La Finlande songe au roi

La Finlande tentée par un retour à la monarchie ? L’idée peut paraître saugrenue à beaucoup dans un pays qui n’a jamais véritablement connu d’institution monarchique mais qui semble pourtant très crédible à quelques élus du parti de la Coalition nationale. Ressortir de son placard, la couronne du « Suomen kuningaskuntahanke » et rappeler sur son trône, l’héritier légitime, voilà un projet qui ne manque pas de piquants au pays des lapons.

ILa couronne de Finlandel n’existe aucun parti monarchiste connu en Finlande. Et pour cause. Ce pays scandinave est l’un des rares d’Europe n’avoir pas été indépendant et souverain tout au long de son histoire et qui ne possède aucune culture monarchique. Occupée par la Suède, c’est en 1809 qu’elle est annexée par la Russie qui l’érige en Grand-duché. On avait bien pensé en faire un royaume, presque un siècle plutôt et qui serait revenu au futur Pierre III mais le projet avait été vide abandonné. Russifiés, les finlandais deviennent malgré eux le jouet des puissances européennes de l’époque. «La Finlande a actuellement un président de la République élu. Toutefois, ses pouvoirs ont été récemment réduits et il est nécessaire de se demander si nous souhaitons continuer à faire des élections onéreuses tous les six ans. Si le rôle du chef d'État en Finlande consiste simplement à représenter le pays, une monarchie de type européen constituerait une solution plus naturelle » déclarait déjà , il y a 5 ans, Anne Pynttäri, biologiste et présidente du Kokoomuksen Opiskelijaliitto Tuhatkunta, une association étudiante conservatrice, alliée de la Coalition nationale.

Profitant de la révolution russe de 1917, les finlandais proclament leur indépendance. Membre de l’aristocratie finnoise, c’est à Pehr Evind Svinhufvud (1861-1944) qu’il revient de mettre en place un gouvernement de transition dont il va devenir régent. La première guerre mondiale ravage l’Europe. A peine créé, le nouvel état déjà secoué par les affrontements qui éclatent de janvier à mai 1918, entre monarchistes (Garde blanche dirigée par le baron Carl Gustaf Emil Mannerheim) et bolcheviques russes (Garde rouge dirigée par Ali Aaltonen). La guerre civile tourne à l’avantage des premiers et de leurs alliés conservateurs qui décident que la Finlande sera une monarchie. Reste à trouver le prince qui voudra ceindre une couronne en devenir. Les prétendants ne se bousculent pas. C’est chez le Kaiser Guillaume II que les monarchistes iront chercher un prince. On songe à un Wittelsbach, un Hohenzollern (le prince Oskar), ce sera finalement Frederick-Charles de Hesse-Cassel (1868-1940), gendre du roi d’Italie qui sera choisi au prix d'interminables négociations et qui devient « Kaarle (ou Vaïno) Ier ».

Constitutionnaliste, un livret le présentant avait été édité et distribué dans tout le royaume dont Berlin se demande tout de même si c'est une bonne idée de le soutenir. Avant de s'imposer dans tous les rouages de l'état, rendant la Finlande dépendante des casques à pointes. Frederick-Charles de Hesse-CasselA Helsinki, les débats sont vifs au parlement. Les monarchistes arguent de la constitution de 1772, datant de l’époque suédoise, pour légitimer leur demande. De leur côté, les républicains rappellent que la révolution a balayé le régime des Romanov qui avait reconnu cette constitution. Détrônés, elle n’est plus valable. C’est à coup d’amendement que les républicains arrivent à faire retarder la proclamation de la monarchie. Juho Kusti Paasikivi (1870-1956) fonde le premier sénat monarchiste du pays et ordonne rapidement l’arrestation de tous les membres du parlement (Eduskunta) qui ont participé au soulèvement des Gardes rouges, privés de leur leader qui a été au préalable assassiné. Avec des régiments prussiens sur place, l’ordre allemand règne. Le prince Frederick-Charles de Hesse-Cassel régnera à peine deux mois. Du 9 octobre au 14 décembre 1918... sans avoir mis les pieds dans son pays. La défaite allemande met fin aux espoirs des monarchistes finnois qui ne trouvent aucun soutien auprès des Alliés qui font pression pour l'abandon au projet royal. En particulier la France qui émet des notes internes au Quai d'Orsay sous l'oeil vigilant de Georges Clemenceau qui écrit qu'il n'est pas question que Paris soutienne le leader de la Garde blanche, encore moins son idée de marcher sur Petrograd. Une mission sera même envoyée sur place afin de contrer l'influence allemande. Parmi les officiers présents, un certain capitaine François d'Astier de la Vigerie.

Le gouvernement finnois songe alors à proposer la couronne à Mannerheim qui lui préfère un poste de régent. La Finlande reste une monarchie fictive jusqu’au plus haut sommet de l’état. Le premier ministre Lars Johannes Ingman est d’ailleurs lui-même un monarchiste convaincu. Son gouvernement n’excédera pourtant pas 141 jours. En juillet 1919, la république est proclamée (139 voix contre 38 voix), l’idée monarchique abandonnée et Mannerheim se retire avant de connaître un nouveau destin national à l’aube d’une autre guerre mondiale. «Une monarchie fonctionnerait mieux que la république » explique Anne Pynttäri qui vante les avantages qu’elle apporterait à ce pays nordique. L’association étudiante a présenté le projet au Conseil de la Coalition nationale. Qui l’a rejeté immédiatement, la jugeant « délirante ». Ce n’est pourtant pas la première fois qu’une telle tentative de proposition de la monarchie est faîte à la Coalition nationale, un des plus vieux partis politique de la Finlande. Le retour de la monarchie ? Une vaste blague pour les finlandais qui n’entendent pas remettre en cause les institutions actuelles. Même la couronne n’a rien d’originelle, une pâle réalisation qui date des années 1980 et qui sert de témoin d’un chapitre de l’histoire finlandaise. L’idée monarchique a pourtant des partisans. Le professeur Marko Tikka de l'Université de Tampere plaide pour le retour d’un monarque, rêvant d’une confédération monarchique entre les différents pays de Scandinavie. « Si l'Union européenne n'avait pas été créée, une alliance entre les différentes monarchies nordiques aurait pu faire la différence » explique-t-il au journal «Taloussanomat». A contrario, Vesa Kanniainen, professeur d'économie à l'Université d'Helsinki affirme qu’un tel concept n’amènera rien à la Finlande y compris comme retombées économiques, un des principaux arguments de la minorité monarchiste.

Mais que pense donc le principal intéressé de cette idée de monarchie ? La succession au trône, objet de débat parmi les quelques constitutionnalistes qui s'y intéressent, a échu au prince Wolfgang de Hesse (1896-1989), désigné prince héritier de Finlande. Fils cadet du prince Frederick-Charles de Hesse-Cassel, on avait même pensé à lui pour une couronne en Estonie. Il était même prévu qu’il épouse un membre de l’aristocratie finlandaise mais la chute de l’empire allemand ruine son projet matrimonial. Sa famille adhère au parti nazi, les neiges finlandaises sont loin, Hitler ne sera pas intéressé par un projet de restauration de la monarchie en Europe du Nord. Quelque peu contesté, le prince Moritz (1926-2013), petit-fils de Frederick-Charles de Hesse-Cassel, a fait un voyage en 2003 dans le pays. Quelques articles de presse qui n’avaient pas réellement ému les finnois tant le sujet est légèrement évoqué dans les cours d’histoire de la Finlande. Il n’a d’ailleurs jamais réellement fait acte de prétention au trône pas plus que son actuel successeur et descendant de la reine Victoria, le prince Donatus, 53 ans.

Difficile dans ces conditions de convaincre les finlandais de la nécessité de restaurer la monarchie, encore plus avec un teuton à sa tête. « Divertissant » tout au plus ironise-t-on au sein de la Coalition nationale qui a refermé depuis la parenthèse monarchique.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 23/10/2019

 

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