jamshid ben Abdallah Al Said sait que les sultans ne reviendront plus jamais à Zanzibar.

Copyright@Frederic de Natal

 

Date de dernière mise à jour : 29/07/2020

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