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Le prince Ermias Sahle Sélassié et l'appel d'Adoua

prince Ermias Sahle SélassiéC’est l’une des plus grandes batailles épiques de l’histoire africaine. Il y a 125 ans, au cœur de la province du Tigré, des milliers d’éthiopiens ont convergé comme un seul homme vers le village d’Adoua, des troupes menées par le Négus Ménélik II, afin de repousser l’envahisseur italien qui venait de poser le pied sur les terre du légendaire « Roi Jean ». Un choc des civilisations qui est resté dans les annales de l’empire salomonide et une victoire qui résonne encore dans le cœur d’un peuple en proie à ses démons ethniques. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, le prince Ermias Sahle Sélassié a rappelé que lors de cet affrontement armé, les « petites rivalités ont été mises de côté » et dans un « respect mutuel, [ses compatriotes] ont vu ce qu’ils pouvaient  faire en agissant ensemble ». Un message subtil de la maison impériale d’Ethiopie qui n’a cessé de multiplier les appels à l’unité ces derniers mois.

Le  Négus Ménélik IIDepuis fin de l'année dernière, l’Ethiopie fait face à un soulèvement sécessionniste de la province du Tigré, connue pour ses églises coptes orthodoxes taillées à même le roc. Berceau de l’empire antique d’Aksoum, la région est indissociable de l’histoire tumultueuse d’une dynastie qui puise le sang de ses origines dans les veines de Ménélik Ier, le fruit des amours bibliques de la reine de Saba et du roi Solomon. Une maison impériale aux multiples rameaux qui parle encore la langue du Christ et qui est la gardienne secrète de l’Arche d’Alliance. Entourés d’un voile de mystère, les Salomonides ont retrouvé parmi leurs anciens sujets une aura perdue après la chute de la monarchie en 1974 et l’assassinat du Négus Hailé Sélassié, le masque d’Or qui continue de fasciner deux continents que la colonisation a lié entre miel et fiel durant plus d’un siècle. La bataille d’Adoua est l’illustration de cette rivalité entretenue entre deux civilisations que tout a opposé. D’un côté, un empire qui dirige les éthiopiens d’une main de fer et dans le sang, une noblesse traditionnaliste qui conserve ses privilèges et ses serfs, ses esclaves, une dynastie qui a tout du féodal. De l’autre, un royaume expansionniste et moderne qui rêve de recréer les frontières de l’ancienne Rome et qui entend avoir sa part du gâteau dans la course à la conquête de l’Afrique et de ses multiples ressources. Deux monarchies qui vont se rencontrer et se confronter au cœur de la région du Tigré dont les Ras (rois) ont réussi à se rapprocher du trône occupé alors par Ménélik II, rejeton de la branche salomonide du Shoah. 

Ras éthiopiens à  AdouaLes Ras du Shoah ont très vite compris l’importance de jouer avec les puissances européennes du XIXème siècle afin de sécuriser les frontières de l’Ethiopie et juguler les appétits de la France et du Royaume-Uni. Le roi Sahle Sélassié n’hésite pas à conclure un traité d’amitié avec le « grand roi Louis-Philippe » en raison de «  la conformité de religion qui existe entre les deux nations » et espérant qu’en cas de « guerre avec les musulmans et autres étrangers » la France interviendrait pour secourir ses amis en tant que « protectrice de Jérusalem ». Quel que soit la réalité ou non d’un traité remis en question par les historiens, elle démontre déjà quel point l’Europe a les yeux tournés vers l’Ethiopie. Ménélik monte sur le trône du Shoah en avril 1865 et va gravir une à une les marches vers le strapontin impérial avant de se proclamer Negusä Nägäst (« Roi des Rois ») et après avoir défait tous ses adversaires. Sous son règne, l’empire se modernise considérablement, un des rares pays africains à être structuré en un état aux frontières délimitées et totalement indépendant de Paris, Londres ou Berlin. C’est d’ailleurs au sein de cette branche que va naître un certain Ras Tafari Makonnen, un prince qui va connaître un destin héroïque et qui va se terminer dans la tragédie d’une révolution. C’est le traité de Wuchale signé en 1889 avec l’Italie qui va mettre le feu aux poudres, particulièrement l’article XVII qui dans sa version italienne place le pays sous protectorat de Rome tandis qu’en amharique, il évoque le royaume des Savoie comme voie de communication avec les autres capitales européennes. Le choc armé est inévitable et il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur. 

La statue de Menelik ll à Addis AbebaL’accroissement des comptoirs italiens en Abyssinie (ancien nom de l’Ethiopie) agace beaucoup Ménélik II qui parle d’ingérence des italiens. Ces derniers font d’ailleurs peu de cas des protestations du Négus et les rejettent avec tout le mépris racial qui caractérise cette époque. L’empire vient tout juste de repousser les assauts des anglo-égyptiens (1872-1877) et elle entend bien jeter à la mer ces italiens, dénonce le traité en 1893 et rembourse d’un coup tous les crédits pris auprès du gouvernement italien. Une véritable gifle que les italiens ne supportent pas et qui débarquent militairement. Sur le terrain, les victoires et les défaites sont partagéEs par les deux camps dès les premiers coups de feu tirés en décembre 1895. Mais la bataille la plus marquante de cette guerre va être celle d'Adoua, le 1er mars 1896, et qui signe la fin des hostilités, faisant plus de 70 000 morts. Pourtant largement supérieure en hommes et en armement, les Italiens ne pourront pas longtemps résister aux armées du Negus qui a réussi à fédérer sous son nom toutes les tribus. Une victoire qui assure à l'Éthiopie le maintien de son indépendance et lui évite un dépeçage certain. « Ils nous ont vaincus parce qu'ils nous ont supris en pleine manœuvre» écrit alors le  journaliste Arnaldo Cipolla qui reflète ici toute le déshonneur ressenti dans cette aventure par les Italiens. Un peuple humilié qui va protester contre le gouvernement royal contraint de démissionner.

« La victoire de la bataille d'Adoua par les forces éthiopiennes unies - qui se sont portées volontaires dans tout l'Empire - a allumé un phare de liberté et de dignité qui a inspiré l'Afrique et a gagné le respect du monde depuis ». Dans une déclaration, le président du Conseil de la Couronne, le prince Ermias Sahle Selassie, a rendu hommage à un pays qui a montré par le « courage désintéressé des peuples de l'empire » qu'il comprenait « l'importance d'une Éthiopie unie afin d'accroître sa capacité à défendre sa souveraineté et sa capacité à forger son propre destin » . «Les petites rivalités ont été mises de côté » poursuit le petit-fils de Négus Hailé Sélassié. Un message subtil adressé  à ses compatriotes face à une rébellion armée dans le Tigre depuis novembre dernier et qui a déjà déplacé un million de personnes sur fond de crimes de guerre avérés. « Il y avait un respect mutuel chez tous les participants à ce conflit et [mes compatriotes] ont vu ce qu'ils pouvaient faire en agissant ensemble », a ajouté le prince. Ce jour-là, « chaque Ethiopien a rendu hommage à l'autre», dit Ermias Sahle Sélassié, qui rappelle l'importance de célébrer cette fête nationale dans l'unité, malgré les restrictions sur Covid-19 qui ne lui ont  pas permis de se déplacer dans son pays natal . Depuis la nomination d'Abiy Ahmed au poste de Premier ministre en 2019, prix Nobel de la paix, la Maison impériale longtemps ostracisée a été largement réhabilitée et est désormais étroitement impliquée dans les affaires de l'État avec deux de ses membres au gouvernement. À la fin de sa déclaration, le prince Ermias Sahle Sélassié n'a pas manqué de saluer la mémoire de l'empereur Menelik II, dont la statue équestre trône fièrement au centre de la capitale Addis-Abeba.

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Date de dernière mise à jour : 28/03/2021

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