Décès de Guillaume Ruzoviyo, prince de la Maison royale des Ntare

Guillaume Ruzoviyo Photo@IsanganiroLe monarchisme burundais vient de perdre un de ses chantres. Prince de la maison royale Ntare, l'Umuganwa mwezi Guillaume Ruzoviyo s’est éteint à l’âge de 65 ans, le 29 mars dernier. Fondateur du Parti Monarchiste Parlementaire du Burundi (P.M.P.), il avait réussi à faire émerger, au plus haut niveau politique, une mouvance qui avait retrouvé tous ses éclats peu de temps après le retour du multipartisme en 1992. Ancien Ambassadeur de son pays en Russie, il avait été nommé par le Président Pierre Nkurunziza à la tête du Conseil National pour l’Unité Nationale et la Réconciliation. Il restait un défenseur acharné de la cause des Ganwas, ce clan royal qui avait dirigé le Burundi jusqu’en 1966, date à laquelle elle avait été chassée de son trône, qui ne se voulait ni tutsi, ni hutu. Son décès rend désormais orphelin un mouvement qui a réussi à faire inscrire récemment dans sa constitution le retour de la monarchie comme alternative à une république née dans le sang de ses démons ethniques. Une plongée dans l'histoire monarchique du Burundi marqué par un génocide racial.

Le prince Louis RwagasoreAncienne colonie belge, le Burundi est devenu indépendant le 1er juillet 1962. Une décolonisation catastrophique et une classe politique pour laquelle Bruxelles n’a eu que du dédain lorsqu’elle décide de laisser les burundais prendre leur destin en main. Elle a bien tenté de conserver son influence en montant les ethnies (Hutu et Tutsi) les unes contre les autres, de manipuler le jeu électoral ou même de presser la gâchette du révolver qui a assassiné le fils du roi Mwambutsa IV, le Premier ministre Louis Rwagasore, sur les bords du lac Tanganyika (octobre 1961) avant de finalement lâcher du lest et laisser la monarchie qui accumule les échecs, se replier sur elle-même. L’ambiance est électrique au Burundi. Le pouvoir royal commence à succomber aux sirènes de l’ethnocentrisme alors qu’il est progressivement la victime d’une série d’assassinats en tout genre. En mai 1964, le prince Ignace Kamatari est retrouvé mort au bord de la route. Tout accuse les hutus mais aucune preuve probante ne vient étayer cette thèse et son meurtre reste toujours un mystère aujourd’hui. C’est la monarchie qui a été touchée en plein cœur, le défunt étant le propre frère du roi Mwambutsa IV. Puis en janvier 1965, c’est au tour du Premier ministre (Hutu) Pierre Ngendandumwe d’être abattu par un extrémiste tutsi, quelques heures après avoir formé son gouvernement. Avec la chute de la monarchie rwandaise, victime d’une révolution orchestrée par les hutus, et un contexte de guerre froide qui mine sa politique extérieure, le roi décide ne de plus tenir compte des résultats des élections législatives, impose son propre Premier ministre et mène un politique autoritaire qui va lui être fatale. Le ressentiment des hutus à l’encontre de la monarchie va rapidement s’accroître comme les ibihuhas (rumeurs) qui parcourent toute la capitale, Bujumbura. La cour royale est, elle-même, divisée sur l’attitude d’un souverain qui perd pied et qui doit se soumettre à une constitution taillée sur mesure mais qui ne tient pas compte de ses diversités culturelles. 

Le roi Ntare VProfitant de son absence en Suisse, le prince héritier Charles Ndizeye s’empare du pouvoir en juillet 1966. Mais, il est déjà trop tard et le nouveau monarque de 19 ans  est renversé  4 mois après avoir été couronné sous le nom de Ntare V. Guillaume Ruzoviyo  a dix ans lorsque la royauté séculaire vacille de son socle. Il descend du Mwami (roi) Mwezi IV Gisabo qui a dirigé le pays entre 1850 et 1908 et qui a contraint les allemands à reconnaitre son autorité sur l’ensemble de la colonie avant que celle-ci ne tombe dans l’escarcelle du roi des Belges après la fin de Première guerre mondiale. Il a vite compris que les changements politiques allaient influer sur sa vie de prince cadet. L’exil des membres de la maison royale, les massacres entre hutus et tutsis se multiplient dans une république  qui est alors  dirigée par un alcoolique notoire, le capitaine Michel Micombero. Le tombeur de la monarchie fait interdire tous les mouvements monarchistes et le Parti Uprona, fondé par Rwagasore, abandonne sa dynastie pour rallier les nouvelles idées qui vont le maintenir au pouvoir des décennies durant.  Pour autant, les monarchistes continuent d’espérer et organisent le retour du Mwami qui coïncide avec un important soulèvement armé hutu. Livré aux autorités de son pays par l’Ouganda, Ntare V est arrêté en mars 1972 et mis en résidence surveillée. La suite est une série de meurtres dans la capitale. Un mois plus tard, c’est une véritable purge qui est lancée dans tout le pays par le gouvernement et dont sera victime le monarque accusé de fomenter un coup d’état. Il est abattu dans des circonstances jamais élucidées et son corps n‘a jamais été retrouvé en dépit des recherches mise en place 40 ans plus tard. 

Guillaume RuzoviyoGuillaume Ruzoviyo a 36 ans quand il fonde avec Mathias Hitimana et le prince Godefroid Kamatari, le Parti Royaliste Parlementaire qui devient le Parti de la Réconciliation du Peuple afin de pouvoir se présenter aux élections multipartites de 1993. Les premières de l’histoire du Burundi. Les scores sont modestes (le candidat royaliste arrive 3ème) , le pays renoue avec ses démons. La victoire au strapontin suprême d’un hutu tourne au cauchemar et le président Melchior Ndadaye est assassiné après 100 jours de pouvoir. En Avril 1994, son successeur est abattu dans l’avion qui le ramène avec son alter-ego du Rwanda alors que les deux dirigeants viennent à peine de signer les accords de paix d’Arusha.  La région des Grands Lacs s’embrase et sous les yeux de la communauté internationale, les deux ethnies se massacrent par centaine de milliers. Devenus une véritable force politique et également signataires d’Arusha, les royalistes appellent au calme, en vain. La consécration ne vient pas avant 2001 où Hitimina obtient un poste de ministre avant de vouloir lancer une rébellion armée et de mourrir  subitement trois ans plus tard. Hier amis, les co-fondateurs du PRP se déchirent et c’est la rupture. Le prince Kamatari fonde le mouvement Abahuza en 2004 et Ruzoviyo, le Parti monarchiste parlementaire du Burundi- Abagenderabanga (PMP) en 2005. Même le trône devient un enjeu politique entre les deux hommes devenus des rivaux. Kamatari revendique la couronne pour sa branche alors que Ruzoviyo soutient la fille de Mwambutsa IV, la princesse Rosa Ibagiriza, tout aussi légitime  Le ralliement de Guillaume Ruzoviyo ancien coordinateur national pour l’Unesco, au parti du Président Pierre Nkurunziza (CNDD-FDD) lui offre l’opportunité de placer l’idée monarchique très proche du pouvoir. Nostalgique de l’ancien temps, le nouveau pouvoir multiplie les gestes envers la maison royale (dont les membres intègrent le gouvernement) et tente même de faire rapatrier en vain les restes du roi déchu au prix d'un long procès juridique qui tourne en faveur des Kamatari qui s'y opposaient.

Guillaume Ruzoviyo, ambassadeur en RussieDevenu ambassadeur du Burundi en Russie (2010-2015), ses relations avec le CNDD-FDD sont un jeu d’alliances frustrées, teintées de volonté d’indépendance. Les résultats ne suivent pas sur le champ électoral et peinent à dépasser les 5%. Toutefois, Guillaume Ruzviyo reste l’un des rares mouvements monarchistes à n’avoir pas subi les foudres de la réforme des partis de 2014 (qui a dissout Abahuza. Le mouvement avait présenté en 2005 la princesse Ether Kamatari à l'élection présidentielle ) et qui demeure une force d’influence locale. Il se bat sur tous les fronts pour faire reconnaître une existence légale à l’ethnie royale des Ganwas, souvent assimilée aux tutsis. « Les Ganwas constituent l’ethnie dans laquelle se trouvaient le roi et la plupart des chefs de chefferie. Les tombeurs de la monarchie ont compris que cette ethnie devait être supprimée du langage écrit et parlé, s‘ils voulaient  éviter toute chance aux très nombreux monarchistes à cette époque de faire revenir la monarchie au Burundi.  Je possède une fiche d’identité de mon père datant de la période coloniale. Sur cette fiche, il est bien  mentionné que mon père est de l’ethnie Ganwa » précisait Guillaume Ruzoviyo en 2013. 

IGuillaume Ruzoviyo, Président Conseil National pour l’Unité Nationale et la Réconciliationncluse comme possible alternative dans la constitution depuis 2018  (article 4) et largement réhabilitée, la monarchie peut-elle revenir au Burundi ?  « La flamme monarchiste est encore vivace au Burundi. Il s’agit de la ranimer. Il y a quelques années, un Président du  Burundi a annoncé à des proches que « tous les Burundais sont monarchistes dans l’âme » » assurait –il. Le PMP avait d’ailleurs largement fait campagne en faveur du « oui » pour la nouvelle constitution, expliquant  qu’elle était « ouverte au rétablissement de la monarchie ». Nommé à la tête du Conseil National pour l’Unité Nationale et la Réconciliation en 2018, il avait plaidé à diverses reprises pour la cohésion nationale et s’était fortement agacé des ingérences de la France dans les affaires de son pays, notamment lors de l’adoption de la constitution, accusant le gouvernement d’Emmanuel Macron, d’attiser « la haine au Burundi ». Il avait récemment demandé l’ouverture d’une enquête sur la mort du roi Ntare V, de Ndadaye et celle de Louis Rwagasore. Le gouvernement Burundais a émis un communiqué, exprimant «  sa consternation d’apprendre le décès de cet ambassadeur » du Burundi et qui laisse un mouvement orphelin, qui faute de leaders, pourrait progressivement péricliter.

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Date de dernière mise à jour : 01/04/2021

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