La maison Iturbide

«Don Maximiliano est le chef incontesté de la Maison impériale du Mexique »

Prof. Enrique Sandoval (2018)

 

78 1Parmi les 56 « chevaliers profès » de l’Ordre de Malte, rien ne distingue le prince Maximilian von Götzen-Iturbide des autres. Il a 74 ans, son nom respire le bon teint de ces grands patronymes d’un empire disparu, à l’étendue si grande dont disait que d’un point à un autre, le soleil ne se couchait jamais. Il est reçu par le pape et quand il n’exerce pas ses activités, il gère ses affaires en Australie et au Mexique. En Amérique centrale, il incarne un espoir pour quelques nostalgiques d’une époque fondatrice et forte en symboles. C’est ici qu’en 1822, son ancêtre, le général Agustín de Iturbide y Arámburu fut proclamé souverain du  « Primer Imperia Mexicano », le premier empire mexicain. 

 

Le pape émérite Benoit XVI comme son successeur au Saint-Siège, François,  l’ont tour à tour reçu avec les honneurs. Il a été introduit auprès des Pontifes comme héritier de la couronne impériale du Mexique. Un titre que lui conteste une autre minorité de monarchistes qui soutient ouvertement les prétentions de l’archiduc Carlos Felipe de Habsburgo-Lorena y Arenberg. Chez les deux princes, un même sang, celui des Habsbourg, une même histoire tout aussi impériale. Agustín de Iturbide y Arámburu est à la fois espagnol et créole. Le continent sud-américain subit de plein fouet la vague napoléonienne qui secoue le royaume des Bourbons, à Madrid. Les vice-royautés doivent faire face à des soulèvements. Le Mexique n’y échappera pas. Aux premières heures de la guerre d’indépendance, en 1810, cet aristocrate est aux côtés des royalistes sans savoir que son destin est en marche. Deux ans plus tard, la crise libérale qui éclate en Espagne persuade Iturbide que seule l’indépendance peut finalement sauver son pays de l’insurrection républicaine.

 

On pense à une monarchie et une couronne que l’on donnerait à Ferdinand VII. A Mexico, on est persuadé que le roi légitime va être détrôné. Il prend alors la tête d’une coalition hétéroclite de nobles fonciers, religieux et libéraux. Le plan Iguala sera la feuille de route de cette nouvelle insurrection qui voit rapidement le ralliement des premiers chefs de la rébellion. L’histoire devait en décider autrement. Ferdinand VII conserve son trône, interdit à tout membre de sa maison de monter sur ce trône séditieux (y compris à son frère Don Carlos qui lorgnait dessus), le pays est au bord de la sécession. Le 21 juillet 1822, Iturbide devient Agustín Ier. Une nouvelle maison impériale est née. Elle va durer moins d’un an. La monarchie constitutionnelle sombre dans l’autoritarisme, Agustín Ier est finalement obligé d’abdiquer face à l’opposition grandissante et s’exile. A l’empire succède l’anarchie, Iturbide croit voir sa chance de remonter sur le trône à la manière de l’empereur des français. Il n’aura pas ce même succès. Battu, arrêté, il est exécuté en juillet 1824, laissant derrière lui 9 enfants vivants.

 

77 1Son fils héritier, Don Agustín Jerónimo de Iturbide y Huarte (1807-1866), part en Europe. Altesse impériale, c’est un homme sensible. Les témoins de cette époque rapportent que lorsqu’il apprend que son père devient « el Emperador », il tomba sur le sol, évanoui. Mais, il n’en reste pas moins un militaire reconnu comme son père, qui va sortir sabre au clair au côté d’un autre héros de l’indépendance, Simon Bolivar. Le Mexique se plaindra de sa présence aux côtés du général mais le futur fondateur du Venezuela rassure le gouvernement, cet ancien zouave pontifical ne cherche pas à remonter sur le trône. Il a pourtant des partisans qui attendent qu’il entre en libérateur. En vain. Il fallut donc chercher un autre prince tout aussi chrétien, parlant espagnol. Ce sera Maximilien de Habsbourg-Lorraine qui accepte de tenter l’aventure mexicaine, poussé par un Napoléon III soucieux d’établir un empire catholique qui favoriserait son commerce. Par une extraordinaire ironie de l’histoire, les deux familles vont être amenées à lier leur avenir.

Maximilien Ier et Charlotte de Belgique, couronnés en 1864 n’ont pas d’enfants. Ils décident d’adopter deux neveux du prince impérial, Agustín de Iturbide y Green (1863-1925) et Salvador de Iturbide et Marzán (1849-1895) contre monnaie trébuchante. Ils n’auront guère le temps d’en profiter. L’empire vacille et s’éteint à Querétaro en 1867. Salvador se consolera à Vienne où on lui donnera pension, sans doute le prix des remords de l’empereur François-Joseph qui se reprochera longtemps de n’avoir pu stopper l’ambition d’un frère qui souffrait de n’être que le cadet. Il sera l’ami de don Carlos de Bourbon, prétendant et un temps roi éphémère d’Espagne, le « Charles XI » de la Légitimité française. Entre princes de grande noblesse, on trompe son ennui en voyageant ou en s’échangeant des médailles. Agustín, lui, part étudier à Washington et fait de la politique…au Mexique. Il ne prétend à rien mais publie des brûlots contre le président Porfirio Diaz qui a pris les habits d’un souverain couronné de lauriers républicains. Il sera arrêté, condamné et emprisonné 14 mois en 1890. Dépressif, paranoïaque, il vit dans les souvenirs d’un empire qu’il n’a connu que dans les langes.

 

75 1A la mort de Salvador, l’empire mexicain n’est plus qu’un lointain passé qui excite encore quelques conservateurs. L’héritage s’incarne alors à travers la princesse María Josepha Sophia de Iturbide dont la beauté ne servit guère les intérêts du dernier carré de monarchistes qui se pressaient autour d’elle. On la rêva en «Jeanne d’Arc » lors de la guerre des Cristeros (1926-1929), ce conflit religieux qui fut au Mexique ce que fut la Vendée à la France et raconté dans le film éponyme, sorti sur les écrans en 2012. Elle ne s’y intéressa guère, chantait « la Paloma » accompagné d’un adieu sans retour et s’installa en Roumanie. La guerre froide avait enterré l’ancien monde de sa famille mais le nouveau fut tout aussi suspicieux que le premier à son égard. En dépit d’un âge avancé, 77 ans, elle fut internée avec son mari, Charles de Carrière, par les soviétiques en camp de concentration, trop heureux de pouvoir mettre une « ennemi du peuple » sous les verrous.

C’est son petit-fils Maximilian von Götzen-Iturbide qui assume aujourd’hui les prétentions à la couronne impériale. Pour le professeur Enrique Sandoval, nul doute à avoir d’ailleurs. Cependant, loin d’être un nostalgique, il préfère clarifier les choses lors d’une interview accordée en avril 2018 : « Don Maximiliano est le chef incontesté de la Maison impériale du Mexique et héritier du trône, issu à la fois de la tradition Iturbide et des Habsbourg (…) mais il est nécessaire de préciser qu’il n’est pas intéressé par un rôle politique au Mexique ». Ses quelques partisans, rassemblés autour d’un parti monarchique mexicain plus actif sur les réseaux sociaux que le terrain,  apprécieront. Guère de quoi rassurer ceux qui se comptent sur les doigts de la main, 5000 pour ceux qui soutiennent Maximilian von Götzen-Iturbide (le chiffre paraissant peu probable)  dans un pays qui réhabilite depuis quelques années le second empire, longtemps décrit comme une occupation étrangère.

 

La succession est assurée. Il a deux enfants donc le prince Ferdinand, né en 1992. Le jeune homme est aussi sportif que le fut son père mais comme tous les jeunes adultes de son âge, c’est un habitué passionné des réseaux sociaux comme Twitter (@ferdigoetzen), possède un blog où il parle de croissance économique (ferdinandgoetzen.com) et même une timide chaîne You Tube.

Le rêve impérial des Iturbide semble avoir vécu au profit d’un autre plus 2.0. qui ne laisse plus de place à l’histoire nationale du Mexique. Et ce n’est pas les pro-Habsbourg qui vont se plaindre.

Frederic de Natal

Paru le 13/12/2018

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