Les rois du Nigeria, une épine dans le pied de cette République

L'émir de Kano Sanusi iiChiefs, rois, sultans…, autant de monarques traditionnels qui constellent la République fédérale du Nigeria. Face à l’impuissance du gouvernement du président Muhammadu Buhari à endiguer la crise sociale, économique et stopper enlèvements comme attaques récurrentes de la secte islamique Boko Haram, les habitants de ce pays de l’Afrique de l’Ouest se retournent désormais vers ceux qui incarnent « une institution à laquelle bon nombre de communautés continuent à s’identifier ». Depuis plusieurs années, ces souverains ont repris progressivement une influence et leurs regalia perdues à l’indépendance. Aujourd’hui, ils sont pratiquement devenus un état dans l’état.  

La reine des Efik Barbara Etim James photo@bbc« Quelle sorte de gouvernement peut laisser son pays dans un tel état ? ».  A la tête de la plus haute représentation traditionnelle de la République fédérale du Nigeria, le sultan de Sokoto a publiquement fustigé la politique et l’inaction du président Muhammadu Buhari face à la crise politico-économique et sociale qui frappe cette puissance de l’Afrique de l’Ouest. Un pays que se partagent plus de 300 ethnies différentes.  Autant d’Oba, de Lamido, de Shehu, de Sharki, d’Obong, à la tête d’états qui existaient bien avant la colonisation européenne et que les britanniques réduiront à de simples fonctionnaires de la monarchie victorienne. On crée même un titre dévalorisant de Paramount Chief afin de rogner les regalia de ces souverains, jugés trop autonomes, qui vont perdre progressivement en influence et en pouvoir auprès de leurs populations déracinées par l’Indirect Rules et que l’on va réunir en une seule entité en 1914. L’indépendance signera la fin de leur compétence politique même si bon nombre de princes locaux participent à la lutte contre le colonialisme. Aujourd’hui, « personne ne connaît le nombre de monarques dans le Nigeria multiethnique, mais ils semblent avoir leur mot à dire sur chaque centimètre de terre, ce qui les met souvent en désaccord avec les hommes politiques qui ont une autorité constitutionnelle » constate la BBC dans une de ses récentes éditions consacrée sur le sujet.

Debout, le président Buhari et assis, le sultan de SokotoFace à la progression de la secte islamique de Boko Haram qui n’a pas hésité à menacer directement ces monarques qu’ils considèrent comme apostats (l’émir de Gwoza a été assassiné par les djihadistes en 2014) ou remettant en cause leur temporalité sacrée, Alhaji Muhammadu Sa’ad Abubakar III a appelé tous ses alter-égos du Nord au sud, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, à résister à ce « groupe de parvenus, devenus des bandits armés et des kidnappeurs, dont le seul but est d'envahir le pays et de diffuser leur enseignement impie ». Porte-parole des populations abandonnées par le gouvernement fédéral, le sultan de Sokoto illustre parfaitement ces rois,  garants de la tradition et souvent considérés comme des médiateurs, craints des présidents qui s’en méfient autant qu’ils en ont besoin pour avoir l’assurance d’une présidence tranquille. « Sans aucun soutien constitutionnel, les monarques du Nigéria qui souhaitent rester sur le trône doivent maîtriser l'art de rester à l'écart des politiciens qui contrôlent le pouvoir » explique Olutayo Adeshina, professeur d'histoire à l'Université de Lagos et qui s’amuse de ces élus qui les critiquent tout au long de l’année avant de venir faire acte d’allégeance à chaque élection. Ancien dirigeant du pays entre 1985 et 1993, le général Ibrahim Badamasi Babangida (IBB) n’avait pas hésité à venir se faire bénir par le Sultan de Sokoto, révéré par des millions de musulmans, afin d’obtenir ses grâces et son soutien. En 2017, le vice- président Yemi Osinbajo s'était, lui aussi, empressé de venir présenter ses respects au roi de Benin, Ewuare II, afin de lui déclarer son admiration pour les initiatives socio-économiques mises en place dans son royaume. 

Oba Ewuare IIMais ce retour en force des rois du Nigeria  n’est pas du goût de tous  les partis politiques qui font pression sur le président Buhari afin qu’il les remette au pas voir qu’il s’en débarrasse, affirmant qu’ils ne sont plus que l’image « d’un passé archaïque » qui n’a plus lieu d’être au XXIème siècle. Accusé d’insubordination, l'émir de Kano, Muhammad Sanusi II en a fait les frais et a été brutalement détrôné en mars 2020, remplacé par son oncle et rival plus docile, l’émir Aminu Ado Bayero. Un coup d’état qui illustre la réalité d’un long conflit entre « ce souverain et  le gouverneur de l'État de Kano, Umar Ganduje, une figure puissante du parti au pouvoir, le congrès des progressistes (APC) » comme le précise la BBC. « Les chefs traditionnels possèdent un pouvoir latent dont les politiciens ont peur, d'où la tension entre les deux. S'ils ne sont pas pertinents, les politiciens les ignoreraient. Mais vous les ignorez à vos risques et périls » prévient Olutayo Adeshina. La destitution du Lamido a provoqué des manifestations de soutien à la monarchie et 16 Obas se sont même fendus d’une lettre au président, critiquant l’ingérence de son gouvernement dans les affaires internes de la royauté. Une rébellion qui n’est pas passée inaperçue dans les médias nigérians très friands de ces conflits entre pouvoir royal et républicain. 

Ambassadeurs, ministres, parmi les plus grosses fortunes d'Afrique, rois ou reines, « ils sont l’incarnation vivante de l’histoire coloniale du Nigeria, et on continuera toujours de se prosterner devant eux » fait remarquer, à juste titre, George Osodi. Un photographe réputé qui a passé une année entière à tous les photographier et les réunir dans un livre richement illustré, loin de toutes caricatures dont les affuble souvent l'Occident. Au Nigeria, la monarchie est une réalité dont la République ne peut se défaire.

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Date de dernière mise à jour : 27/06/2021

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