La reine songe t-elle à abdiquer ?

«La reine abdique », « le Royaume-Uni sous le choc », « Charles de Galles monte enfin sur le trône »… tels pourraient être les titres auxquels risquent les britanniques d’être confrontés pour le 95ème anniversaire de « The Queen ».  Bien que les spéculations sur une possible abdication ou mise en place d’une régence soient récurrentes, chaque année, dans les tabloïds anglo-saxons, ces dernières semaines, cette question a été de nouveau au cœur des préoccupations des médias de « Sa Majesté ». Avec pour cette fois, une nuance qui n’est pas passée inaperçue, la déclaration tonitruante du prince Charles de Galles à propos de son futur règne.

«Jamais je ne ferais une chose pareille » aurait dit Elizabeth II lorsqu’elle a appris la renonciation au pouvoir temporel du pape (-émérite) Benoit XVI. 

Elizabeth IILorsqu’en 1947 elle déclare depuis l’Afrique du Sud, «  I declare before you all that my whole life whether it be long or short shall be devoted to your service and the service of our great imperial family to which we all belong» (Je déclare devant vous tous que toute ma vie, qu'elle soit longue ou courte, sera consacrée à votre service et au service de notre grande famille impériale à laquelle nous appartenons tous ), la jeune princesse héritière qui fête alors ses 21 ans ne se doute pas qu’elle va bientôt monter sur le trône, 5 ans plus tard.

Indissociable figure de la vie britannique, populaire, elle a affronté toutes les crises politiques et économiques  majeures du XXème siècle, les tragédies familiales avec un flegme souverain, forçant l’admiration des 12 premiers ministres avec lesquels elle a travaillé jusqu’ici.  De chaque côté du Channel, elle a su conquérir le cœur des plus républicains de nos concitoyens comme celui des  plus monarchistes de ses sujets. 8 britanniques sur 10 sont attachés à cette reine qu’il considère volontiers comme un membre de leur propre famille.  Au sein de l’hexagone, c’est presque 60% des « froggies » qui la plébiscitent. Un véritable succès pour ce monarque à la longévité exceptionnelle et qui  battu le record de règne jusqu’ici dévolu à Victoria Ière, reine d’Angleterre et d’Ecosse,  première impératrice des Indes. Comment imaginer que cette femme qui a épuisé une dizaine de nos présidents puisse donc renoncer à ce trône qu’elle occupe avec dévotion et abnégation ?

Spécialiste de la maison royale et journaliste officiant pour ABC News, Robert Jobson a révélé dans une récente biographie consacrée au prince Charles de Galles que la reine pourrait lui succéder plus tôt que prévu. « Sa Majesté est consciente de son âge et veut s'assurer, qu'au moment venu, la transition se fasse de manière transparente (…) si elle est toujours en vie à 95 ans, elle envisage sérieusement de passer les rênes à Charles » a déclaré le plus sérieusement du monde le journaliste. Pour beaucoup d’anglais, les signes ne trompent pas. Dans un pays où les bookmakers sont rois, les paris sur le probable retrait d’Elizabeth II sont désormais ouverts.

En avril 2018, devant les présidents et premiers ministres du Commonwealth  ces 53 états membres qui partagent «  une série de valeurs communes telles que l'égalité, la non-discrimination, la démocratie et la primauté du droit » sous couvert de la couronne britannique, Elizabeth II plaide avec succès pour que son fils aîné lui succède. Si quelques voix se sont élevées pour protester devant ce choix quelque peu héréditaire (comme celle de Jeremy Corbyn, leader du Parti travailliste), rien de nouveau au regard des institutions britanniques séculaires. Avant elle, son père avait lui-même occupé la fonction de chef du Commonwealth de 1949 à son décès. Le prince Charles accompagne, depuis quelques années, sa mère pour l’ouverture du parlement, cérémonie annuelle la plus monarchique pour les anglais. Si certains y verront juste le remplacement du duc d’Edimbourg, trop âgé pour « assurer le service », d’autres restent persuadés que la souveraine impose son fils doucement comme son futur successeur.

Le royaume uniFutur Charles III ou Georges VII, à 70 ans, le prince de Galles divise comme passionne les sujets du Royaume-Uni. On lui a depuis longtemps pardonné sa relation tumultueuse avec Lady Diana Spencer, emportée trop rapidement sous le pont de l’Alma en 1997. Et ses infidélités. L’homme est un politique assumé qui n’hésite pas à casser les codes de neutralité que lui impose son rôle. Il a pris l’habitude d’écrire aux ministres de « Sa Majesté The Queen », « mummy », pour leur donner son avis sur diverses questions sociales et environnementales (notamment sur l'agriculture, les modifications génétiques, le réchauffement climatique, la dépossession sociale la planification urbaine et l'architecture). Parfois avec un « franc-parler » qui ont forcé certains fonctionnaires de la reine à se plaindre de cette incessante  ingérence du prince héritier. Entre 2004 et 2005, Charles de Galles aurait écrit presque une lettre par semaine nous rapportait déjà le journal « Le Figaro en 2012 ». Un scandale baptisé « les notes de l’araignée noire » (« black spider mémos »), par rapport au style d’écriture désordonné du prince, démontrant de facto aussi aux sujets de la reine que la monarchie est loin d’être aussi « chrysanthème » qu’ils pourraient le penser. Car si en Angleterre, les rois règnent, ils ne gouvernent pas. Les divulgations de ces lettres suite à une décision du tribunal, bien que le gouvernement conservateur de David Camerone ait tenté de l’empêcher, seront néanmoins expurgées des éléments les plus sensibles. Honni soit qui mal y pense, selon la formule consacrée.

Mais ces interventions du prince seront-elles les mêmes une fois sur le trône. Les rumeurs affirment que le plus vieux prince héritier en attente d’Europe entend obtenir un  plus de pouvoirs une fois couronné. Charles de Galles souhaite-t-il réellement mettre un coup de canif  dans la Magna Carta ou le Bill of right, ce dernier étant l’acte fondateur de la monarchie constitutionnelle en 1689 ? Dans une récente interview accordée à la BBC, cette vénérable institution qui a couvert en mondovision le couronnement de la reine Elizabeth II en 1953, Charles se défend de toute implication directe dans les affaires du royaume qu’il est destiné à diriger. «Ce n'est pas la même chose d'être prince de Galles que d'être souverain (…) et l'idée que je puisse continuer à agir de la même façon, si je dois être roi,  est complètement absurde parce que les deux situations sont complètement différentes» a tenu à rassurer le prince Charles. Qui a ajouté : «Non, ça n'arrivera pas. Je ne suis pas si stupide. Je me rends compte qu'il s'agit d'un exercice distinct, celui de la souveraineté. Donc, bien sûr, je comprends tout à fait comment cela doit fonctionner». Des déclarations qui ont relancé les spéculations sur sa prochaine montée sur le trône.

Preuve si il en est, la visite du prince et de son épouse, Camilla Parker-Bowles, en Afrique de l’Ouest alors que le Royaume-Uni tente une sortie honorable dans ses négociations sur le « Brexit » avec l’Europe. Là aussi l’héritier au trône surprend. Des 3 pays visités, le Ghana a été celui qui a été le plus fastueux. Ancienne colonie britannique, la première à avoir rompu ses liens avec Britannia, dans la violence, la Gold Coast est aussi la terre des Ashantis. Un peuple que les britanniques ont vaincu en 1896 après s’être emparé de leur capitale, Kumasi.  Danses traditionnelles, la cour et la maison royale des Beretuo se sont déplacées pour recevoir le futur roi d’Angleterre afin  « que notre histoire commune ait du sens et renforcer les liens qui nous unissent, nous devons avoir le courage de développer mutuellement nos économies, particulièrement dans le contexte du Brexit » comme nous rapporte les propos de l’Asantehene (roi) Osei Tutu II,  le journal « Le Monde ». Et Charles de Galles, coquelicot sur la veste en hommage aux britanniques morts sur le champ de bataille de la première guerre mondiale, de dénoncer « l'horreur abjecte  joué par les britanniques dans le commerce triangulaire ».  Derniers moments de liberté de parole comme prince héritier en attendant de monter sur les marches du trône ?

Son intervention à la BBC amorce-t-elle un prochain changement dans l’ordre de la succession ?  Le prince Charles  a « dessiné pour la première fois les contours de sa vision de l’avenir en tant que roi. Et très certainement la dernière fois aussi » croit savoir le Daily Telegraph. Et les déclarations du prince William, duc de Cambridge, ne sont pas faites pour éteindre les suspicions sur un prochain couronnement à venir : « Si mon père a réécrit le rôle du prince de Galles (dans la monarchie), c’est désormais à moi d’y apporter mon propre style, mes passions et mes intérêts personnels. Il est important que chaque génération fasse les choses un peu différemment des précédentes » a-t-il déclaré le 8 novembre dernier.

Mais les anglais qu’en pensent-ils réellement ? Souhaitent-ils, aujourd’hui, voir la reine renoncer à sa couronne ? Selon un récent sondage, ils sont plus de 70% à  plébisciter le maintien de la reine Elizabeth II sur le trône. Charles de Galles devra peut-être encore attendre.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 13/11/2018

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