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Les descendants de l'émir Abd El-Kader, un destin contrarié

En mai 2024, l’Algérie a transmis à la France une liste de plusieurs biens historico-culturels censés lui appartenir. Parmi eux, «l’épée, le burnous, le Coran, la tente et les canons de l’Émir Abdelkader », héros indissociable d’une histoire tumultueuse entre Alger et Paris. Mais que sont donc devenus ses descendants qui rejettent le fameux rapport de l'historien Benjamin Stora ?

Djezaïr en arabe ou Aldjère en catalan, c’est à la France que ce pays d’Afrique du Nord doit son nom actuel. Mais bien avant l'arrivée des Français,  ce sont les turcs qui vont occuper les côtes barbaresques dès le XVIème siècle. Hors de ses frontières, la Régence d’Alger n’a pas de réels pouvoirs. Ses Deys se succèdent à la faveur de tumultes, exercent une certaine autorité qui dépend entièrement des Ottomans mais dont le pouvoir reste fortement contesté. Tant par les pirates qui ravagent la Méditerranée (qui se sont constitués en république de Bouregreg) que par les royaumes voisins de Koukou, des Beni Abbès ou du sultanat de Touggourt. C'est un affront en 1827, un coup d'éventail du Dey Hussein Dey au représentant de la France, qui va précipiter trois ans plus tard  le destin d'un pays appelé à s'unir avec la France jusqu'en 1962. 

La naissance d'un royaume algérien indépendant et reconnu par la France

Deux hommes vont marquer ce chapitre de l’histoire coloniale française. Le duc d’Aumale, Henri d’Orléans (1822-1897) et l’émir Abd El-Kader. Sa famille est d’origine marocaine, du Rif, affirme descendre du prophète Mahomet. C’est un orateur hors pair, un religieux soufi assidu, un soldat émérite. En 1832, il est nommé émir par les chefs de tribus qui ont lancé le djihad contre ces Français qui ont du mal à s'imposer aux premiers jours de cette conquête avant de connaître des succès retentissants. Baignée par les alizés du Sahara, loin de Paris qui exulte, nne nouvelle maison royale, celle des El-Djazairi, voit le jour. Elle n’aura rien de comparable à ce que connaît que l’Europe du XIXème siècle. Le nouvel émir va très vite s'avérer redoutable. De raids en expéditions punitives, Abd El-Kader étend sa régalia sur tout l’Oranais. Acculée, la France accepte finalement de signer le traité Desmichels qui le reconnaît comme tel. Mais les officiers français en charge des opérations militaires ne l’entendent pas ainsi. Les hostilités reprennent. La bataille de la Macta (juillet 1834) va sonner comme une humiliante défaite pour la monarchie de Juillet qui a pris la suite du roi Charles X. Le traité de la Tafna, trois ans plus tard, adoube une nouvelle fois l’émir comme roi d’un état qui aura pour capitale Tagdemt et devise « La victoire d’Allah et la reconquête est proche». La noblesse maraboutique est privilégiée, une monnaie frappée, une administration mise en place et les fellagh (paysans) objet de toutes les attentions (surpression du kharâj, l’impôt foncier, développement des souks). Le Coran reste la base de sa monarchie, mais il entend qu’elle soit tolérante et dans son royaume, juifs comme chrétiens auront les mêmes droits que les musulmans. Parmi ses conseillers, Hamdane Ben Othman Khodja (1773-1842) qui a voyagé en France et qui rapporte dans ses sacs, cette « révolution industrielle » qui l’a tant impressionné. La montée en puissance du royaume algérien, dont on peut encore actuellement admirer les richesses au palais de Médéa, va vite menacer l’intérêt des français qui s’installent progressivement sur les côtes (en lieu et place des Barbaresques). Une puissance dont l’implantation dans la plaine de la Mitidja va bientôt donner naissance à une nouvelle population, celle des Pieds noirs.

Abd el Kader et Bugeaud

Abd El-Kader , personnage phare du Second empire

Entré illégalement avec un corps expéditionnaire dans le royaume de l'émir, le prince d’Orléans décide d’ignorer le traité de la Tafna. La guerre reprend, elle sera fatale à l’émir. La prise de la smala d’Abd El-Kader par le duc d’Aumale, le 16 mai 1843, reste un des épisodes majeurs de ce conflit qui va mener l’émir en exil et sceller la fin de sa monarchie en 1847. Toulon, Pau, Amboise (où on peut voir des tombes de membres de sa famille), l’émir et ses fidèles sont mis sous bonne garde. Son grand burnous blanc fascine les sujets du roi Louis-Philippe, les grands poètes comme Victor Hugo où les politiques comme le prince Louis-Napoléon Bonaparte, futur Président de la Seconde république puis Empereur. Il conserve ses droits, reprend des études de théologie, converse avec tous les milieux musulmans, devient un personnage phare du Second Empire. Les événements du Liban en 1860 lui permettent d’acquérir une stature internationale, en avertissant le consul de France des futurs massacres à venir des Druzes. Napoléon III caresse alors l’idée de récréer un royaume algérien qui mettrait à pied d’égalité ses sujets avec les Algériens. A ce franc-maçon, il lui confère même l’ordre de la Légion d’honneur. Le Second empire ayant largement développé les infrastructures de la colonie, la mainmise des colons sur les terres des algériens provoquent des mouvements de mécontentements qui inquiètent l’Empereur. Abd El-Kader joue les médiateurs, désavoue  même un de ses fils qui a pris la tête d’une rébellion à Constantine (mars 1871). Les négociations en faveur d’un royaume n’aboutiront pas et les promesses se perdront dans les vents du Sahara. Ce qui n’empêche pas l’émir, coqueluche du tout Paris, d’être reçu avec faste par Napoléon III (1865). L’Orient lui manque. Damas sera sa dernière terre d’accueil. Il y meurt le 26 mai 1883. 

Khaled el hassani

Les descendants de l'émir, résistants à la France en Syrie

Sa famille, l’ayant suivi dans cette partie de la Mésopotamie, reçoit la protection du sultan Ottoman qui attribue à son fils aîné Abdelmalek, le titre de Pacha, à son frère Ali le poste de député de Damas. Son arrière-petit-fils, Said El-Djazairi (1885-1970), sera même gouverneur de Damas avant d'être destitué à la chute de l'Empire ottoman (1918). Loin de son Algérie natale, la maison royale va jouer un autre rôle entre France et Syrie pour mieux revenir. Abdelmalek prend contact avec les Allemands qui vont  tenter de préparer une insurrection en faveur de l’émir (1915). Un  comité musulman pour l’indépendance des pays de l’Afrique du Nord est même créé à Berlin sans les effets escomptés. Mais avec la fin de la Première Guerre mondiale, l’émir Abdelmalek conserve une armée qui harcèle les Français au …Maroc. Une revue française écrit d'ailleurs à cette époque : « l’émir Abdelmalek est notre Rocher de Sisyphe. Chaque fois que nous le repoussons, il nous  marche à nouveau sur les pieds ». Il sera finalement tué en 1924 lors d’une bataille dans le Rif. L’émir Khaled El-Hassani Ben El-Hachemi Ibn Hadj Abdelkader (1875-1936), son petit-fils, qui lui ressemble trait pour trait, reprend la lutte en Algérie. Il est l’héritier légitime au trône. Il va marquer aussi de son empreinte la lutte pour la libération de l’Algérie. De 1919 à 1923, le mouvement Khalediste va susciter de nombreux espoirs parmi ses partisans. Saint-Cyrien, il a refusé la nationalité française qui lui a été offerte par la IIIe République. En 1900, il réclame que les autorités coloniales lui reconnaissent le titre d’Agha (seigneur) d’Algérie. Ce sera un refus net mais son cas divise. Que faire de ce prince qui semble très épris de politique et d’actions militaires. « Nous sommes les fils d’une race qui a eu son passé, sa grandeur et qui n’est pas une race inférieure. Elle prouverait cependant une grande incapacité de jugement en refusant de s’engager dans les voies d’avenir que vous lui ouvrez. Mais elle ne refuse pas de le faire (…) », déclare t-il à la veille du premier conflit mondial. Pour beaucoup de musulmans, il devient la figure centrale à soutenir et qui fera la jonction entre ceux d’Algérie et du Maroc. « Vouloir me contester la qualité de mandataire des indigènes algériens, c’est chercher à intercepter les rayons du soleil au moyen d’un crible! », affirme ce prince. La IIIe République, excédée par tant de ferveur autour de lui ( marquée par un succès électoral en 1919 qui effraie les colons), finira par le faire embastiller. Les rapports s'accumulent sur les bureaux. Le maréchal Lyautey lui-même le soupçonne de vouloir lancer un nouveau djihad au Maghreb afin de reconstituer un royaume indépendant. Le poids de l‘âge aura raison de sa santé et de ses aspirations. 

Abd el Kader à cheval

La question monarchique abordée à l'indépendance

Avec le déclenchement de la guerre en novembre 1954, les descendants de l'émir entendent faire entendre leurs voix. Abderrazak Abdelkader (1914-1998), arrière-petit-fils d'Abd El-Kader, va rejoindre les rebelles du Front de Libération Nationale (FLN). Ancien résistant actif au sein des Forces françaises libres (FFL), c'est un militant anti-nazi qui succombe aux idées communistes. On le retrouve au Liban, en Syrie et même en Israël où il va aider à la formation de la Palmah, une milice para-militaire qui va lutter pour la formation de l'état hébreu. Il sera plus tard au centre des activités du FLN en France. Quand la question de l'indépendance va se poser en 1962,  celle d'un retour de la monarchie est abordée. Un point vite balayé par les officiers du FLN. Muhammad Saïd al-Jazaïri, qui fait figure de prétendant au trône, décide de renoncer à ses droits et s'en expliquera longuement dans les colonnes du quotidien Le Monde. « Notre époque est celle de la volonté populaire. Le peuple seul a le droit de choisir sa propre voie et son destin. En prétendant au trône dans le passé je ne faisais que manifester une forme de résistance contre le colonialisme et maintenir vivante la cause de l’Algérie dans le cœur du peuple… Mais tout ce dont je rêve aujourd’hui, c’est de retourner en paix dans mon pays et d’être le témoin de son indépendance naissante.», explique t-il alors. 

L'émir l'émir Saïd El-Djezaïri avec le président Boumedienne lors du retour de la dépouille de l'émir en 1966 - Ph FB

Des descendants devenus des témoins d'une histoire qui continue de diviser  

En 1965, l’état algérien indépendant fait rapatrier les restes de l’émir Abd el-Kader en dépit de ses volontés testatmentaires qui précisaient qu'il ne souhaitait pas bouger de son lieu de repos. A cette occasion, les membres de la « maison royale », qui toucheront une pension de la France jusqu'à la fin de la décennie François Mitterrand, sont invités à participer à cet événement mis en scène par le pouvoir. Dernier acte public d'une dynastie oubliée par ses enfants. Les héritiers de l’émir Abd EL-Kader pensent-ils encore l’Algérie alors que le prétendant officiel, l’émir Djaafar El Hassani El Djazaïri, descendant direct  l’émir Abd El-Kader, réside toujours à Damas ?  En 2012,  Safia El-Djazairi avait tenté de répondre à cette question depuis le Maroc où elle s'est installée avec ses deux soeurs. « C'est vrai que le sang de l'Emir Abdelkader coule dans mes veines mais son esprit et ses nobles principes sont ancrés dans le coeur de chaque Algérien qui aime sa patrie », avait répondu la fille de l'Emir Mohamed Saïd Hosni El-Djazairi (neveu de l'Emir Abd El-Kader), interviewée sur la profondeur de son patriotisme. Avec la publication du Rapport (Benjamin) Stora, commandé par le Président Emmanuel Macron afin de construire un chemin de réconciliation entre la France et l'Algérie, les descendants de l'émir  sont revenus sur le devant de la scène et ont pointé du doigt une « supercherie », dénonçant même  « une proposition du rapport concernant l’érection d’une statue de l’émir Abdelkader en France » (2021).

En 2007, un mystérieux Parti national-monarchiste algérien (PNMA) est apparu sur la scène politique algérienne. Bien que celui-ci n’a plus aucune activité, ce mouvement est resté malgré tout comme une tentative éphémère monarchiste qui aura retenu la curiosité de la presse. Si l'option monarchique devait être mise sur la table comme solution à la domination étatique du FLN, nul ne sait quel prince pourrait monter sur ce trône hypothétique. La question sur ce sujet n'a jamais été tranchée.

Copyright@Frederic de Natal

 

Date de dernière mise à jour : 31/05/2024

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