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Le roi ThibawLa maison royale de Konbaung réclame le retour du corps de son dernier souverain en Birmanie. Longtemps considéré par la junte militaire comme un roi sanglant et alcoolique, le dernier roi de Birmanie, Thibaw Min, fait l’objet d’une réhabilitation depuis le retour de la démocratie dans ce pays, il y a deux ans. Aujourd’hui, tous les regards se portent vers les descendants de la dynastie royale, renversée par la « perfide Albion » en novembre 1885. Ces derniers réclament désormais le retour du corps du roi encore enterré à Ratnagiri, en Inde, où il avait été exilé

Souverain oublié et grand perdant de la lutte contre la colonisation britannique en Asie, il monte sur le trône, âgé à peine de 19 ans. Rien ne le prédestinait pourtant à porter une couronne. Fils de la seconde épouse de son père, le roi Mindon (1808-1878), c’est une révolution de palais qui précipite son destin. Le 2 août 1866, le prince héritier Kanaug Mintha est violemment assassiné par des rivaux qui ne supportaient pas autant sa nomination à ce titre par son frère, le roi, que son esprit d’ouverture vers les techniques modernes industrielles de l’époque. Sorti de son monastère bouddhiste dans lequel il avait été confiné, Thibaw est rapidement marié à son influente demi-sœur Supalayat, premier acte d’une tragédie égyptienne qui s’inscrira en lettres de sang. Et c’est cette dernière qui se charge de trancher dans le vif afin d’éviter toutes contestations possibles. Plus de 100 membres de la famille royale sont massacrés au cours d’une nuit. Le palais de Mandalay se couvre de bruits que les assassins tentent d’étouffer tant bien que mal en mettant les concernés, coutume oblige, dans des sacs de velours rouges et âprement battus jusqu’à que mort s’en suive. Ce meurtre de masse choquera profondément les anglais qui décident 7 ans après de sceller le destin de cette monarchie qu’ils avaient pourtant contribué à maintenir en 1824, date à laquelle ils avaient commencé à coloniser la Birmanie.

Prenant prétexte de la découverte de tractations commerciales organisées par la France coloniale voisine (qui ne cachait pas son intention de se prendre une part du gâteau local) avec le souverain, les tuniques rouges se ruèrent à l’assaut de ce royaume avec la vague promesse de le remplacer par un autre prince. La résistance fut plus que passive, certainement grâce à la complicité du ministre de la défense, Kinwun Mingyi U Kaung, qui négocia la fin des hostilités et provoqua l’exil sans retour du souverain. Et la Birmanie de devenir une province indienne sur les ordres du secrétaire d’état aux Indes, Lord Randolph Churchill, père du futur premier ministre bien connu de tous, les colons de s’assurer une certaine fortune avec le trafic d’opium, réel motif de cette troisième guerre anglo-birmane. Clap de fin.

Blason de la maison royale de BirmanieLa demande du retour du corps du défunt roi n’est cependant pas récente. Lorsqu’il meurt en 1916, sa veuve, Supalayat réclame que l’on puisse rapatrier ses restes en Birmanie afin d’y effectuer les rites funéraires inhérents à sa religion. Ses rapports avec les autorités coloniales furent plus que tendues autour de la dépouille royale, profanées à divers reprises par les anglais alors que la reine n’avait de cesse de jouer à cache-cache avec eux. Finalement, pris de force, il fut enterré en 1919 à Ratnagiri et Supalayat d’être autorisée de revenir vivre à Rangoon avec pour interdiction de hanter Mandalay. Ses propres funérailles en 1925 furent l’objet de manifestations importantes de la part de ses sujets qui l’avaient érigé en icône de la résistance face à l’oppression des « rednecks ». Cinq ans plus tard, ceux-ci refusaient toujours d’agréer aux demandes de cette descendance qui en devenait lassante pour les autorités coloniales. Et de les exiler assez loin pour ne plus en entendre parler.

Avec l’indépendance de l’Inde en 1947, la question du transfert des dépouilles royales ( le roi et sa première fille) fut l’objet d’échanges de courriers intenses entre les deux futurs gouvernements avant d’être reléguée aux oubliettes et les descendants priés de stopper leurs revendications (l’actuel chef de la maison royale, le prince Taw Phaya (né en 1924) descend de la dernière fille du roi Thibaw). Une descendance qui avait le sentiment qu’un lien s’était brisé entre les différentes composantes sociales du pays puisque les rites funéraires sacrs n’avaient pu être pratiqués. L’ombre de l’ancienne monarchie hanta longtemps le palais très fermé de la junte militaire au pouvoir (1962-2011) qui avait au préalable rebaptisé le pays Myanmar (1989) afin de le couper de ses racines, jugées encore trop royales à leur goût. Ce qui n’empêcha pas le général-dictateur Ne Win d’épouser en 4ème noces, une arrière-petite-fille du prince Kanaung Mintha.

ILe prince Soe winl faut attendre 1993 pour que les petits-enfants du dernier roi soient enfin autorisés à quitter le pays pour se rendre en Inde et honorer religieusement celui qui reste encore considéré comme un demi-dieu par ses anciens sujets. Une autorisation tardive qui coïncidait cependant avec le début d’ouverture à la démocratie par la junte qui décidément se méfiait de ces princes et princesses trop rebelles à leur pouvoir. Les anglais puis les japonais durant la seconde guerre mondiale en avaient subi les affres, la junte les assignera rapidement en résidence surveillée entre les années 1970 et 1980. Avec le retour à la démocratie, la descendance du roi Thibaw profite de la visite du premier ministre indien en 2012, Manmohan Singh, pour lui faire de ses doléances. La question du retour des cendres du roi est de nouveau à l’ordre du jour. La famille royale fait alors l’actualité et la une des journaux locaux comme internationaux qui redécouvrent la dynastie de Konbaung dont rendra hommage le général-président Thein Sein . Les tractations vont bon train (le gouvernement ayant toutefois fait part de son refus de transférer le corps du roi, de peur que l’Inde ne l’utilise contre lui dans le processus de retour à la démocratie) et en novembre 2016, accompagné du chef d’état-major des armées du Myanmar, le prince Soe Win (qui semble faire aujourd’hui acte de porte-parole officiel de la famille royale et de prétendant au trône) part en Inde afin d’honorer très officiellement le dernier roi de Birmanie pour le centième anniversaire de sa mort. Birmans et indiens unis sous le même symbole déposèrent des fleurs et adressèrent des prières sur la tombe de Thibaw. Une longue cérémonie retransmise à la télévision.

Pour le prince Soe win (71 ans), le retour du roi en Birmanie n’est pas qu’une simple question d’orgueil familial. Il est aussi synonyme de réconciliation nationale à l’heure où le pays vit une crise identitaire avec de nombreuses aspirations ethniques qui fragilisent son unité. « Ces tombes n’appartiennent pas seulement à la maison royale mais aussi au pays » déclare t-il lors d’une interview au journal britannique « The Guardian » tout en rendant responsable les anciens colonisateurs d’avoir falsifié l’histoire et écorné l’image « d’un roi populaire dans le pays ». « Il est temps de faire revenir le roi chez lui » déclar le prince dans une autre interview accordée à la BBC, en décembre 2016.

Le prince Soe WinSi les négociations sont toujours en cours à l’heure actuelle, elles s’inscrivent indubitablement dans une vague de retour des grandes figures des maisons royales de part et d’autres du monde depuis des années. Brésil, Albanie, Russie, Serbie, une tentative avortée au Burundi et demain la France, la Birmanie sera-t-elle la prochaine à s’ajouter à cette longue liste ? Le combat de la descendance du roi Thibaw est désormais sur les écrans de cinémas. Dans un documentaire intitulé « Nous fûmes rois ! »*, le prince Soe win détaille avec beaucoup de passion son combat. Son projet est apolitique, il le martèle : « nous ne sommes pas ici pour restaurer la monarchie ! (…) Ce que je fais est pour mon pays, pour qu’il retrouve son intégrité et nos valeurs perdues (…) ». Et si il admet que ce projet divise la famille royale, dont une partie souhaiterait que ce retour se fasse plus tard, dès lors que la crise des Rohingyas trouvera une fin heureuse, le prince Soe win a annoncé, il y a quelques jours, que le retour des restes du roi était imminent. Un accord aurait été trouvé entre l’Inde et la Birmanie. En compensation des cendres du roi Thibaw, la Birmanie s’engagerait à restituer à son voisin ceux du dernier empereur moghol, Bahadur Shah, exilé et mort à Rangoon. Le retour du roi Thibaw en Birmanie ? Une revanche de l’histoire sous le signe de la réconciliation nationale. Tel est le vœu pieu que souhaite le prince Soe Win.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 16/03/2018

https://www.youtube.com/watch?time_continue=7&v=6O76CJ-ElC0 : "Nous fûmes rois !"

Date de dernière mise à jour : 01/02/2021

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