C'est l'annonce du jour. Quatre ans après que Muhammadu Sanusi II a été destitué de son poste d'émir de Kano, le gouverneur Abba Yusuf de l'État de Kano a décidé de le réintégrer sur son trône, priant son prédécesseur de quitter le palais royal manu militari.
C’est une information qui a mis en ébullition la république fédérale du Nigeria. Jeudi 23 mai 2024, le gouverneur Abba Kabir Yusuf a pris la décision de rendre nulle et non avenue la décision prise par son précédent quatre ans auparavant, celle de destituer l'émir de Kano, le Lamido Muhammadu Sanusi II, de son trône et de découper son royaume en cinq petits émirats. Une balkanisation de cette monarchie traditionnelle qui avait provoqué une controverse dans ce pays d’Afrique de l’Ouest où l’institution royale traditionnelle conserve un poids politique important. Une décision acclamée par les élus de la chambre provinciale et contresignée par le vice-gouverneur de l'État de Kano, Aminu Abdussalam, et le président de l'Assemblée, Jibril Falgore,
Un émir réformateur, opposant au gouvernement fédéral
Muhammadu Sanusi II, né le 31 juillet 1961, est devenu le 14ème émir de Kano en juin 2014, succédant à son grand-oncle Ado Bayero dont le règne d'un demi-siècle a été également perturbé par une tentative de destitution au niveau fédéral . Avant son ascension au trône, le monarque occupait un poste de banquier, un intellectuel respecté, ayant même été nommé au poste de gouverneur de la Banque centrale du Nigeria de 2009 à 2014. Connu pour son franc-parler et pour avoir mis en place des réformes économiques et sociales, c'était aussi un critique acerbe qui n'hésitait pas à dénoncer la corruption et l'inefficacité du gouvernement nigérian à la combattre, plaidant pour une meilleure gestion des ressources publiques. L’émir était également reconnu pour son engagement en faveur de l’éducation des filles et des droits des femmes, des sujets souvent privilégiés comme sensibles dans ce fief ultra-conservateur du nord du Nigeria. Des prises de position qui avaient agacé plus d'une fois le gouverneur Abdullahi Ganduje avant que ce dernier n'envoie l'armée déloger le souverain de son palais avec l'aide des militaires.
Un véritable cadeau du ciel, la revanche d'un monarque
Une longue lutte judiciaire s'était alors engagée entre l'ex-émir et le gouvernement fédéral qui avait acté la nomination du prince Aminu Ado Bayero comme nouveau souverain de l'État de Kano, le fils de son précédent, l'émir Ado Bayero. Victime d'une véritable machination politique, accusé de corruption, l'émir Sanusi II avait dû se battre pour laver son honneur, largement soutenu par ses sujets. Ce sont eux qui ont permis la défaite électorale du gouverneur Abdullahi Ganduje en 2023. Lors des élections générales, le 14e émir de Kano a publiquement et financièrement soutenu le NNPP d'Abba Kabir Yusuf en portant les couleurs du parti. Un choix désormais récompensé. « Les autres émirats doivent être réduits à de simples chefs locaux sous l'égide de l'émir général de Kano.», a déclaré le gouverneur qui a acté la restauration de Muhammadu Sanusi II. Le monarque, installé à nouveau dans son palais depuis le 25 mai a remercié son allié, qu'il a appelé « son frère », et rappelé que « sa destitution avait été une attaque délibérée contre la culture et la tradition de son peuple».
Une puissante monarchie grâce à sa position stratégique sur les routes commerciales
L'émirat de Kano trouve ses origines dans la cité-état de Kano, fondée vers le Xe siècle. Il est devenu progressivement un centre de commerce important grâce à sa position stratégique sur les routes commerciales transsahariennes. Kano restant célèbre pour ses tissus teints, ses peaux et ses autres marchandises, ce qui attira des marchands de tout le Sahel et au-delà. Au XIVe siècle, l'islam a commencé à se répandre à Kano, apporté par les commerçants et les érudits, adopté comme religion officielle par l'émir Muhammad Rumfa (1463-1499). Au début du XIXe siècle, l'émirat de Kano a été finalement conquis par les Peuls lors de la guerre sainte (Jihad) menée par Usman dan Fodio. Les Peuls établissent un nouveau système de gouvernance islamique, incluant Kano au sein du califat de Sokoto, une vaste confédération de royaumes islamiques dans le nord du Nigeria avant que les Britanniques ne mettent leur grain de sel et ne passent l'émirat sous contrôle colonial en 1903. A l'indépendance, dans les années soixante, la République fédérale a décidé de maintenir les monarchies traditionnelles, véritables faiseurs de rois (présidents) au Nigeria.
Ce royaume, avec ses siècles d'histoire, demeure un acteur central dans la dynamique sociopolitique du nord du Nigeria. L'émir Muhammadu Sanusi II, par son leadership et ses réformes, a laissé une marque indélébile sur cet émirat. Malgré les défis et les conflits, son engagement envers la justice sociale et la bonne gouvernance continue d'inspirer de nombreux Nigérians et observateurs internationaux qui le cite en exemple. Un retour en grâce qui devrait apaiser les tensions internes à cette monarchie africaine.
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