Guerre fratricide entre les demi-frères du roi du Cambodge

Le prince Norodom Ranariddh et son demi-frère Chap NhalivuthC’est un feuilleton qui n’en finit pas d’avoir de multiples rebondissements. Alors que le Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif (Funcinpec) est sur le point de signer un accord de fusion avec son rival sécessioniste, le Khmer National United Party (KNUP), une nouvelle guerre fratricide a éclaté au sein du parti royaliste cambodgien entre le prince Norodom Ranariddh et son demi-frère Chap Nhalivuth. Une « drama-queen‘s story» incompréhensible qui risque d’affaiblir un peu plus ce mouvement monarchiste qui a considérablement perdu en influence depuis le coup d’état de 1997. 

Le roi Norodom SihanoukFondé par le roi Norodom Sihanouk en mars 1981, l’hétéroclite Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif (Funcinpec) a longtemps rassemblé divers mouvements idéologiques autour de lui. Y compris celui des Khmers rouges. Restauré sur son trône en 1993 au prix d’une longue guerre civile et  un long processus de paix, le monarque a cédé son leadership à son fils Norodom Ranariddh qui est devenu conjointement Premier ministre avec l’opportuniste Hun Sen, président du Parti du peuple cambodgien (PPC). Un gouvernement qui n'a pas tardé à montrer les nombreuses dissensions entretenues entre les deux hommes et le début d'un conflit qui s'est terminé par un coup d’état perpétré en août 1997 par Hun Sen. Depuis, ce dernier a concentré la majorité du pouvoir entre ses mains, entre deux élections législatives truquées et emprisonnement d’opposants, et réussi à fracturer un Funcinpec qui n’a eu de cesse de perdre électoralement du terrain. 

Hun Sen et le roi Norodom SihamoniPrésident de l'Assemblée nationale du Cambodge entre 1998 et 2006, le parcours politique de Norodom Ranariddh est assez chaotique. Démissionnaire de son parti, il fonde l’éphémère Parti Norodom Ranariddh (PNR) qui ne perce pas dans les scrutins et doit s’exiler après des accusations de détournements de fonds. Pardonné en 2008, il intègre le Haut Conseil privé du roi Norodom Sihamoni (choisi par son père à la tête de cette monarchie élective et héréditaire pour lui succéder en 2004), renoue avec la politique avec un tout aussi éphémère parti Communauté du Parti populaire royaliste (CRPP) qui n’arrive pas à émerger. Puis de réussir à reprendre la présidence d’un moribond Funcinpec en janvier 2015. De 58 sièges en 1993, le mouvement royaliste ne possède plus de représentants à l’assemblée deux décennies plus tard (exceptés deux sénateurs) et les dérives autoritaires du prince vont finir par provoquer de multiples scissions sur scissions. En 2016, Nhek Bun Chhay, second vice-président du Funcinpec, claque la porte, revendique le logo du mouvement au cours d’un procès et dame le pion à son rival lors des scrutins électoraux sous la bannière du Khmer National United Party (KNUP). Des rivalités qui profitent au PPC qui renforme sa mainmise sur les institutions du pays au grand dam de la communauté internationale et le silence assoudissant du roi Norodom Sihamoni accusé d’être devenu un monarque fantoche par les opposants au régime,  protégé par un nouvelle loi de crime anti-lèse-majesté ( qui jusqu’ici a principalement touché ceux qui évoquent la sexualité du roi). 

Nhek Bun ChhayLes frères ennemis ont fini par se réconcilier après des mois d'invectives. Revenu à la tête de son parti après une longue convalescence, suite d’un mystérieux accident de la route qui à ressemble à une tentative d’assassinat et où sa seconde femme a perdu la vie en juin 2018, Norodom Ranariddh s’est employé à faire revenir Nhek Bun Chhay dans le giron du Funcinpec. A la veille des élections communales, la presse qui suit ce feuilleton à rebondissement, digne d’un soap-opéra américain, a annoncé ces derniers jours que les deux mouvements allaient enfin fusionner en  dépit de disputes sur les postes à attribuer aux différents cadres des deux partis. « Nous avons discuté d'un certain nombre de questions, le Funcinpec et le KNUP se mettant d'accord sur un protocole d'unification des deux partis en un seul Funcipec. Nous nous sommes également mis d'accord sur une politique de participation aux élections du conseil communal en 2022 et aux élections générales en 2023. Le règlement et les statuts ont déjà été approuvés » a même déclaré Neth Bun Chhay aux médias locaux. 

Marie et Norodom RanariddhIl y a quelques jours, le Funcinpec a de nouveau fait l’actualité après la décision de son patron de limoger les vice-présidents, Heng Chantha, Say Hak et Phann Sithy, le secrétaire général adjoint qui agissaient sans en avoir reçu l’ordre expresse du prince Norodom Ranariddh. Une décision prise lors d’une conférence vidéo où est curieusement apparu son fils aîné, le Norodom Chakravuth, qui a occupé près de deux ans la présidence par intérim du Funcinpec. Très contesté, il a été d’ailleurs remplacé par Chap Nhalivuth. Fils de la princesse Neak Moneang Phat Kanhol (1920–1969), issu d’un second mariage, Chap Nhalivuth ne fait pas mystère de son opposition à Norodom Ranariddh.. Jusqu’ici enfouies, les tensions internes ont de nouveau ressurgi avec cette affaire qui n’est pas sans rappeler celle que Ranariddh avait eu également avec sa demi-sœur, la princesse Norodom Arunrasmy, ancienne présidente du Funcinpec entre 2013 et 2015 et dont la gestion du parti a été désastreuse. Chap Nhalivuth a immédiatement fait annuler la décision de limogeage de son frère, affirmant que ce sont des rivaux qui ont illégalement apposé le sceau du parti sur ce document de destitution alors que Norodom Ranariddh est actuellement en France pour raisons médicales.  

Royalistes du FuncinpecLe parti est de nouveau au bord de l’explosion. La section Funcinpec de Phnom Penh, la capitale du royaume, a annoncé qu’elle soutenait Chap Nhalivuth alors que ce dernier accuse l’ex-épouse de Norodom Ranariddh, la princesse Marie, d'voir pris en otage les sceaux du parti. Ce que dément formellement l’intéressée et qui affirme n’avoir rien à voir avec cette énième cabale politique. Une guerre d’égo incompréhensible où chaque groupe se renvoie la balle et se regarde en chiens de faïence. Le porte-parole nouveau Funcinpec, Nhoeun Raden, a déclaré que Chap Nhalivuth n’était plus président par intérim, ayant décidé de se retirer officiellement de sa fonction en mars dernier. De son côté, les soutiens de Chap Nhalivuth affirment que le presque octogénaire prince Ranariddh est sous l’influence de son propre groupe qui profite de sa faiblesse physique pour agir et placer ses pions. « Nous confirmons notre volonté de fusion, mais nous attendons le retour du prince au pays. Nous accueillons toujours toute unité avec les partis, pas seulement le parti dirigé par Nhek Bun Chhay », a déclaré Raden. « Toute unification sans la présence d'un prince ne sera pas envisagée par le Funcinpec» a ajouté le porte-parole du mouvement royaliste qui n’entend pas laisser le champ libre à Chap Nhalivuth. 

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Date de dernière mise à jour : 04/10/2021

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