Le prince Leka II Zogu face à un mouvement étudiant

«Je crois que la monarchie peut vraiment servir le pays et que l'on pourrait avoir un rôle très positif»  Princesse Elia Zaharia  (2016)

Peu commentée dans la presse nationale, Tirana, la capitale de l’Albanie a été secouée par une importante manifestation estudiantine, le 11 décembre. La plus importante de l’histoire post-communiste de ce pays des Balkans, à la réputation sulfureuse. Les étudiants, rassemblés devant le ministère de l’éducation ont baptisé le bâtiment officiel de jets d’œufs, certains ont brûlé les drapeaux des 3 principaux partis politiques du pays. Prétendant au trône, le prince Leka II Zogu a publié sur les réseaux sociaux ses propositions pour sortie de crise A commencer par celle de dissocier le principe monarchique des partis politiques. Le petit-fils du roi Zog Ier, fondateur moderne de l’Albanie, peut-il vraiment jouer un rôle ?

 

67Le mouvement partage des similitudes avec les « gilets jaunes » français. Les étudiants refusent la moindre connotation politique à leurs protestations, affirmant que leurs revendications ne sont qu’économiques et sociales. Refus de dialoguer avec le gouvernement du parti socialiste au pouvoir, c’est le journaliste et analyste politique, Lufti Dervishi, qui nous explique que ces manifestations « peuvent se transformer en mouvement contre l’arrogance et l’indifférence du pouvoir face aux réalités sociales ».  Revenue s’installer en 2002, la famille royale d’Albanie continue de jouer son rôle de pont fédérateur entre le gouvernement et ses anciens sujets. A 36 ans, le prince Leka II Zogu tente tant bien que mal de s’imposer comme figure conciliatrice d’un pays qui n’a toujours pas fini de panser les plaies d’un passé tumultueux.

Abolie en 1946, après un peu plus de deux décennies d’existence, la restauration de la monarchie a été un sujet évoqué lors du référendum du 29 juin 1997. Selon les chiffres officiels, seuls 33% des albanais avaient voté en faveur du retour d’un Zogu sur le trône. Des résultats fortement contestés (en décembre 2011, l’ancien premier ministre Sali Berisha avait reconnu l’irrégularité du scrutin et le trucage des résultats affirmant que 53% des votes s’étaient en réalité portés sur la monarchie), par le père homonyme de l’actuel prétendant, qui tentera son baroud d’honneur en organisant, 3 jours durant,  ce qui ressemblera fortement à une tentative de coup d’état. 

 

Associé au gouvernement entre 2006 et 2014 comme conseiller aux Affaires étrangères, à l’Intérieur  avant d’être rattaché au président de la république, le prince Leka peut se prévaloir d’une stature d’homme d’état (il a été le seul prince à avoir été invité à la cérémonie d’investiture du Président Donald Trump) à laquelle on peut rajouter une formation miliaire à l’académie britannique de Sandhurst. Polyglotte, il s’exprime facilement en anglais. Son parti de centre-droit, le Lëvizja për Zhvillim Kombëtar (Mouvement pour le développement national) au logo très stylisé 2.0, créé  en 2004 par son père alors en conflit avec le vieux parti monarchiste (Parti de la Légalité),  a un élu au parlement mais demeure mieux implanté localement avec une centaine de conseillers (21 municipalités sur 1595 que comptent l’Albanie), répartis dans diverses coalitions (notamment celle de l’Aleanca Popullore Për Punë dhe Dinjitet). 

88« Une monarchie constitutionnelle apporterait certainement plus de stabilité, car il s’agit d’une institution qui ne répond à aucun parti politique » déclarait –il lors d’une interview en février 2018, citant les autres monarchies européennes en exemple. Hier sur sa page personnelle facebook, le prince a repris pour son propre compte  une déclaration du roi Zog, publiée dans le journal «Le Matin », il y a presque un siècle : « Les premiers résultats de l’établissement de la monarchie sera de libérer mon pays des lutte de partis. Le président de la république est nécessairement obligé de favoriser ceux qui l’avaient élu, tandis que les autres partis manœuvrent constamment pour le remplacer par un de leurs candidats. Le roi sera au-dessus  des partis et il ne servira que la nation. (…) ».  Le prince Leka se pose véritablement en alternative alors que le nouvel héritier  au trône se fait encore attendre, après 2 ans de mariage avec l’actrice francophone Elia Zaharia. D’ailleurs lors de ses noces suivies internationalement et localement, le prince avait confié qu’il « tentait politiquement de trouver un équilibre entre le système républicain et celui de la  monarchie » afin de mieux imposer l’idée dans son pays, qu’il qualifie de « jeune et dynamique »

C’est un nationaliste partisan de la « Grande Albanie ». Vaste territoire qui engloberait à la fois son pays, le Kosovo, une partie de la Serbie centrale, du Monténégro, de la Grèce et de la Macédoine où réside de fortes communautés albanophones, il réclame à l’Union européenne qu’elle organise un référendum sur le sujet. Mais le prince est aussi un européen convaincu et un défenseur de l’environnement. C’est lui qui amené les premières négociations de l’Albanie avec Bruxelles. Il est persuadé que l’option monarchique ne gênerait pas l’Union européenne. Le prix de la stabilité de son pays ne peut que passer par cette solution d’après le prince, interviewé il y a quelques mois sur ce sujet. Le 10 août, lors d’un autre entretien à «Oranews », sous le titre « Princ Leka propozon bashkimin e Kosovës me Shqipërinë » le prince avait d’ailleurs réitéré sa demande de fusion des deux états.

Lors d’une interview à M6, peu avant son mariage, Elia Zaharia avait elle-même déclaré : «Je crois que la monarchie peut vraiment servir le pays et que l'on pourrait avoir un rôle très positif [...]. Si on doit promouvoir l'Albanie à l'étranger, on est prêt». La monarchie peut-elle revenir en Albanie ? 

Lors du retour du corps du roi Zog Ier dans son pays (2012), le gouvernement avait rendu un hommage appuyé à celui qui a préservé l’unité de cette ancienne province ottomane sur laquelle au Moyen-âge, le prince Charles d’Anjou, frère de Saint-Louis, avait jeté son dévolu. Le prince, qui vit au palais royal de Tirana, une vaste résidence qui a été rendue à sa famille, avoue négocier un statut pour lui et sa famille et peut compter sur le soutien très actif de Dashamir Shehi, ancien ministre et vice premier ministre entre 1992 et 1996, actuel député monarchiste. A peine plus de 20% de la population souhaiterait aujourd’hui le retour de la royauté des Zogu mais les mouvements monarchistes demeurent divisés.

Le Parti de la Légalité, qui avait mené la résistance aux nazis et aux soviétiques, a perdu de sa superbe, connu plusieurs scissions. Principal parti d’opposition à la chute du mur de Berlin, celui qui pouvait organiser des manifestations de masse en est réduit aujourd’hui à devoir contracter des alliances avec d’autres partis pour survivre, dépassant à peine 1% des voix lors des élections . Bien  peu pour espérer une restauration aujourd’hui.

 

Frederic de Natal

 

Paru le 23/12/2018

Date de dernière mise à jour : 11/04/2020

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