13 octobre 1961, le prince Louis Rwagasore déjeune paisiblement au restaurant de l’Hôtel Tanganyika. Il a le sourire d’un homme qui vient de remporter une large victoire aux élections législatives un mois auparavant. Il est le leader de l’Union pour le progrès national (UPRONA), le parti du Mwami (roi) Mwambutsa IV dont il est le fils aîné, et la puissance coloniale belge a dû accepter sa nomination comme Premier ministre. Soudain, des coups de feu claquent, brisant l’air chaud de la capitale, Bujumbura. Louis Rwagasore s’effondre, la tête sur la table, le sang inonde le dos de son costume trois pièces, les bras sont tombés le long de son corps. Caché dans un buisson, un jeune belgo-grec vient d’assassiner le père de l’indépendance du royaume du Burundi. 57 ans après ce meurtre, la république, qui a succédé au régime monarchique, accuse aujourd’hui le royaume de Belgique d’avoir orchestré le meurtre du héros de la nation.
«Indépendance cha-cha tozuwi ye ! Oh Kimpwanza cha-cha tubakidi. Oh Table Ronde cha-cha ba gagner o ! Oh Lipanda cha-cha tozuwi ye ! » (Nous avons obtenu l’indépendance. Nous voici enfin libres .À la Table Ronde nous avons gagné .Vive l’indépendance que nous avons gagnée). C’est sous ces notes de jazz africain venues du Congo voisin, la célèbre chanson du groupe « Grand Kallé », que danse le Burundi en septembre 1961. Plus de 80% de la population a voté en faveur de l’Uprona que le prince héritier (Tutsi-Ganwa) a fondée avec Paul Mirerekano (Hutu) en 1958. C’est un véritable succès politique pour un homme que la puissance coloniale belge a pourtant de faire taire en l’embastillant du 27 octobre et le 9 décembre 1960. Son amitié avec Patrice Emery Lumumba, futur chef du gouvernement Congolais, déplaît fortement au gouvernement du premier ministre du roi Gaston Eyskens comme son successeur Théodore Lefèvre.
« Le véritable commanditaire qu’est le Royaume de Belgique, puissance coloniale de l’époque qui était farouchement opposée à l’indépendance immédiate du Burundi, n’a pas encore rendu de comptes ». Le communiqué lu par le porte-parole du gouvernement est direct. Il désigne pour la première fois et de manière officielle la responsabilité du royaume belge dans l’assassinat de son prince royal.
Dans la cathédrale Regina Mundi de Bujumbura, les membres du gouvernement se sont réunis autour du président Pierre Nkurunziza. Députés, sénateurs, ministres, ambassadeurs, tous écoutent l’homélie de l’Archevêque, monseigneur Gervais Banshimiyubusa qui rend un vibrant hommage au fils de l’un des derniers souverains du Burundi. Dans l’assistance, la princesse Rosa Paula Iribagiza (photo), ancienne députée (2005-2010) et prétendante au trône d’une monarchie renversée en 1966 par un capitaine alcoolique, Michel Micombero. L’officier avait su se rapprocher du jeune roi Charles Ntare V et avait achevé de le convaincre de destituer son père en juillet. Son règne ne devait pas excéder 4 mois. Une tentative de coup d’état, sous couvert d’un des plus importants génocides de ce siècle, permettra au gouvernement de se débarrasser d’un monarque devenu trop encombrant, en le faisant exécuter (1972).
« Il faut surtout que les habitants du Burundi se sentent en paix et en sécurité, que personne ne se croit menacer et que chacun ait confiance dans la protection du Gouvernement. C’est pourquoi ce Gouvernement qui sera formé bientôt aura comme premier devoir de sévir sévèrement contre tout fauteur des troubles, les irresponsables quels qu’ils soient (…).Le Comité National de l’UPRONA sera sans pitié pour ceux de ses partisans qui ne respectent pas ce mot d’ordre impératif de courtoisie, de tolérance et de respect d’autrui, car le Parti ne tolérera pas que le prestige, l’honneur et l’avenir de la Patrie soient compromis par des paroles ou des gestes irréfléchis de quelques exaltés (…).Aux voleurs, agresseurs et bandits de toute espèce, nous annonçons une répression énergique et impitoyable, un châtiment dont ils se souviendront. Le peuple murundi vient de faire son choix et nous n’avons pas le droit de le décevoir en exerçant le pouvoir qu’il nous a délégué pour assouvir nos rancoeurs ou notre orgueil. Nous lui devons au contraire, de nous servir de ce pouvoir pour rassurer tous les hommes, augmenter le nombre de nos amis et apaiser les querelles entre Barundi. Il appartient aux partisans de l’Uprona, les plus importants davantage encore que les plus humbles, de donner l’exemple de cette volonté de concorde, de patience et de tolérance (…).Au peuple belge, j’ai l’honneur d’adresser un message de gratitude, la responsabilité que, vous belges, vous portiez, vous allez bientôt la transférer sur nos épaules et nous sommes conscients de nos devoirs. Nous vous demandons de nous aider à entreprendre l’avenir avec confiance, de continuer à nous aider avec générosité, à nous guider dans le respect de notre dignité, de nos intérêts et de notre propre conception de l’intérêt national.
Nous sommes devenus des enfants libres et adultes mais nous suivrons la tradition de notre peuple qui veut que les enfants restent respectueux et témoignent leur affection. Vous nous jugerez à nos actes et votre satisfaction sera notre fierté. Que Dieu nous aide et nous éclaire et que notre Mwami bien aimé en reste longtemps encore le sage garant, le père de la Nation». Extrait du discours du prince Rwagasore au lendemain de sa victoire électorale (58 sièges/64), il vient aussi de sceller son destin. La Belgique n’entend pas céder aussi facilement. Par l’entremise d’un médecin belge, elle finance la création du Parti démocrate-chrétien (PDC) de Joseph Biroli, fils du prince Pierre Baranyanka du clan des Batare. Pire dans le gouvernement, on impose à Rwagaosre la présence d’un belge comme …ministre de la défense.
« Après indépendance égal avant indépendance » écrit à la craie blanche sur un tableau noir le lieutenant-général Émile Robert Janssens devant les askaris congolais, supplétifs de la Force publique. Les tensions ethniques et raciales sont à leur paroxysme dans tout l’empire colonial hérité de Léopold II. La mort du prince, populaire, déclenche une forte émotion au Burundi. Une rapide enquête démontre l’implication du PDC. Baranyanka et ses deux fils sont arrêtés, pendus au stade de Gitega, le bras qui a porté le fusil, exécuté promptement. L’affaire est close.
Pas pour le président Pierre Nkurunziza qui entend que la vérité sur les motifs comme sur la réelle implication de la Belgique soit reconnus. Et pas que celui-ci. Le gouvernement « envisage de mettre sur pied une commission technique ad hoc pour enquêter sur les assassinats (…) du prince Rwagasore et des siens » précise encore le communiqué qui souhaite déterminer comment sont morts très étrangement les deux enfants en bas âge à quelques mois de différence du prince Rwagasore. Le gouvernement de l’époque a-t-il poussé le vice jusqu’à éliminer toute la famille du prince Rwagasore ?
Pour Ludo de Witte, écrivain, l’état belge porte une lourde responsabilité avérée dans ce meurtre. Dès les premières heures de l’assassinat, la presse belge fait déjà état des suspicions d’un assassinat planifié. Des décennies plus tard, de Witte démontrera, preuves à l’appui que les belges ont fait disparaître le corps de Lumumba dans des conditions particulièrement sauvages. Démembré à la scie, plongé dans un bain d’acide après l’avoir plombé de balles. Preuve de la culpabilité des belges pour la presse de l’époque, la gifle magistrale que la reine Thérèse Kayonga donnera au résident-général Harroy venu s’incliner sur la dépouille du prince. Dans ses mémoires, le concerné n’en fera pas état mais suggère une action individuelle de colons belges dans ce meurtre. Le ministère des affaires étrangères a-t-il tenté de manipuler l’instruction ? Pour le journaliste Guy Poppe, auteur d’un livre-enquête sur la mort de l’héritier au trône, en est persuadé et désigne le ministre des affaires étrangères Paul–Henri Spaak comme le véritable commanditaire de cet assassinat.
Le royaume a une « une part de responsabilité dans les différentes crises politico-ethniques qui ont endeuillé le Burundi depuis son indépendance » poursuit d’un doigt accusateur le communiqué de la présidence. Même au sein de la famille royale, les belges sont désignés auteurs du complot. Le prince Charles Baranyanka, frère du leader du défunt PDC, a décrit récemment dans son livre « Le Burundi, face à la croix et la bannière » que la responsabilité était « incontestable » de l’ancienne tutelle. Mais semble blanchir la Belgique «en tant que telle ». En prison, le meurtrier Kageorgis, ne veut pas être le seul à endosser son crime. Il rédige une lettre, accuse le pouvoir colonial. Ludo de Witte va même plus loin. Il soupçonne le premier ministre André Muhirwa, le successeur de Rwagasore, d’avoir « choisi la voie du compromis ». Les assassin exécutés, les belges ne seront pas inquiétés.
Quelle fut responsabilité du roi des Belges, « Kitoko Bwana Baudouin», dans cet assassinat ? Elle est trouble. « Les pièces d'archives ne laissent aucun doute : le roi Baudouin remue ciel et terre pour convaincre le gouvernement de sauver Kageorgis. Et par extension d'alléger le sort de ses cinq complices, qui pouvaient craindre qu'ils s’en sortiraient moins bien après l'indépendance aux mains des Burundais. Le roi et son chef de cabinet accablent le ministre Spaak de force lettres et rapports en vue de le persuader d’alléger le sort de l'assassin et de ses complices. Baudouin veut absolument que la grâce soit accordée au condamné à mort et qu’une amnistie soit proclamée en faveur des autres personnes déclarées coupables à l'occasion de l'indépendance. On a aussi proposé de transférer les condamnés au Rwanda, au Congo ou en Belgique pour qu’ils y purgent leur peine, éventuellement sous surveillance de l'ONU » écrit en 2013 Ludo de Witte.
Le parti monarchique burundais (PMP), conduit par Guillaume Ruzoviyo (photo), actuel Président Conseil de l’unité nationale et de la réconciliation, une officine gouvernementale créée par le président Nkurunziza, soutient activement depuis des années l’ouverture d’une enquête officielle au sujet de la mort du prince. « L’unité que prônait le prince Rwagasore a été perturbée mais elle n’a pas éclatée» se félicite le leader des monarchistes burundais, lointain cousin du prince.
« Raison pour laquelle le gouvernement du Burundi continue d’encourage la commission vérité et réconciliation de toute mettre en œuvre pour que la lumière soit faite sur tous les maux qui ont secoué le pays [à l’époque-ndlr] » peut-on encore lire dans le communiqué. Y a-t-il une affaire Rwagasore ? « La Belgique, de son côté, s'est dite ouverte au réexamen « sans tabous » de cette période « y compris les faits les plus tragiques » indique Radio France internationale. « Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a cependant mis en garde contre toute « instrumentalisation » de l'histoire, « y compris les faits les plus tragiques » rappelle encore la voix des français à l’étranger tant il est vrai que les relations entre le Burundi et la Belgique sont actuellement tendues. Le royaume ayant fortement critiqué la modification de la constitution qui a permis au président Nkurunziza de se représenter pour un 3ème mandat dans un certain climat de violences
« Des documents révèlent une implication de la Belgique. Bruxelles aurait donné son un feu vert pour se débarrasser de ce trublion fervent défenseur de l'indépendance » martèle sur RFI Ludo de Witte. Le gouvernement burundais a réclamé l’accès aux archives du royaume qui se dit prêt à les mettre à la disposition de ses anciens colonisés dont elle avait reçu le mandat en 1916. Le 13 octobre dernier, le gouvernement (photo) a déposé une gerbe de fleurs devant le mausolée de son prince royal. « « Il savait penser, pour son peuple, un avenir digne. C’est pourquoi il a pu le conduire vers une victoire que nous continuons à célébrer même aujourd’hui.» a rappelé Monseigneur Gervais Banshimiyubusa.
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Publié le 06/11/2018