Le monarchisme burundais, une histoire tumultueuse
Le monarchisme burundais, une histoire tumultueuse
Depuis des années, le Burundi connaît des tensions ethniques et politiques exacerbées. Au cœur de ce bouleversement, la possibilité de rétablir la monarchie, introduite dans la constitution de 2018, ravive les débats sur le rôle de la royauté dans la stabilité du pays. Des figures issues de la famille royale se sont repositionnées alors sur la scène politique, témoignant de l’influence persistante de cette institution abolie depuis 1966.
Lorsqu’en 2015, le président Pierre Nkurunziza annonce son intention de briguer un troisième mandat en dépit de la constitution qui n’en autorise que deux, il plonge le Burundi dans une grave crise ethnique. Manifestations réprimées, fuite du vice-président qui dénonce des « pressions énormes sur fond de menace de morts », le pays semble renouer alors avec ses démons ethniques d'antan. Une tentative de coup d’état et une rébellion armée vont secouer le régime né des cendres d’une guerre civile qui a duré trois décennies (1993-2005). Pierre Nkurinziza décide alors de faire modifier la constitution afin de répondre aux attentes des Burundais.
La constitution burundaise prévoit le retour de la monarchie
Soumise à référendum, la constitution est adoptée en mai 2018 avec 79% des voix. Parmi les nombreux articles qui prévoient un seul vice-président, le maintien des quotas ethniques au Parlement, la création d’un septennat, se trouve aussi celui sur la possibilité de rétablir la monarchie sur consultation populaire. Il en faudra peu pour que les médias locaux s’enflamment et imagine le retour de l’institution royale abolie lors d’un putsch en 1966. D’autant que la princesse Rosa Paula Iribagiza, 90 ans, une des prétendantes au trône, reste proche du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), dont elle a été une députée entre 2005 et 2010.
Le mouvement monarchiste à nouveau autorisé avec l'adoption du multipartisme
C’est lors de l’adoption du multipartisme en 1992 que l’idée monarchique a fait son retour dans cette partie des Grands lacs. Ancien compagnon du mwami (roi) Ntare V, le dernier monarque du Burundi, lâchement assassiné deux décennies auparavant, Matthias Hitimana rentre d’exil et fonde le Parti royaliste Parlementaire (PRP). Très rapidement, il se retrouve confronté à l’animosité du gouvernement qui lui rappelle sèchement que son mouvement contrevient aux principes républicains du pays. Hitimana prend acte et le renomme en Parti de la Réconciliation du Peuple. Ce qui lui permet de participer à la première élection multipartite de l’histoire du pays (1993). Le candidat du PRP n’obtiendra que 2% (soit 33000 voix) lors de ce scrutin. Pas assez pour restaurer la monarchie, mais suffisamment pour devenir un joker des deux principaux partis (UPRONA et FRODEBU) qui représentent chacun leur ethnie, les Tutsis et les Hutus.
Les royalistes obtiennent des sièges au gouvernement
Avec le déclenchement de la guerre civile suivant l’assassinat du président (Hutu) Melchior Ndadaye en octobre 1993 puis de son successeur Cyprien Ntaryamira abattu le 7 avril 1994 avec son homologue rwandais, les monarchistes entendent jouer leur carte. Le rôle joué par Matthias Hitimana durant le conflit est entouré de controverses. On évoque l’existence de milices royalistes et toutes les manifestations monarchistes sont vite réprimées. Un passage par la case prison et une mise en résidence surveillée (1994) n’entame pas les convictions de Matthias Hitimana. Son parti sera néanmoins autorisé à participer à l'accord d’Arusha (2000) signé entre les différents partis d’opposition. Les royalistes obtiennent le droit de militer « pacifiquement en faveur de la restauration de la monarchie ». Matthias Hitimana devient même ministre de l’Énergie (2000-2001). Ses diatribes anti-gouvernementales lui vaudront l’animosité du Président-Major Pierre Buyoya qui finit par le contraindre à la démission. Pour le PRP, c’est désormais l’heure de la crise. Hitimana est de plus en plus contesté et si son parti continue de participer au gouvernement (avec le ministère des Réformes Institutionnelles et des Droits de l’Homme), l’aventure se termine avec son décès en 2004.
Eclatement du mouvement royaliste
Des dissensions entre royalistes finalement émerge le Parti pour la restauration de la monarchie et le dialogue (plus connu sous le nom de Abahuza : « Rassemblez-vous »), le 20 septembre 2004. Il est dirigé par le prince Godefroid Kamatari (1957-2005), neveu du roi Mwambutsa IV ( 1911-1977) qui entrevoie la possibilité d’imposer l’idée monarchique comme seul élément de stabilité pour le Burundi. « La monarchie a duré 500 ans au Burundi dans un environnement politique de stabilité et de cohabitation parce que le roi était le symbole de l'unité nationale », déclare le frère de la princesse Esther Kamatari, alors mannequin en France pour des marques de haute couture. C’est elle qui succède à son frère à son décès et qui se porte candidate à l’élection présidentielle de 2005 face à Pierre Nkurunziza. En dépit d’une forte médiatisation internationale, la princesse n’obtiendra qu’un très faible score ne lui permettant pas de s’imposer sur la scène politique locale (elle obtient toutefois un élu à Bujumbura, l'ancienne capitale). Autre prétendante au trône, elle se mue progressivement en opposante au régime du CNDD-FDD. Le gouvernement décide finalement de dissoudre Abahuza en 2014.
Apogée du mouvement monarchiste
Aujourd’hui, seul le Parti monarchique Parlementaire (PMP) fondé par Guillaume Ruzoviyo, membre de la famille royale, maintient la flamme monarchique. Malgré l’absence d’élus parlementaires, le PMP a rejoint une alliance de gouvernement avec le CNDD-FDD et appelé à voter en faveur du Président Pierre Nkurunziza, puis de son successeur, le général Évariste Ndayishimiye (2020). Pierre Nkurunziza est le fils d'un ancien député monarchiste, assassiné lors de la tentative de coup de putsch en 1972. C'est lui qui va d'ailleurs largement réhabiliter la monarchie défunte en restaurant sa devise sur le mausolée du prince Louis Rwagasore, fils du roi Mwambutsa IV, Premier ministre assassiné par un colon en 1961. C'est encore lui qui décide de faire de Gitega, ancienne capitale de la royauté défunte, le nouveau centre du pouvoir burundais. Paralléllement, Guillaume Ruzoviyo obtient même d’être nommé ambassadeur en Russie (2010-2015). C’est donc tout naturellement que les monarchistes burundais vont soutenir la nouvelle constitution. Bien qu'il rest un parti mineur, les monarchistes burundais donnent de la voix, relayée par la maison royale très active, notamment au sein de la diaspora. À diverses reprises (encore dernièrement en mai 2024), les monarchistes ont appelé à la reprise des recherches du corps du roi Ntare V qui a mystérieusement disparu. Un corps disparu au centre d’une dispute lors du soixantième anniversaire de l’indépendance (2012) entre les deux prétendantes au trône. Décédé en 2021, le leader du PMP, membre de la Maison royale, a laissé derrière-lui un parti orphelin quoique toujours proche du gouvernement.
? «Il faut que l'Afrique prenne conscience de sa richesse, sa jeunesse et sa puissance. Les Africains doivent prendre et garder confiance en eux et en l'Afrique. Les barrières sont dans la tête»- @EKAMATARI , Ambassadeur itinérant de la République du Burundi.… pic.twitter.com/7nKT4oWMx8
Une querelle dynastique agite le monarchisme burundais
La maison royale du Burundi demeure divisée. Même si l’heure est à la réconciliation entre les deux prétendantes qui se sont opposées devant un tribunal suisse. À l’origine de ce contentieux, les restes du roi Mwambutsa IV que le gouvernement de Pierre Nlurunziza souhaitait rapatrier. Testament du monarque à la main, c’est la princesse Esther Kamatari qui a remporté cette joute juridique (2017). Nommée ambassadrice itinérante de son pays (2024), la princesse a cessé cependant toute activité politique pour se consacrer à la promotion des innovations écologiques en Afrique (notamment au Mali). La princesse Rosa-Paula s’est rendue le 13 octobre dernier à Bruxelles afin de commémorer le 64e anniversaire de la mort du prince Rwagasore auprès de la diaspora burundaise et d'entretenir le souvenir de celui qui est un héros national.
Bien qu'aucun signe ne laisse penser que la monarchie pourrait revenir au Burundi dans les années à venir, l’idée reste très présente dans la région des Grands Lacs. Demain, l'avenir de la monarchie dépendra en grande partie de l’évolution politique du pays, toujours fragile en raison des tensions ethniques persistantes.