C’est l’un des derniers monarques au monde à avoir été restauré sur son trône. Fils du dernier souverain et premier président de la République fédérale d’Ouganda, le Kabaka Mutebi II est un puissant monarque traditionnel qui incarne encore aujourd’hui « la force du mythe du roi nourricier et protecteur du Bouganda ». A la veille d’une élection présidentielle à haut risque, tous les regards sont tournés vers ce souverain qui a tenté à l’aube du XXième siècle de retrouver ses regalia sur les Grands Lacs dont il est le légitime détenteur. Le soutien affiché des ultra-monarchistes, « la clique de Mengo », à l’opposant Bobi Wine, dont la popularité menace trois décennies de pouvoirs sans partages du président Yoweri Museveni, pourrait permettre au roi de s’arroger plus de pouvoirs dans le pays et provoquer à court terme la sécession du Bouganda. A défaut de retrouver un trône national dont il a été privé lors du coup d’état de 1966.
L’histoire de la monarchie baganda est intimement liée au destin de l’Ouganda, ancienne colonie britannique qui a obtenu son indépendance en 1962. C’est tout naturellement que le poste de premier président de la république a été proposé au roi Mutesa II, monarque du Bouganda depuis 1939 et qui a été éduqué dans les meilleurs écoles occidentales. Confronté aux affres du parlementarisme, le pays sombre dans l’anarchie politique, le Kabaka Yekka (« Seulement le roi ») perdant de plus en plus de terrain. C’est son premier ministre, Milton Oboté, qui décide finalement de se séparer du souverain en le destituant de son poste de président lors d’un violent coup d’état 4 ans après la proclamation de la république fédérale d’Ouganda. Exilé, « King Frederick » se réfugie dans l’alcool et meurt subitement en 1969 à l’âge de 45 ans. Suicide ou empoisonnement, le mystère demeure sur les réelles conditions de décès du souverain de l’Ouganda. De coup d’états en rébellions diverses, le prince héritier Ronald Mutebi suit les différents évènements qui éclatent dans son pays. La maison royale décide d’apporter son aide à Yoweri Museveni, un ex-membre des services secrets d’Obote avec lequel il va finir par rompre au début des années 1980. A la clef d’un succès qui semble très hypothétique, la promesse d’une restauration de la monarchie en faveur de la dynastie bougandaise. En 1986, Museveni s’empare finalement de Kampala, la capitale, s’arroge la présidence et demande à ses alliés de patienter. Il faudra attendre encore sept ans de plus pour que Ronald Mutebi II soit restauré sur son trône en grande pompes. Même le magazine « Point de vue » y consacrera deux pleines pages. Monarchie constitutionnelle, le Bouganda bénéficie d’un statut autonome qui lui permet d’avoir un gouvernement et un premier ministre. Un contre-pouvoir qui est rapidement devenu une véritable force politique que se gardera bien de défier le président Museveni.
La lune de miel s’est depuis transformée en lune de fiel. Le Kabaka a un rôle qui tient du sacré et un statut diplomatique qui lui permet même de se faire recevoir comme un chef d’état dans d’autres pays africains. En août 2020, il a été reçu par le président kenyan comme si il était le dirigeant du pays alors qu’il était officiellement en vacances. Mais sous les apparents sourires, une rivalité qui se poursuit. En 2009, ses partisans avaient tenté de s’emparer du pouvoir dans la capitale aux prix de violentes émeutes. Un échec. Officiellement réconciliés, les rapports entre les deux dirigeants sont devenus conflictuels. D’autant que Mutebi II se considère comme le seul dirigeant de l’Ouganda (la dynastie ayant dirigé le pays près de trois siècles) et tente de s’arroger des terres sur les autres royaumes avoisinants qui se plaignent de ce retour hégémonique des bagandais.
Avec l’élection présidentielle prévue le 14 janvier prochain, tous les regards sont de nouveau tournés vers le Kabaka qui règne sur presque 20 % de la population ougandaise. Le 29 novembre dernier, le souverain a exigé que le gouvernement explique les raisons de la répression organisée par la police lors d’un meeting du député Bobi Wine et qui a fait 50 morts. Aussi chanteur, Robert Kyagulanyi (de son vrai nom) est très populaire dans le pays. Il se voit désormais obligé de faire campagne en gilet pare-balle et casque vissé sur la tête en lieu et place de son habituel béret rouge. A Kampala, depuis des mois, on s’inquiète d’ailleurs du soutien affiché et visible du souverain à l’acteur. Assez pour que Museveni demande une audience en février 2019 au roi afin de s’enquérir des consignes de vote qu’il allait donner. Ce dont s’est bien gardé de faire le souverain qui a rappelé le caractère apolotique de sa fonction. A Kampala, on dénonce les agissements de la « la clique de Mengo » (siège du gouvernement royal), ces ultra monarchistes qui ont fait des biens de la Couronne un contentieux permanent avec le pouvoir fédéral. « Le Bouganda doit retrouver sa gloire d’antan » a récemment déclaré à la presse Charles Peter Mayiga, Premier ministre du roi qui voit dans une éventuelle victoire de Bobi Wine à l’élection présidentielle, la possibilité d’étendre les pouvoirs du monarque ou à court terme d’organiser la sécession du pays. Dans le Nord du pays, une rébellion qui se revendique « d’un royalisme absolu et extrémiste » opère même de manière sporadique sans que le gouvernement n’arrive à l’enrayer.
« Nous avons observé que les restrictions dues au Covid-19 avaient progressivement été mises en œuvre de façon plus stricte pour réduire les activités de la campagne électorale de l'opposition d'une façon discriminatoire » s’est agacé, quant à lui, le représentant du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme qui ne cesse de constater des agressions contre les opposants. Pour les partisans du président Museveni, Bobi Wine n’est autre que le « King’s rogue » (le lèche-botte du roi) tant il ne cache pas sa dévotion pour la monarchie baganda. Lors du 65ème anniversaire du roi en avril 2020, il est venu chanter les louanges du roi, le saluant ventre à terre. Un geste qui n’est pas passé inaperçu dans la presse ougandaise, largement acquise au gouvernement qui n’a pas hésité à faire interdire ce « royaliste » de meetings et le faire brièvement embastiller. Dans son message de nouvel an, le roi a tenu à apaiser les tensions et appelé chacun au calme dans une élection dont les résultats sont pourtant d’ores et déjà connus d’avance. A un tel point que Bobi Wine a déjà fait exfiltrer sa famille vers les Etats-Unis. Accusé de vouloir lui-même fonder une monarchie en faveur de l’un de ses fils, le président Yoweri Museveni est crédité de 59% d’intention de votes contre 20% pour son principal opposant.
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