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Un monarchiste nommé Bob' Marley

Icône internationale de la musique Reggae, Bob Marley continue encore de faire danser des millions de personnes à travers le monde, plus de 40 as après sa mort. Avec la sortie de son biopic au cinéma, « One love », l'occasion de (re-)découvrir un homme dont le nom reste attaché à la Jamaïque et qui fut un monarchiste mystique.

Lorsqu’en 1976 sort l’album « Rastaman Vibration », il s’inscrit rapidement comme l’un des meilleurs best-sellers de cette année aux Etats-Unis. En particulier, grâce à une chanson intitulée « War » (Guerre)? qui reprend presque intégralement, sur fond de tempo à la fois lancinant et rythmé, le discours du Négus Hailé Sélassié, prononcé devant l’assemblée générale des Nations Unies en 1963. Entre deux couplets en amharique, cette langue dont on dit qu’elle fut parlée par le Christ lui-même, on entend la voix du chanteur vedette du groupe des « Wailers », Bob’ Marley. Et si on connait avant  tout  l’homme comme une icône mondiale de la musique Reggae, récemment inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, on ignore beaucoup moins que  Robert Nesta Marley, de son vrai nom, fut également un monarchiste mystique, un admirateur quasi-dévot du dernier roi des rois.

Un jeune homme qui se cherche à travers le rastafarisme

Bob MarleyNé en février 1945 d’une mère afro-caribéenne et d’un britannique, Bob’ Marley grandit dans une île, la Jamaïque  marquée par la ségrégation raciale et le colonialisme. Ce n’est que vers la fin des années soixante, après s’être essayé à différents styles musicaux, que le jeune chanteur adhère alors au concept en vogue du « Rastafarisme ». Un mouvement qui s’inscrit dans la ligne droite de Marcus Garvey, figure emblématique du nationalisme noir, qui défendait « l'affirmation d'une fierté noire, la réappropriation d'un héritage africain et qui prônait le rapatriement des diasporas africaines en Afrique » nous le rappelait  encore cet été, Radio France international. Mais avant tout, il s’incarne à travers la figure charismatique du dernier souverain d’Ethiopie, l’Abyssinie du poète Rimbaud. Car bien avant d’être celui que l’histoire allait retenir sous le nom d’Haïlé Sélassié, « puissance de la Trinité », « le Lion de Judah » fut d’abord le Ras Tafari Makonnen, « celui qui est redouté parmi les grands nobles ». Equivalent du titre de « duc » en Europe, le prince-Ras grandit au sein de la maison royale du Shoa, proche de l’empereur Ménélik II et grâce à un jeu d’alliances particulièrement ambitieux, parvint à ceindre la couronne des descendants du roi biblique Salomon et de la reine de Sabah en 1930.

Une visite historique dont on parle encore en Jamaîque

22 1Le 21 avril 1966, il pleut ce jour –là sur Kingston, la capitale de la Jamaïque. Une foule importante s’est massée à l’aéroport international Norman Manley d’un pays qui a décidé de prendre son destin en main, 4 ans auparavant. Bob Marley n’est pas dans son île natale quand l’empereur éthiopien décide venir visiter cette terre baignée par des eaux d’un bleu translucide. Lorsque l’avion impérial orné de l’emblème du lion  et des rayures vert, jaune, rouge apparaît dans le ciel et amorce sa descente, la pluie cesse soudainement de s’arrêter. Une clameur s’échappe, unanime, de la foule, déjà sous l’emprise les volutes de ganja qui ont envahi l’aéroport. Le messie arrive. Les tambours redoublent d’intensité, les chants raisonnent, « Jah » (abréviation de Jéhovah) est parmi son peuple. Le rastafarisme, c’est un mouvement religieux qui voit dans Hailé Sélassié, ce messie de l’ancien testament, et la consommation d’herbe, loin d’être ce quelque chose de récréatif vendu dans sa version actuelle, un moyen pour l’âme de s’élever. Et si on sait aujourd’hui que le Negusä nägäst, qui fut un chrétien dévoué,  n’encouragea pas pour autant ce mouvement caractérisé par le port religieux des dreadlocks, en référence au serment de vœu nazarite prononcé par ses adeptes, comme l'explique son petit-fils, et Président du conseil de la Couronne, le prince Ermias Sahle Selassie, il n’en demeure que cette visite de 3 jours va rester dans les annales de l’histoire rastafarienne. Les longues lettres que lui écrit son épouse, Rita, sur cette visite, achève de le convaincre que l’empereur est le « Jah réincarné ». La musique reggae va être le moyen de populariser un message qui va bientôt se répandre sur tout le globe.

Un chanteur qui honore la mémoire du Négus dans ses tubes

23 1Le Négus n’aura jamais le loisir d’écouter l’album hommage que lui dédie Bob’ Marley. Le coup d’état du 12 septembre 1974 met brutalement fin à une monarchie vieille de 3000 ans. Et même après son assassinat un an plus tard, la communauté Rastafari continuera de croire qu’Haïlé Sélassié était encore vivant, sous le nom d’Abba Keddus, voir comme seule force spirituelle et éternelle. Comme beaucoup de rastafariens, le chanteur pensait être un membre du peuple élu, forcé de vivre en exil dans « Babylone », la ville occidentale, coupable de tous les excès. Alors Bob’Marley monarchiste ? Evoquer la mémoire de l’empereur disparu suffit-il pour en faire un royaliste convaincu ? Beaucoup se gausserait de ces allégations si le journal Epoch Times n’avait pas consacré en mars 2017 un article sur les points de vue politiques du chanteur. Ce pacifiste reconnu semble avoir une sainte aversion pour le communisme, notamment lorsque le premier ministre Michael Manley (de 1972 à 1980) finira par se rapprocher de Cuba. Les marxistes du Derg ont étouffé le Négus sous un oreiller, poussant le vice à l’enterrer sous le bureau même du dictateur Mengistu Haïlé Mariam. Interviewé à San Francisco par Jeff Cathrow,  en 1978, lorsque ce dernier tente de rapprocher la doctrine rastafari de celle du communisme, Bob’Marley, qui lui donne du « mec » en argot, s’irrite. « Michael Manley est un socialiste marxiste-léniniste, le rastafarisme soutient le monarchisme. La Bible ne dit –elle pas qu’il est le roi des rois. Essaye de réfléchir à cela, mec ! » déclare le chanteur.

Le rastafarisme, une religion controversée

Pochette de l'album Bob Marley and the Wailers« Quand tu vis comme un Rasta, tout doit devenir paix et amour »  avait expliqué Bob Marley». Tolérante le rastafarisme ? Pas vraiment. Et si il réfute la monogamie pour cultiver l’art de multiplier les « impératrices », le rastafarisme est aussi un société patriarcale qui rejette toute notion de féminisme, de contraception, d’avortement et d’homosexualité contraire à tout droit de reproduction prônée par la biblE,  fustigeant ces « symboles de la dégénérescence de Babylone qui tente de réduire le taux de natalité en Afrique ». La nature déteste le vide. Et la maison impériale est désormais incarnée entre les mains du prince Asfa Wossen, l'Amha Sélassié Ier (don de la Trinité) du mouvement Moa Anbessa (ou parti du Lion Conquérant) qui participa à la libération de l'Ethiopie, début des années 1990. Peu avant sa mort en 1981, le chanteur était venu rendre hommage à Londres à l'héritier de la couronne. Charmé par Bob’Marley, le controversé Asfa Wossen lui avait alors fait cadeau d'une bague (dite du Lion de Judah) et à qui les rastafaris attribuent toujours des pouvoirs magiques. Une bague qui illustrera la pochette posthume de l’album hommage « Legend », sorti en 1984, et que l’on peut voir au doigt de Bob’Marley.

Un chaud partisan de la maison des Salomonides

Bob Marley en concert devant un portrait du NégusLors de son interview, Bob Marley s’était lancé alors dans un vibrant hommage au négus disparu. « Le rastafarisme s’incarne à travers sa majesté impériale, le rois des rois, le conquérant de Judée, et ça c’est une réalité  car il est le légitime héritier de la maison de Salomon, mec ». Lors de chaque concert, il y’avait derrière lui un portrait du messie-empereur. Le chanteur dénonce le régime marxiste du Derg, l’accusant de ne rien faire pour endiguer la famine qui ravage le pays. « Sa Majesté a toujours été le seigneur des seigneurs et si tu penses, mec, qu’il est mort, eh bien sache que ses préceptes eux-vivent toujours ». « Ne sais-tu pas  que Sa Majesté est  l’Alpha et l’Omega ? » continue Bob’ Marley  qui surenchérit entre deux bouffées de marijuana : « Hailé Selassié est un dieu, que cela plaise ou non  (…) ». Et lorsque le journaliste lui demande alors, si il souhaite aller chanter en Ethiopie, le rastafari s’énerve : « Tous les membres du parlement de Sa majesté l’ont trahi ! Regarde maintenant, mec, c’est le chaos. C’est quoi ce type de 32 ans qui a décidé de tuer un empereur de 84 ans ? Quel genre de dignité possède cet homme, ce sac de m*rde ».

Bob'marley, une mémoire qui se perpétue

Bob Marley, chantre du rastafarisme musical« Regardez vers l’Afrique, où un roi noir doit être couronné avait dit Garvey ! » Un mysticisme monarchique qui poussa toutefois le chanteur à ignorer et nier  une phrase que l’on prête au souverain lors de son voyage en Jamaïque. « Il y a un problème... Ils comprennent mal... Ils ont besoin d'une Église établie et vous êtes désigné pour y aller », missionnant l'Abuna Yesehaq pour qu’il convertisse les rastafaris à l’Église orthodoxe tewahedo éthiopienne. Venu commémorer le 50ème anniversaire de la venue du Négus sur l’île en 2016, le prince Ermias Sélassié avait été acclamé par la communauté rastafari. Portraits de l’empereur Hailé Sélassié et de celui de Bob’ Marley brandis, ici nul n’a oublié le rêve, cette quête que tout rastafari a fait un jour et doit réaliser dans sa vie. Celui de revenir à Zion, celui de venir s’agenouiller sur le sol couleur sang de « mama Africa », la mère des Terres, et sous le regard bienveillant du masque d’or, incarnation de la résistance noire face à l’Europe coloniale. « Sur les cinq continents, à l'évocation des mots « rasta » et reggae, son nom est prononcé. Bob Marley est celui qui a été le porte-parole des opprimés et des laissés pour compte. Par sa musique et ses textes, il a véhiculé une parole d'espoir et de paix, transmis un message politique et spirituel. La rédemption de l'homme noir est le fondement même du mouvement rasta, mais en l'incarnant, Bob Marley aura su dépasser les clivages de couleur pour être le symbole de la rédemption de tous les hommes, un emblème universel de la fierté et de la dignité humaine » peut-on lire sur le site de France Culture

Chanteur, de son vivant, Bob’ Marley aura été sans nul doute,  la voix de l’empereur dans ses chansons, le prophète d’une religion au message universel, le héros des « sans-droits, du Bronx à Soweto » mais aussi un monarchiste syncrétique assumé.  En 1968, son premier disque enregistré de reggae portait le titre de « Selassie is the chapel ». Symbolique en soi, il a été repris par Stephen, l’un des 11 enfants du chanteur mythique. « Hailé Sélassié est la chapelle, le pouvoir de la trinité, construisez votre esprit dans cette direction, servez le Dieu vivant et vivez. Portez vos ennuis à Sélassié, il est le seul roi des rois, le lion conquérant de Judah (…) ». «Pacific Revolution, Yeah man ! ».

 

Copyright@Frederic de Natal

 

Date de dernière mise à jour : 25/01/2024

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