Le royaume Sanwi de Côte d'Ivoire

« Paris vaut bien une messe, un lieu de messe parisien incendié vaut bien une larme africaine ».

Damien Glez, dessinateur, 2019

 

 «Je suis en pleine consultation avec mes notables, nous allons faire un don pour la reconstruction de ce monument ». En annonçant son intention d’aider les autorités françaises à rebâtir la cathédrale de Notre Dame de Paris, ravagé par un incendie, le roi  Amon N’Douffou V a créé le buzz. Pour la majorité des français, le royaume du Sanwi est inconnu de leur cartographie. Situé à la pointe sud-est de la Côte d’Ivoire, soudainement retrouvé propulsé en tête des principaux titres de la presse française, il a pourtant été étroitement lié à notre histoire nationale, de Louis XIV au Général de Gaulle, en passant par Louis-Philippe Ier. Fond de décor d’un des films les plus populaires de l’Hexagone, encore aujourd’hui,  il compte parmi ses habitants, un chanteur de renommée 40internationale insoupçonné. 

En descendant de l’avion, une chaleur moite vous envahit très rapidement. Une fois les formalités de douane accomplies à l’aéroport international Felix Houphouët-Boigny, du nom du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, il faut plus de 2 heures de route pour rejoindre la capitale du royaume du Sanwi. Akwaba (bienvenue) à Krindjabo, le siège d’une maison royale qui a noué son destin à celui de la France à travers les siècles. Bien avant le congrès de Berlin qui va tracer à la règle les frontières des futures colonies que vont se répartir les grandes puissances européennes (1885), l’Afrique est divisée en de multiples royaumes ou empires qui se font la guerre quand ils ne s’annexent pas les uns aux autres. Fuyant les conflits tribaux qui ravagent l’actuel Ghana, les Agnis-Sanwi du roi Amalaman Anoh finissent par soumettre les autres ethnies avoisinantes pour s’imposer dans cette sous-région de l’Afrique de l’Ouest. Le krindjabo, un cerisier, devient l’épicentre d’un royaume qui va devenir florissant.

C’est la compagnie de Guinée  qui va établir les premiers contacts avec le Sanwi, vers la fin du XVIIème siècle. Louis XIV règne en France et le commerce triangulaire bat son plein. On ne se risque pas à pénétrer dans les terres, les commerçants d’esclaves attendent patiemment sur la plage que les rois ramènent leur propre cheptel humain, capturé au cours de razzias. Une de ces rafles tragiques donnera lieu à un des romans les plus célèbres de la littérature américaines, « Racines ». Mais pour le royaume de France, ce sera Aniaba, un prince d’Assinie, dont la ville est inféodée au royaume du Sanwi dirigé alors par son père, le roi Zéna. Et si ses plages, paradis des surfeurs, ont servi de lieu intégral de tournage au film « Les Bronzés» en 1978,  l’avenir de cette altesse royale va se jouer en France. Confié aux bons soins du chevalier d’Amon et du huguenot Jean-Baptiste du Casse, Aniaba est ramené à Paris. Désireux de pénétrer dans la cathédrale de Notre Dame de Paris, il est touché par la grâce nous raconte l’histoire. Mis sous la protection de Bossuet, il est baptisé en 1691 comme chrétien avec pour parrain, le roi-soleil dont il prend le prénom. Coqueluche de la cour de Versailles, ce jeune homme à la peau d’ébène suscite curiosités et fantasmes. Tant et si bien, qu’on lui confie même un grade d’officier et un régiment. Aniaba devient le premier prince de couleur à commander l’armée royale. Un ordre de chevalerie sous le nom de l'Ordre de l'Étoile de Notre-Dame sera même créé en 1701 à son intention.

41Revenu dans son pays, il oubliera vite ce qu’il doit à Dieu pour renouer avec le fétichisme mais sans pour autant retrouver ses prérogatives. D’ailleurs un mystère entoure Aniaba. Etait-il vraiment un prince de sang royal ou un esclave substitué que les marchands vont manipuler pour escroquer un entourage en quêté d’exotisme ? Il finira par être conseiller de roi, se ralliera tantôt aux anglais, tantôt aux hollandais, on évoque même sa présence en 1703 à Libourne, dans le bordelais. Et de disparaitre des écrans radars de la monarchie Bourbon.

« Black or white » (“noir ou blanc”) ? Titre d’une chanson extraite de l’album Dangerous, sorti en 1991  et où on peut voir un court instant le chanteur Mickael Jackson danser entre quelques guerriers africains dans ce qui ressemble à une savane plus ou moins reconstituée, résume toute la complexité du Sanwi dont l’histoire se retrouve entre deux continents. Comme le défunt roi de la POP  dont les origines africaines de sa famille plongent dans le Sanwi. En 1992, il avait fait une visite remarquée en Côte d’Ivoire et avait été sacré prince dans la plus grande tradition du royaume Sanwi. C’est ici que la famille Jackson avait retrouvé la mémoire de son ancêtre, un jour enlevé par des esclavagistes pour un voyage sans retour vers la plantation de Gale, au Sud des Etats-Unis. 150 ans plus tôt cette visite, un certain amiral Bouët-Willaumez avait pris possession de la Côte des dents (ici surnommée en raison du trafic d’ivoire) et installe divers forts aux noms prestigieux comme Joinville et Nemours à Assinie et Grand-Bassam.

Un épisode peu connu de l’histoire de France, le roi Louis-Philippe Ier avait initié un vaste projet de colonisation des côtes de l’Afrique de l’Ouest afin de faire barrage aux anglais qui lorgnaient sur la future Côte d’Ivoire (ils s’installent à Grand Bereby pour développer des plantations de caoutchouc). Au centre de cette lutte, le Sanwi du roi Amon N’Douffou II. Il règne depuis 2 ans et sa montée sur le trône s’est faîte dans des circonstances troubles. Son oncle et prédécesseur a été assassiné par sa tante et il est fortement contesté. L’arrivé de ces toubabs (blancs en dioula) est une opportunité qui lui permet de sécuriser son pouvoir. Un traité de protectorat est signé en juillet 1842 et que rejoindra le roi Peter de Grand-Bassam. Il mentionne sans contexte que le Sanwi reste un royaume indépendant (article 2).

42A la veille des indépendances, le roi Amon N’Douffou III part à Paris et demande à rencontrer le général de Gaulle. Il réclame que son royaume soit reconnu comme indépendant mais le héros de la Libération refuse de le recevoir. Pour lui la cause est entendue, la Côte d’Ivoire reviendra à Felix Houphouët-Boigny, un ancien ministre de la république française et leader syndical. Le souverain n’aura pas plus de succès avec le Secrétaire-général de la République pour les affaires africaines et malgaches, Jacques Foccart, qui lui oppose une fin de non-recevoir. Le gouvernement Français  renverra la délégation immédiatement vers la Côte d’Ivoire sans même étudier ses doléances en avril 1959.

Le royaume refuse de voter lors des premières élections législatives démocratiques du pays. 25% des habitants du Sanwi se déplaceront à peine pour voter. Le roi mandate alors des avocats pour faire pression sur le gouvernement français. Félix Houphouët-Boigny menace le 5 mai suivant et traite le souverain de « roi borné qui demande le maintien des liens périmés avec la France ». C’est l’escalade et durant presque une décennie, le Sanwi est en guerre armée ouverte contre Abidjan. Avec l’aide du Ghana qui entend bien déstabiliser son rival.

Un temps emprisonné, Amon N’Douffou III s’enfuit à Accra, tente en vain de faire reconnaître son royaume auprès de l’Organisation de l’unité africaine (1962). En décembre 1966 le Mouvement de Libération du Sanwi pénètre de nouveau en Côte d’Ivoire. Cette incursion sera de courte durée et la répression sera opérée dans le silence. Le pays Agni est ainsi calmé. En 1969, Amon N’Douffou III envoie d’autres émissaires vers le président ivoirien qui vient juste de reconnaître la République sécessionniste du Biafra, au Nigeria. Pour toutes réponses, celui-ci les fait arrêter et embastiller pendant un an. Un non-sens pour le Sanwi.

43 1Mais ce n’est qu’en 1981 que le Sanwi, soit 2 ans après la mort du roi N’Douffou III, acceptera finalement de se réconcilier avec Félix Houphouët-Boigny, inamovible président jusqu’à sa mort en 1993. Un nouveau roi, le pays vit avec les soubresauts que traverse la Côte d’Ivoire. Lors de la guerre civile (2002-2010), le Sanwi se retrouvera même avec deux souverains, un pour chaque camp.

En 2005, Amon N’Douffou V monte sur le trône, reconnu de tous pour ne plus le quitter depuis. «Les images (de l'incendie) ont troublé mon sommeil et je n'ai pas pu passer la nuit, car cette cathédrale représente un lien fort entre mon royaume et la France» a déclaré cette haute instance royale de Côte d’Ivoire. Tout un symbole. Mais c’est à l’hebdomadaire Jeune Afrique que revient la conclusion : Si « Paris vaut bien une messe, un lieu de messe parisien incendié vaut bien une larme africaine ». Le Sanwi a organisé des messes de soutien, a pleuré la perte de cette vieille dame qui avait accueilli un jour, Aniaba, son prince.

 

Copyright@Frederic de Natal

21/04/2019 

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