Girma Yohannes Iyasu, l’autre prétendant au trône d’Ethiopie

Girma yohannes iyasuC’est le descendant du seul monarque musulman d’Ethiopie. Le prince Girma Yohannes Iyasu aurait pu être le négus d’Ethiopie si l’histoire et Hailé Sélassié n’en avaient pas décidé autrement en 1916 , lors du renversement du négus Lidj Iyasu V, son aïeul. Exilé en Allemagne et leader d’un parti politique, cet ancien professeur d’université et auteur de divers ouvrages est regardé par une partie des monarchistes éthiopiens comme le vrai Lion de Judah et le légitime souverain d’Ethiopie. Retour sur une des pages chaotiques de l'histoire de l'empire éthiopien.

Pour ses partisans, il est Abeto-Hoy Lidj Girma Yohannes Iyasu VII, légitime négus d’Ethiopie. A 59 ans, cet ancien professeur est l’héritier en ligne directe d’un monarque qui a plongé cette partie de l’Afrique de l’Est dans la guerre civile et religieuse. Objet de tous les fantasmes et magnifié par le poète Arthur Rimbaud, qui se fait volontiers trafiquant d’armes dans le Harrar et le Shoa, la patrie du roi Jean va bientôt être la proie des puissances coloniales qui tentent de s’implanter en Afrique. Souverain tout puissant, génie militaire qui a infligé une sévère humiliation aux italiens à Adoua en mars 1896, conquérant et modernisateur, le négus Ménélik II est aussi un alcoolique qui boit plus de deux litres d’hydromel et de « Fernet Branca » par jour. Une attaque d’apoplexie en 1907 va progressivement le diminuer mentalement et deux ans plus tard, il se retrouve incapable de gouverner un empire. Une course à la succession trône s’engage alors, féroce, qui ne laisse pas de place à la faiblesse. Dans cette monarchie, née des fruits des amours de la reine de Saba avec le roi Salomon, l’ordre de primogéniture masculine reste la règle et le futur monarque doit être un membre de la maison impériale. Les femmes peuvent éventuellement accéder au trône à la seule condition d’être vierges. Sans enfants, Ménélik avait créé un conseil des ministres chargé de régler sa succession en cas de défaillance. Sept ou huit candidats peuvent alors prétendre à cette couronne qui attise toutes les convoitises. A son petit-fils, Lidj Iyasu, la pôle position. Mais au regard des plus traditionnalistes, ce musulman assumé menace d’ores et déjà la stabilité de l’empire et ils vont se tourner vers deux autres membres de la dynastie Salomonide, Ras Makonnen Tafari (beau-frère et cousin du négus) et la princesse Zaouditou, fille de Ménélik II. Tous les ingrédients sont réunis pour que le pays plonge à nouveau dans la guerre civile.

Menelik iiC’est l’épouse de Menélik II, Taïtou, qui tire les ficelles et qui est soupçonnée d’essayer de s'emparer de la couronne en sa faveur. A peine sur son trône, celle qui accompagnait son mari, pieds nus sur les champs de bataille, s'empresse de faire épouser Iyasu à un descendant du Negus Yohannes IV, celui-là même qui a été tué en 1889 alors qu'il faisait la guerre aux ...djihadistes musulmans. À l'âge de 12 ans, le jeune prince ajoute un autre pedigree à sa généalogie déjà éloquente. Alors qu'il entre dans une lente agonie en octobre 1909, Menelik II dicte ses dernières volontés et nomme Lidj Iyasu pour lui succéder : «Que la terre trahisse celui qui violera ma volonté et il donnera naissance à un chien noir. Je maudis aussi Lidj Iyasu et son tuteur, le prince Bitwoeded Tesséma, s'ils rejettent votre volonté envers vous qui êtes leurs pères et frères et s'ils commettent des injustices contre vous sans raison », lance-t-il au clergé présent et à ses ministres. La prophétie résonnera tout au long des règnes d'Iyasu V et de celui de Hailé Selassie. Et dans la course à la colonisation, c’est la France qui se taille la part du lion et sera le principal fournisseur d’armes de l’empire. Une fois que le régent Tesséma s'est débarrassé de l'impératrice Taitou, à qui on a demandé d'aller soigner Menelik II, et  assuré son pouvoir en donnant le Harrar à Tafari, Lidj Iyasu devra attendre encore 4 ans avant de ceindre couronne. Son tuteur disparu en 1911, l'adolescent révèle des faiblesses qui inquiètent ses proches. Ses caprices, ses amours, ses plaisanteries agacent la noblesse et plus encore l'Abouna (Patriarche) d'Ethiopie. Iyasu s'efforce de montrer sa virilité sur les champs de bataille mais sa moustache naissante n'impressionne guère ses ministres qui regardent ses excès de sauvagerie contre les danakhils avec un certain mépris. Dans l'ombre, Tafari monte doucement les marches vers un trône qui lui tend les bras.

Iyasu vEt si durant la première guerre mondiale, Iyasu se montre volontiers conciliant avec la France, son adhésion à l’Islam fait naître un climat de suspicion chez les Alliés qui se méfient de ce monarque qui pourrait être tenté par une alliance avec la Turquie et l’Allemagne. Il va même se faire commander un arbre généalogique qui le fait remonter au prophète Mahomet. Ses relations avec « Mad Mullah », ce dhijdiste qui va donner du fil à retordre aux anglo-égyptiens dans le Soudan, préoccupent les Alliés qui surveillent ses moindres faits et gestes. Il se veut mystique et son comportement frise la folie. Durant les prêches faute de pouvoir entrer en transe, il boit du cognac afin de pouvoir jouer une comédie surréaliste. En 1916, il décide de déposséder Tafari du Harrar et ce dernier va franchir le rubicon, poussé par les nobles qui souhaitent éliminer le négus. Le 27 septembre de cette année, lors de la  grande fête chrétienne de Mesquel, Iyasu est déposé par Tafari Makonnen. L’Abouna Mattewos X (1843-1926) l’accuse publiquement d’apostasie et lui reproche d’avoir fait figurer sur le drapeau impérial des symboles islamiques. Effrayé, le négus doit prendre la fuite et se réfugie dans un de ses palais où il renonce à l’islam, récite credo sur credo entre deux crises de larmes, interpelle Monseigneur Jarosseau qui doit le consoler dans ses bras. Son père, Ras Mikael, tentera bien de soulever le pays durant deux ans mais avec la fin du conflit mondial, privé des subsides turcs et allemands, il est finalement capturé,  emprisonné et empoisonné en septembre 1918. Les Alliés exultent, reconnaissent Zaouditou et Tafari comme co-souverains de l’Ethiopie.

Lij iyasu avec ras makonnen tafariL’épisode Iyasu est loin d’être terminé. Il a encore des partisans qui luttent et harcèlent les troupes gouvernementales Tafari refuse à son cousin le droit de vivre en toute liberté sur ses terres et fait emprisonner le moindre ministre qui correspond avec l’ancien monarque. En janvier 1921, Iyasu est finalement capturé et mis en résidence surveillée. Tafari qui s’est mué en Hailé Sélassié demeure finalement le seul Rois des Rois en 1930 au décès de Zaouditou . C’est là qu’Iyasu décide de se réveiller. Avec la complicité du Ras Haïlou du Godjam, il s’évade, déguisé en moine, et tente de rejoindre les italiens dont ont dit qu’ils sont prêts à le restaurer sur son trône. Il va vite être dénoncé, ses amis arrêtés. Chaîne en or aux poignets, Iyasu est reconduit dans le Harrar, dans un wagon lit et sous forte escorte, afin de terminer ses jours dans la province. Mais à Rome, on voit les choses autrement et les divisions qui règnent au sein de l’empire sont de bons augures pour le duce Mussolini bien résolu à venger Adoua. Et peu importe que le négus exilé sombre dans la démence, il y a toujours son fils cadet Ménélik (17 ans) qui pourra monter sur le trône. Les agents italiens sur place se chargent déjà de dénoncer la mainmise des Amharas sur le pouvoir et de répandre la thèse de l’empoisonnement d Iyasu lorsque celui-ci meurt assez mystérieusement en 1935. Les partisans de la branche iyassouiste proclame alors empereur Ménélik III mais le monarque n’a aucun réel pouvoir ou influence. D’ailleurs, il est à Djibouti sous protection française qui le garde sous la main, sait-on jamais ce que les événements vont décider. Il ne reviendra en Ethiopie qu’en 1971, pour s’occuper d’une ferme dans le Harrar où il décède onze ans plus tard.

Girma yohannes iyasu en 1991L’invasion de l’Éthiopie par l’Italie (1935-1936)  permettra à nouveau aux partisans de la branche Iyasu de faire valoir leurs droits au trône. Une maison qui se divise face à cette menace qui, selon elle, va rapidement s'écraser. Le fils aîné d’Iyasu IV, Yohannes, est resté fidèle au nouveau négus. Il participera à cette guerre de libération et dont les armes proviennent d'achats effectués auprès du régime nazi qui refuse d'aider les fascistes dans leur périlleuse aventure coloniale. Une fois la victoire remportée, les Italiens décident enfin de se passer des Iyasu dont le sort suivra celui de l'histoire de la fin de la monarchie éthiopienne. Une fois le Negus revenu dans les voitures de l'armée britannique, le prince Yohannes Iyasu se retourne contre son protecteur et participe à un complot contre Hailé Sélassié en 1942. Exilé, il est libéré lors de la révolution de 1974 qui étouffe le dernier Roi des Rois. Quand il meurt trois ans plus tard, c'était son fils, le prince Girma Yohannes Iyasu qui reprend la succession d’une lignée quasi oubliée des éthiopiens et dont l’image a été largement ternie. En 1973, son père l’a envoyé à Djibouti. La chute de l’empire l’exilera vers l’Allemagne et il ne reviendra qu’en 1991. Le Derg marxiste tombé, il peut enfin poser les pieds dans son pays, se fait acclamer par quelques partisans mais qui restent encore aujourd’hui très minoritaires au sein du monarchisme éthiopien. Professeur d’université, il réclame en 1999 que les restes de son aïeul soient enterrés dans la Cathédrale de la Sainte Trinité où reposent divers membres de la maison impériale. Le gouvernement s’empare de l’affaire et provoque un immense débat au sein de la mouvance monarchiste qui accueille mal ce retour des prétentions iyassouistes. D’autant que l’Abuna Paulos, sans revenir sur l’excommunication d’Iyasu V, affirme dans la presse que l’ancien monarque « n’a jamais renoncé à sa foi chrétienne ».  Retraité et panafricaniste anti-trumpiste assumé, Girma Yohannes Iyasu a été longtemps le leader du Parti démocratique éthiopien avant que ce parti soit dissous en mai 2003.  En novembre dernier, sur sa page Facebook, il a condamné les exactions du Front Populaire de Libération du Tigré et a réclamé que ses leaders soient traînés  devant le tribunal des droits de l'homme pour génocide. 

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Date de dernière mise à jour : 07/01/2021

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