Rosa Paula Iribagiza évoque son frère, 60 ans après son meurtre

Rosa Paula Iribagiza MwambutsaAlors qu’il déjeunait dans un luxueux hôtel de Bujumbura, capitale du royaume du Burundi, le prince Louis Rwagasore s’écroule d’un coup, la chemise tâchée de sang dans le dos. Très rapidement, son assassin, un jeune grec, est arrêté. Dans la colonie belge, ce 13 octobre 1961, c’est l’émoi et la stupéfaction. Le fils du roi Mwambutsa IV venait juste de remporter les élections législatives sous les couleurs de son parti l’UPRONA, ultime chapitre d’une histoire tumultueuse qui devait mener ce pays des Grands Lacs vers sa pleine indépendance. 60 ans plus tard, la princesse Rosa Paula Iribagiza Mwambutsa, sœur de Rwagasore, a tenu à partager ses souvenirs lors d’une interview exclusive aux médias de son pays. 

Prince Louis Rwagasore« Je suis la petite sœur de Rwagasore, j’avais une petite sœur Régine, elle est décédée ainsi que (le roi) Ntare V qui n’est plus de ce monde également ». A 87 ans, enfermée dans une impeccable robe turquoise, la princesse Rosa Paula Iribagiza Mwambutsa est des prétendantes au trône du Burundi. Députée du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) entre 2005 à 2010, ce n’est pas une inconnue des Burundais. La dernière fille vivante du roi Mwambutsa IV est aussi la sœur du héros de l’indépendance arraché brutalement à la vie par un complot organisé par les colons et leurs alliés. Six décennies après son assassinat sur les bords du lac Tanganyika, la princesse se souvient de ces événements tragiques qui ont marqué l’histoire de son pays.

Mwambutsa IV« Il rentrait de la République démocratique du Congo(-Kinshasa), où il avait participé à la célébration de l’indépendance de ce pays. Il était vraiment intenable, il jurait que nous devrions aussi acquérir notre indépendance à tout prix » raconte la princesse Rosa Paula Iribagiza Mwambutsa. Le Burundi était passé sous la juridiction des belges après la première guerre mondiale et les autorités coloniales avait rapidement procédé à un classement racial des principales ethnies du pays. Monarchie reconnue par le pouvoir colonial, c’est une minorité, les Ganwas, qui régnait sur les trois autres ethnies recensées du pays, les hutus, les tutsis et les twas (pygmées). Mwambutsa IV est monté sur le trône en 1915 et cherchait à s’émanciper de la tutelle coloniale par tous les moyens.  « Mon père a donné carte blanche à son fils mais les blancs ne le voyaient pas de cet œil » explique la princesse. Dans le viseur de sa mémoire, le Résident-Général Jean-Paul Harroy qui estimait que le prince Louis Rwagasore n’était « qu’un agitateur, un animal qui voulait faire de la politique ». Lorsqu’il créé l’Union pour le progrès national (UPRONA), la Belgique va réagir promptement et tenter de mettre au pas ce prince rebelle. A contrario du Rwanda et du Congo belge qui connaissent une décolonisation particulièrement violente, noirs contre noirs, blancs contre noirs, Louis Rwagasore rassemble autour de lui toutes les ethnies et accroit sa popularité sans violence aucune. 

Micombero ( à gauche) et le roi Ntare V ( au centre)En septembre 1961, l’UPRONA remporte la quasi-totalité des sièges du parlement (soit 58/64) contraignant la Belgique à amorcer un processus de décolonisation avec sa colonie de l'Urundi. Pour Jean-Paul Harroy, il faut arrêter à tout prix l’étoile montante de cette monarchie et renverser le cours de l'histoire. « Je suis très reconnaissante envers les musulmans car ils ont sauvé sa vie à 3 reprises » explique Rosa Paula Iribagiza Mwambutsa. « Le père de Hussein Radjabu (stratège déchu du CNDD-FDD) , Fundi Radjabu, l’a dissimulé dans son camion alors que Rwagasore était traqué. Un scénario qui s’est renouvelé une seconde fois avant que Harroy n'envoie des tueurs à gage pour l’éliminer. Cela a échoué car il a pu se dissimuler sous des habits de femme musulmane portant un voile intégral » poursuit la princesse qui s’amuse de la suite. « Imaginez la tête de Harroy quand il a vu débarquer chez lui le prince Rwagasore en costume, venir signer l’acte d’indépendance alors qu'il le croyait mort » se rappelle sa sœur. 

Rosa Paula Iribagiza« Il était le fils du roi, le peuple devait le suivre » déclare la princesse qui jette encore un regard attendrissant sur le prince Rwagasore ». ll était mû par son amour pour son pays, Il ne voulait pas qu’une goutte de sang soit versée dans ce pays. » renchérit Rosa Paula Iribagiza Mwambutsa. « « Je me souviens comment les commerçants avaient été très contents de la création des coopératives. Louis Rwagasore avait commencé à apporter les tôles, le riz et autres. Et puis tout d’un coup, tout s’est arrêté ». Le 13 octobre 1961, caché derrière un buisson, Jean Kageorgis, tire sur le premier ministre désigné par les urnes. Il a été armé par le parti colonial belge et ses alliés du Parti démocrate-chrétien dirigé par une branche mineure de la maison royale. Tous les protagonistes seront passés par les armes ou pendus entre juin 1962 et janvier 1963. « Il voulait que l’on soit simplement souverain » rappelle d'une voix très douce la princesse Rosa Paula Iribagiza Mwambutsa. 

Les événements vont bientôt s’enchaîner et à peine indépendant, le pays sombre dans les massacres ethniques, les rivalités de pouvoirs qui vont coûter son trône à Mwambutsa IV, renversé en juillet 1966 par son fils Charles Ntare V.  Un monarque qui ne régnera que 4 mois avant d’être lui-même la victime d’un putsch organisé par son protecteur, le capitaine Michel Micombero, son beau-frère. En avril 1972, la république du Burundi se débarrassera de Ntare V en le faisant assassiner. Si le corps de Rwagasore repose dans un mausolée, celui du mwami Ntare V n’a jamais été retrouvé. Ces dernières années, la restauration de la monarchie a été évoquée au Burundi et l'idée a été incorporée dans sa nouvelle constitution. 

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Date de dernière mise à jour : 12/10/2021

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