Le combat de toute une vie

L'archiduc Carlo-Felipe de Habsbourg-LorraineLe combat de l’archiduc Carlos Felipe de Habsbourg-Lorraine pour la réhabilitation de l’empire mexicain. Assis sur une chaise, l’homme attend que la foule qui se fait de plus en plus nombreuse entre dans la salle mise à sa disposition. Il y a même des officiels du gouvernement de l’état de Durango qui ont fait le déplacement. On peut apercevoir le secrétaire au tourisme, Victor Hugo Castañeda Soto, la directrice de l‘Institut des arts et de la culture, Maria del Socorro Soto Alanis, des prélats de hauts rangs comme l’archevêque catholique Monseigneur Jose Antonio Fernandez Hurtado et encore bien d’autres personnalités locales connues. Tous font face à cet homme à la stature impériale. Et pour cause ! Ce 23 mai, le conférencier n’est nul autre que l’archiduc Carlos Felipe de Habsbourg-Lorraine, petit-fils du dernier empereur d’Autriche-Hongrie, infatigable combattant pour la réhabilitation du second empire mexicain.

Le prince n’est pas un inconnu pour les mexicains. C’est un enfant du pays qui a, depuis des décennies, à cœur de réhabiliter l’œuvre de l’empereur Maximilien Ier qu’une position peu envieuse de cadet et l’ambition dévorante de son épouse, Charlotte de Belgique, avaient persuadé d’accepter une couronne vacante depuis mars 1823. Avec en fond de toile, la France de Napoléon III dont les dessins politiques étaient moins manichéens qu’ils n’y paraissaient. « Le Mexique sera peut-être considéré plus tard comme la plus grande pensée du règne » avait déclaré à l’époque l’empereur des français. Il s’agissait cependant et avant tout d’une part pour la France d’exercer une influence non négligeable dans cette partie de l’Amérique latine, d’une autre de stopper l’hégémonie expansionniste des Etats-Unis alors en proie à une violente guerre civile.

« Napoléon III était trop en avance sur son temps pour être compris, il avait entrevu les problèmes actuels de mondialisation à venir des marchés sous l’influence grandissante des Etats-Unis » écrivait en 1998, à propos de l’aventure mexicaine, l’auteur Georges Bordonove. Mais avait-il seulement compris que les délégués monarchistes mexicains venus le supplier de les aider à restaurer la monarchie défunte d’Agustín de Iturbide y Arámburu (entre 1821 et 1823), avaient largement embelli la situation d’un pays pourtant au bord de l’insurrection, où les présidents, les généraux se succédaient les uns aux autres avec une frénésie déconcertante ? En choisissant un autrichien et en dépit de quelques hésitations vite balayées par l’impératrice Eugénie de Montijo, l’œil et l’oreille des monarchistes mexicains, Napoléon III avait aussi voulu se rapprocher de Vienne afin de régler de manière pacifique l’affaire de Vénétie.

La déconvenue du nouveau couple impérial sera à la hauteur des problèmes qu’ils vont devoir affronter à leur arrivée au Mexique (1864), précédée par un corps expéditionnaire armé, mené par le général Bazaine, chargé de préparer leur débarquement à Veracruz. La première nuit de l’Empereur Maximilien se fera sur une table de billard comme le raconte dans son livre consacrée à la fille du roi Léopold Ier, le prince Michel de Grèce. Il se croyait attendu, il avait déchanté. Pris dans le tourbillon de sa couronne, Maximilien Ier s’attela pourtant à moderniser son empire catholique alors que le président Bénito Juarez soulevait ses partisans contre l’occupant. Réforme agraire, développement des chemins de fer, (avec la Compañía Limitada del Ferrocarril Imperial Mexicano), multiplication des écoles et même ouverture des premières banques alors inconnues au Mexique jusqu’ici, l’empire de « Maximiliano de Habsburgo-Lorena » fut même un fort potentiel économique pour la Confédération sudiste, le tout avec l’approbation tacite de Paris.

L'empereur Maximilien IerLes désaccords entre Bazaine et Maximilien deviennent publics. Il est accusé par le second de faire prolonger le mandat du corps expéditionnaire contre la volonté de l’empereur Napoléon III tandis que le premier accuse en retour l’empereur de passer trop de temps avec ses maîtresses, de ne pas gouverner. L’ombre de la défaite héroïque de la légion étrangère à Camerone (1863) planait encore sur la France qui était divisée désormais sur l’attitude à adopter vis-à-vis de cette aventure alors que les légitimistes et les orléanistes réglaient leurs différents idéologico-dynastiques sur le sol américain*. «L'empereur Maximilien ne paraît guère avoir un esprit pratique et résolu, il s'abandonne à je-ne-sais quel libéralisme philosophique et rêveur et n'a rien fait de sérieux jusqu'à présent pour se créer les seules chances de salut, pour constituer une armée et pour organiser ses finances. Il lui manque d'ailleurs un grand élément de force, c'est le prestige militaire » écrit au neveu de Napoléon Ier, son ministre Eugène Rouher.
Maximilien Ier tente en vain de réconcilier conservateurs et libéraux pour structurer sa politique mais en vain Napoléon III, excédé, ordonne le retour de Bazaine puis celui du dernier carré militaire français vers la capitale française. A Vienne, on supplie Maximilien de rentrer, il refuse, il affrontera son destin jusqu’à la mort. Et celle-ci va survenir en juin 1867 devant un peloton d’exécution à Querétaro. Quant à l’impératrice Charlotte, sa mélancolie naturelle la fera sombrer dans la folie, tragique destinée d’une princesse éduquée pour régner mais qui toute sa vie ne portera comme seul manteau d’hermine, sa solitude. Abandonnée, elle survivra à son mari jusqu’en 1927. Il avait eu 34 ans, elle 86 ans à sa mort.

La presse en parle.Durant un siècle, les livres d’histoire officiels mexicains jetteront l’opprobre sur cet épisode oubliant la simplicité d’un empereur qui n’hésitait pas à porter l’habit traditionnel du pays, se mêlant sans complexe à ses sujets comme n’importe quel « campesinado » d’un pueblo. Cet héritage, l’archiduc Carlos Felipe de Habsbourg-Lorraine entends le remettre au centre de la vie politique et culturelle du Mexique dont il est un des partisans les plus passionnés. Rapidement, le prince met les auditeurs dans l’ambiance de l’époque, tente de casser l’image de son aïeul mal-aimé alors que défilent les photos consacrées à cette période qu’il juge faste. «Maximilien était ouvert et affable » dit l’archiduc. « Il ne faut pas oublier que grâce à lui le pays s’est profondément transformé, entrant dans l’ère contemporaine ». « Il a préservé les pyramides aztèques promises à la disparition par le temps » surenchérit le prince, qui n’hésite pas à flirter avec la fibre nationale mexicaine et devant un public captivé qui redécouvre son empereur. Pour Carlos Felipe de Habsbourg-Lorraine, la mort de Maximilien Ier n’est pas due aux français dont on aurait tort de les rendre responsable des maux du frère de François-Joseph mais bel et bien à cause des américains: « Juarez avait reçu des instructions précises du gouvernement américain pour abattre Maximilien à Querétaro. Les Etats-Unis ne voulaient pas que le Mexique reste une nation monarchique, au contraire, ils préconisaient l’établissement d’une république éloignée de tout concept européen avec le seul objectif de mieux la contrôler » affirme le prince qui est aussi un polyglotte averti.

Cette histoire, l’archiduc Carlos Felipe de Habsbourg-Lorraine ne lasse pas de la raconter dans des salles archi-combles, forçant l’admiration de son auditoire. Dans une période d’incertitude politique à laquelle fait face le Mexique, une nostalgie mesurée concernant la période de son second empire traverse un pays qui songe parfois à cette ancienne monarchie incarnée encore par l’imposant palais de Chaputelpec qui surplombe la capitale. Des associations, des mouvements monarchistes existent***, ont traversé le XXème siècle avant de se muer dans un silence faute de percer, faute de prétendants impliqués avant de faire un timide retour au début du nouveau millénaire. Les expositions sur la vie et l’histoire de l’empereur se sont récemment multipliées au Mexique. Une mode sur laquelle l’archiduc entend bien surfer afin de dédouaner Maximilien Ier des accusations portées contre lui. Le retour de la monarchie (dont il est un possible prétendant****) passera-t-il par la dé-diabolisation et la réhabilitation officielle d’un homme qui peut avant que les balles frappent sa poitrine avait clamé dans un dernier baroud d’honneur : « Je pardonne à tous et que tous me pardonnent. Que mon sang prêt à couler soit répandu pour le bien du pays. Vive le Mexique. Vive l’indépendance ».

« Il n’a jamais gouverné le Mexique pour les intérêts de la France mais uniquement pour ceux du Mexique seul » rappelle encore, sous les applaudissements, le prince Carlos Felipe de Habsbourg-Lorraine. Un siècle et demi après sa mort aux accents d’un romantisme funeste, que l’artiste Edouard Manet retranscrira à travers une peinture restée célèbre, le message testamentaire du denier empereur mexicain semble enfin avoir été entendu par les descendants de ses anciens sujets qui lui rendent désormais un hommage appuyé.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 06/06/2018

* :https://vdhvoieroyale.wordpress.com/2016/10/17/le-legitimisme-et-la-guerre-de-secession/

** https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/guerre-du-mexique-1-1862-1867-les-raisons/

***https://www.facebook.com/frederic.denatal/posts/820085538148738 : Retrouvez mon article sur le monarchisme mexicain intitulé Interdiction du parti monarchiste au Mexique !

****https://www.facebook.com/frederic.denatal/posts/956032877887336 : Retrouvez mon article sur le monarchisme mexicain intitulé : L’archiduc Carlos Felipe de Habsburgo-Lorena y Arenberg, futur «Emperador de México » ?

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