Les monarques de Côte d’Ivoire, arbitres de l’élection présidentielle

Chambre des rois« Les Rois et Chefs traditionnels sont soumis aux obligations de neutralité, d’impartialité et de réserve. Ils doivent s’abstenir d’afficher leur appartenance politique ». Dauphin désigné du président Alassane Dramane Ouattara, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly est décédé peu de temps après avoir été opéré à Paris, le 8 juillet. Un décès qui a contraint le dirigeant ivoirien à se représenter pour la troisième fois en dépit de la constitution qui limite la présidence de la République à deux mandats. Mise en place en 2015, la Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels de Côte d’Ivoire est une institution courtisée par tous les candidats au strapontin suprême. L’annonce de la candidature d’Ouattara, lui-même descendant des empereurs de Kong, a profondément divisé ces monarques  dont les pouvoirs et le rôle traditionnels contribuent à assurer la stabilité et le maintien de l’unité au pays des Éléphants.

Inauguration de la chambre nationale des rois et chefs traditionnelsC’était une promesse de campagne du président Alassane Dramane Ouattara. En octobre 2015, la Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels (CNRCT) a été inaugurée en grande pompe à Yamoussoukro, la capitale politique de la république de Côte d’Ivoire. Plus de 300 souverains et chefs traditionnels, diplomates étrangers, étaient venus écouter religieusement le discours du chef de l’état qui avait décidé de redonner « son rôle de gardien de la tradition et d’acteur de premier plan » à ces monarques souvent dépossédés de leurs trônes par l’ancien colon français. « Avec l’installation du directoire de la Chambre nationale des rois et chefs traditionnels, notre pays change profondément son environnement institutionnel. Vos Majestés, vous avez maintenant un cadre affirmé, (...) engagez votre autorité morale pour promouvoir la cohésion sociale en Côte d’Ivoire » avait alors déclaré le chef de l’état, lui-même descendant des empereurs de Kong, un puissant état qui avait dirigé le nord de la Côte d’Ivoire durant un siècle et demi avant de succomber aux assauts de l’Almany Samori Touré en 1898.

Les rois et chefs traditionnels simmiscent dans la politiqueA l’approche de l’élection présidentielle, les candidatures pour la succession du président Alassane Dramane Ouattara se sont vites multipliées d’autant que ce dernier ne peut se représenter pour un troisième mandat comme l’indique la constitution ivoirienne. La mort inattendue de son dauphin, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly, a contraint l’ancien premier ministre du Président Djah Félix Houphouët-Boigny (de 1960 à 1993) a de nouveau se jeter dans l’arène, invoquant « un cas de force majeure ».  Une annonce qui a semé l’émoi parmi les rois de Côte d’Ivoire. Si la chambre a, au départ, affirmé qu’elle soutiendrait le président sortant, des voix discordantes se sont faîtes rapidement entendre parmi ces monarques que chaque candidat au strapontin suprême tente de rallier afin d’obtenir les voix des populations sur lesquels ils règnent. Le 9 août dernier, les rois et chefs traditionnels du centre du pays se sont réunis au palais du roi Kongo Lagou III afin de manifester leur rejet de cette candidature qui va devoir faire l’objet d’un amendement constitutionnel. « Depuis quelques jours, l'actualité nationale est dominée par les tractations autour de la prochaine élection présidentielle (…), certains de nos pairs, rois et chefs traditionnels, ont décidé contre toute attente, de fouler aux pieds les textes régissant notre corporation » peut-on lire dans le communiqué qui a suivi cette réunion.  Sont directement visées les monarchies qui sont dans le Grand Nord et le Sud-Comoé. Les souverains ont appelé leurs alter-egos « à se ressaisir et à observer scrupuleusement, les notions de neutralité, d’impartialité et de réserve » qui incombent à leur charge royale et que le stipule l’article 6 des statuts de la chambre.  Des souverains qui doivent aussi « s’abstenir d’afficher leur appartenance politique » peut-on également lire dans ces mêmes statuts. Hors, l’appel des rois du Centre n’est pas dénué de sens politique. Ils sont eux-mêmes un soutien non négligeable à l’ancien président Henri Konan Bédié (de 1993 à 1999) qui est un concurrent direct au président Ouattara et démontrent ici qu’ils sont loin d’être de simple chefs de village vivant dans des cases en paille à l'ombre du grand baobab.

Le roi de sanwi amon ndouffou vPortant couronnes, colliers et bracelets en or massif, vivant patfois dans de véritables palais, ils sont « ce maillage traditionnel installé dans tout le territoire et qui fonctionne parallèlement à l'organisation politique du pays. Le poids de ces rois est important dans de nombreuses décisions locales mais parfois aussi nationale » expliquait en mars dernier le magazine « Le point » et où s’entremêlent aussi des rivalités religieuses et ethniques. Durant la crise du coronavirus, les rois de Côte d’Ivoire, « incarnation du peuple et garant de la prospérité générale » ont été chargés d’éduquer leurs sujets sur les règles sanitaires à respecter. Avec succès.  Récemment, un des rois de Côte d’Ivoire, Amon N’Douffou V du Sanwi, a également attiré l’attention des médias français en promettant des millions pour la reconstruction de la cathédrale  Notre Dame de Paris, victime d’un incendie l’année dernière.  

La couronne du roi bonzou iiTout n’a pourtant pas été au beau fixe pour ces souverains à l’aube de l’indépendance. Bien que prince des Akoués, une sous-ethnie Akan (le principal groupe ethnique de Côte d’Ivoire parmi lesquels on compte les Baoulés, les cousins des rois Ashantis du Ghana) , Houphouët-Boigny avait considérablement réduits les pouvoirs de ces rois dont ils se méfiaient et dont certains avaient montré quelques velléités d’indépendance. Le Sanwi fut un de ces royaumes qui tenta durant toute une décennie de faire sécession avec l’aide du Ghana voisin et qui se souleva militairement. Il faudra attendre le début des années 1980 pour qu’il retrouve grâce auprès du pouvoir républicain.  Durant la guerre civile (2002-2011), ils vont jouer un rôle de médiation comme avec Nanan Boa Kouassi III, un de ces souverains qui va contribuer à la constitution de la Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels. Ce roi de l’Indénié expliquait ainsi l’importance de leur régalia : « Vous savez que depuis l’époque coloniale, les chefs traditionnels ont toujours été confinés dans leur simple rôle d’intermédiaire entre l’administration étatique et les populations. Si à une époque antérieure, ce rôle pouvait être exécuté sans trop de contraintes, la situation a considérablement progressé avec l’évolution du temps. De plus en plus, le rôle du chef traditionnel est prépondérant. La gestion de la succession sur le trône dans chaque région royale revient à chaque royaume concerné. C’est aux dignitaires d’un espace royal d’investir leur roi sur la base des règles traditionnelles ou ancestrales que les populations de la zone ont établies.  Le roi a un véritable statut de leader [en Côte d’Ivoire]» pouvait-on lire dans les colonnes du journal « Fraternité Matin ».

Le roi de grand bassam sud est amon tanoeUne candidature qui a provoqué des émeutes comme à Bonoua où le commissaire de Police n’a dû son salut qu’en se réfugiant au palais du roi des Abouré, Nanan Miézan Kacou Venance installé récemment après une longue querelle dynastique. Lequel a sorti ses attributs pour palabrer avec la foule en colère qui attaquait les symboles du pouvoir ouattariste. Président de la Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels, le roi de Grand-Bassam, ancienne capitale coloniale, Nanan Amon Tanoé a rappelé à tous ses pairs que «le rôle des rois était garantir l'unité nationale comme la cohésion sociale tout en sachant s'affranchir des chapelles politiques ». Loin d’être des reliques exotiques, les rois et chefs traditionnels de Côte d’Ivoire restent indubitablement les arbitres incontournables de cette élection présidentielle.

Copyright@Frederic de Natal

 

Date de dernière mise à jour : 18/08/2020

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