Le prince Osman Osmanglu

« Ce fut une erreur d'envoyer tous les membres de la dynastie impériale en exil ». A 79 ans, le prince Osman Selahaddin Osmano?lu  est l’arrière-petit-fils du sultan Mourad V. Fin octobre, il a accordé une interview au quotidien Sabah, le quatrième le plus important de la presse turque. Depuis l’arrivée au pouvoir des islamos-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP) en 2002, les turques ont redécouvert leur glorieux passé. De l’Europe à l’Asie en passant par l’Afrique et l’Arabie, les Ottomans ont dominé durant  des siècles un empire puissant mais miné par la corruption. Le prince Osman Selahaddin Osmano?lu  revient sur l’histoire de ce sultan au règne éphémère, de la chute de l’empire et de la vie des  Osmano?lu  après la chute du Califat en 1924.

10 2«Un trait important de l’empire ottoman est qu’il a été dirigé par la même dynastie pendant sept siècles » rappelle d’emblée ce prince à la fine moustache blanche, témoin d’un temps qui passe inlassablement. Il n’a pas connu le sultan Mourad V, son arrière-grand-père mort en 1904. C’est le règne le plus court de l’histoire ottomane.  Monté sur le trône de son oncle, le sultan Abdulaziz, le 30 mai 1876, il est renversé 3 mois plus tard par son frère Abdulhamid II qui a pris prétexte d’une crise de folie passagère pour s’emparer du pouvoir. Lors de sa renonciation, le sultan Abdulaziz l’avait averti : le palais du Topkapi grouillait «  de ces traitres », ceux-là mêmes qui l’avaient contraint à renoncer au pouvoir. Prophétique. Le 4 juin 1876, Abdulaziz est retrouvé mort dans sa chambre. Assassiné ou un suicide, le mystère demeure encore actuellement. « Aujourd’hui, la lutte pour le pouvoir entre frères et les conséquences qui en découlaient peut sembler étrange à tous, mais il faut comprendre que la sauvegarde de l’état prévalait sur la notion de famille » affirme le prince Osman Selahaddin Osmano?lu. « Mourad V a-t-il ordonné la mise à mort de son rival ? » « Absolument pas » répond le prince, ancien conseiller financier. « Il aurait dû être transféré dans un autre palais du Bosphore, il se plaignait de l’humidité qui régnait dans sa chambre au Topkapi. Sa mort a beaucoup perturbé son neveu Mourad qui a perdu la tête en apprenant la nouvelle » précise le prince Osman. « En fait, je pense que c’est un assassinat orchestré par ses partisans qui n’avaient pas pris la peine de l’informer » tient à préciser le prince. Relégué à son tour dans une aile du palais, on tente en vain de remettre Mourad V sur le trône au cours d’une tentative de coup d’état en 1878, menée tambours battants par le journaliste Ali Suavi Effendi (1839–1878), hostile à son successeur. En vain. Mourad, devenu un désillusionné franc-maçon meurt à 63 ans.

« Il y a une redécouverte de l'empire ottoman. Êtes-vous satisfait de cet regain d’intérêt autour de votre famille ? » lui demande le journaliste. « Oui, je suis content. Nous n'avons rien fait de mal après tout. Par exemple, aucun de ceux d’entre nous qui ont été envoyés en exil, n’avaient agi contre le nouveau régime  Pendant un certain temps, ils ont été considérés comme des traitres mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il est logique de  critiquer les décisions des sultans mais cela n’a jamais été juste de les qualifier de traîtres. On devrait apprendre mieux notre histoire afin de se faire un avis par soi-même. Sur les 36 sultans, certains ont été de très grands souverains, mais il y a eu aussi des bons comme des mauvais. S’il  faut reconnaître que chaque sultan ne pouvait être l’équivalent de l’autre,  tous n’avaient qu’un seul but, celui d’être utiles à l'État.»  explique le prince Osman qui confesse ne pas regarder la série très populaire en Turquie sur la vie du Sultan Abdulhamid II. Surnommé « le rouge », il aura marqué de son sang, l’histoire du peuple arménien et aura été le premier témoin de la dislocation progressive d’un empire construit sur les ruines de Constantinople, en 1453. « Trop d’erreurs dans la série pour que je la prenne au sérieux » se justifie le prince qui n’ignore pas que les producteurs ont associé des membres de sa famille à ce show qui remporte tous les suffrages en Turquie.

11 1Nationaliste ? Le prince Osman aime son pays et aimerait que les Osmano?lu qui vivent encore partout dans le monde, même s’ils ne parlent pas tous la même langue, rentrent enfin en Turquie et essaiment. Tout en regrettant le manque d’unité de sa famille qui a ses entrées au palais présidentiel. C’est en 1952 que les femmes de la maison impériale ont été autorisées à revenir dans la mère-patrie. Il faudra encore 22 ans pour que la république autorise enfin aux membres masculins de sa dynastie à mettre le pied à Istanbul. Son père, le prince Ali Vasib (1903- 1983) a passé toute sa vie en exil, à Alexandrie, en Egypte. C’est en 1977 qu’il est devenu le chef de la maison impériale sous le nom d’Ali IV. En 2007, le prince Osman a fait rapatrier son corps en Turquie.  Il se souvient que lorsque son père a demandé à rentrer dans ce pays qu’il avait quitté à 21 ans, on lui a « demandé de passer un examen afin de vérifier s’il maitrisait parfaitement sa langue natale » dit le prince. Qui ajoute «  que son père a préféré renoncer devant tant de mépris ». Mustafa Kémal Atatürk, le tombeur de la monarchie ottomane et père-fondateur de la république laïque, était passé par là.

« Depuis les années 2000, le gouvernement a rencontré à diverses reprises votre famille. Vous-même avez rencontré le président Recep Tayyip Erdo?an. Comment l’avez-vous vécu ? ». « J’aurais voulu que mes « aînés » aient pu voir cela.  Pour moi, c’est une évolution qui ne peut que me réjouir » explique le prince au journaliste tout en lui montrant les portraits des ancien(ne)s princes et princesses de sa famille. Les  « La génération de mes parents a souffert. Par exemple, mon oncle Osman Fouad était un officier de l’empire  Un très bon militaire qui s’est illustré dans la guerre des Balkans et lors de la première guerre mondiale. Viré de l‘armée en moins de 48 heures à la chute de la monarchie. Quelles raisons ont pu pousser ces gens à exiler des membres de ma famille qui n’étaient même pas proches du sultan » dit-il, un tantinet irrité. Lui a pu rentrer en 1974, l’eau a coulé sous ponts depuis. Les Osmano?lu  font fréquemment le titres de la presse turque et commente la politique de leur pays librement, la plupart étant des soutiens avérés à l’AKP d’Erdogan. Quand ils ne sont pas membres ou fondateurs d’un parti politique.

Troisième dans l’ordre de succession au trône, le prince Osman Selahaddin Osmano?lu  sera peut-être un jour,  « Sa Majesté Impériale et sacrée, Souverain de la maison des Osman , Sultan des Sultans, Khan des Khans, Amir ul-Mouminine we-Rasul de Rab al-A’alamin, Calife, Commandeur des Croyants et Successeur du prophète du Seigneur de l’Univers,  dépositaire des saints sanctuaires (les villes saintes de la Mecque , Médine et Jérusalem ) et Kaysar-i-rhum, Empereur de Rome » ? En attendant, ce polyglotte reste chez lui, écrit et compulse les documents de sa famille, regard tourné vers le Bosphore. Les Ottomans sont enfin de retour définitivement  chez eux !

Copyright@Frederic de Natal

Paru le 19/11/2019

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