Leur nom est lié étroitement à l'histoire de France. La maison de Gramont a eu sa propre principauté abolie dans des conditions controversées. Des passionnés se battent pour que Bidache retrouve son autonomie au sein de la République française.
Nichée aux confins du Pays basque et du Béarn, la petite commune de Bidache, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, conserve une histoire singulière, celle d’une principauté souveraine autoproclamée dès le XVIe siècle. Longtemps ignorée ou considérée comme une curiosité féodale, la Principauté de Bidache, dont les vestiges du château surplombent toujours la Bidouze, connaît depuis quelques années un regain d'intérêt à la fois historique et médiatique. Entre revendications nobiliaires et querelles juridiques, retour sur un micro-État méconnu à l’histoire riche et controversée.
Les Gramont : de vassaux béarnais à princes souverains
C’est en 1570 que le comte Antoine Ier de Gramont (1526-1576), maire de Bayonne, se déclare « souverain prince de Bidache » (lieu du chemin où la pierre abonde), profitant des désordres liés aux guerres de Religion et de l'affaiblissement du pouvoir central. La maison de Gramont, une puissante famille noble de Gascogne, tire déjà son prestige d’alliances stratégiques avec la haute noblesse française, notamment les Foix et les Albret. En s'autoproclamant prince, Antoine Ier affirme la pleine indépendance juridique et administrative de ses terres.
C’est loin d’être un inconnu. Il appartient au sérail de la cour des Valois et a été le gentilhomme des rois Henri II, François II et Charles IX. Militaire confirmé, il a fini par rejoindre la Réforme, ceux qui ont adhéré au protestantisme tant honni par ma majorité catholique du royaume de France. Il devient alors l’homme à abattre. Son nom est étroitement associé au pillage de villes comme Poitiers, Angoulême au blocus de Paris lors de la première guerre de religion (1562-1568). Dans la suite d’Henri de Navarre venu épouser Marguerite de Valois, il échappe de peu à la mort lors de la Saint-Barthélemy (1572) grâce au roi Charles IX qui le place sous sa protection et le convainc de revenir au catholicisme. Une décision qui lui permet de devenir Gouverneur du Béarn et de Navarre en 1572. Il va avoir par la suite un rôle effacé dans les événements qui vont secouer la France.

Un État dans l’État jusqu’en 1793
Les Gramont exercent cette souveraineté sans réelle contestation jusqu’à la Révolution française. C’est d’ailleurs une incongruité géographique dans le royaume de France, un Monaco avant l’heure. La maison se veut princière sans la moindre reconnaissance mais reste respectée par les rois de France qui se succèdent. En 1596, Antoine II de Gramont (v.1572-1644) promulgue les Statuts de Bidache, une sorte de charte fondamentale codifiant la souveraineté de la principauté : justice, monnaie, armée, et impôts sont aux mains du prince. Le territoire est certes modeste – quelques kilomètres carrés – mais la structure étatique en est bien réelle, avec un conseil, des cours de justice, une milice, et une monnaie locale frappée à l'effigie princière. Devenu vice-roi de Navarre, les Gramont sont élevés à la dignité ducale par la monarchuie qui ne s'émeut pas de cette incongruité.
Les Gramont restent influents. Si leur nom est cité dans Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas ou dans la comédie dramatique Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand (comme prétendant de Roxane), ils continuent de s’inscrire dans l’histoire, fidèles de la monarchie Bourbon avec laquelle ils se mélangent généalogiquement. Lors de la guerre de succession, Antoine IV de Gramont (1641-1720) échappe à deux attentats perpétrés par des partisans des Habsbour qui lorgnent sur la la vice-royauté et le poste de gouverneurs du royaume de Navarre que sa famille occupe héréditairement jusqu’en 1790.
La Révolution française guillotine la principauté
Les Gramont gèrent leur principauté de Bidache de loin. La Cour de Versailles les contraint de rester près des rois de France. La transformation de Bayonne en port-franc fait perdre une taxe coutumière à la maison princière qui entend se faire indemniser par Louis XVI. Les négociations piétinent lorsque la révolution éclate. La maison princière reste fidèle à la royauté mais se retrouve au cœur des réformes territoriales lorsqu’il s’agit d’incorporer Bidache à une nouvelle entité régionale. Antoine VII de Gramont (1722-1801) va prendre son temps pour consulter ses « sujets » dans l’espoir d’ériger sa principauté en état indépendant. Bidache et ses 2000 hectares vont largement ignorer les suppliques d’un prince dont il ignore tout de sa vie.
Rattachée en avril 1790 au royaume de France, la principauté se retrouve annexée de fait par la République en 1793 sans le moindre référendum. La disparition de la monarchie française précipite la fin de ce petit État qui avait réussi, pendant plus de deux siècles, à maintenir une autonomie de fait, sinon de droit.

Un héritage qui perdure
Au-delà des soubresauts révolutionnaires (qui verra un de ses ducs échapper de peu à la guillotine) , la Maison de Gramont a perduré et va continuer à porter le titre de prince de Bidache. Antoine X Agénor de Gramont (1819-1880), plusieurs fois ministre de Napoléon III, va être celui-ci qui sera à l’origine de la déclaration de guerre à la Prusse. Désireux de se rallier l’ancienne noblesse, l’Empereur de France tiendra en haute estime ce prince de Bidache. Sa déclaration d’une rare violence aux chancellerie européennes va précipiter la chute de l’Empire. En 1874, il publie L’Histoire et généalogie de la maison de Gramont qui mentionne l’indépendance dont jouissait uniquement Bidache.
Son fils, le duc Antoine XII (1879-1962) intime de Marcel Proust et dont la beauté toute aristocratique émut les deux sexes, fut un collectionneur et un entrepreneur à succès. C’est aujourd’hui son arrière-petit-fils, Antoine XV de Gramont (né en 2008), qui est l’héritier de la principauté de Bidache depuis le décès tragique de son père. Prétention que le jeune homme discret célibataire et étudiant aux Etats-Unis, ne semble pas revendiquer.

Controverse juridique et reconnaissance internationale
La souveraineté de Bidache reste un objet de débat. Si historiquement, les princes de Gramont ont agi en quasi-chefs d’État jusqu’à la Révolution, aucune reconnaissance internationale formelle n’a été accordée, ni par les puissances européennes, ni par la France. Toutefois, certains juristes relèvent que le statut de la principauté n’a jamais été légalement abrogé. À ce titre, certains considèrent que Bidache pourrait, sur le modèle d’Andorre ou de Seborga, revendiquer un statut spécial de principauté patrimoniale et ses héritiers actuels.
Depuis les années 2000, des passionnés et des historiens locaux militent pour une reconnaissance culturelle de la principauté, à l’image de la reconstitution des anciens statuts, de cérémonies symboliques, et d'une fête annuelle de la principauté. Certains sont même allés jusqu’à réclamer un référendum pour une autonomie symbolique, en s’appuyant sur les précédents de Monaco ou San Marino. Ces revendications restent largement anecdotiques, mais qui nourrissent encore l’imaginaire collectif.
La Principauté de Bidache illustre la complexité de l’histoire féodale française, faite de poches d’autonomie et de seigneuries quasi-souveraines. Plus qu’une revendication politique, Bidache incarne une mémoire collective, celle d’un territoire qui fut, pendant plus de deux siècles, un État dans l’État. Aujourd’hui encore, son passé princier nourrit la fierté locale et le récit d’une famille aristocratique à l’histoire fascinante. Entre mémoire, folklore et droit historique, la principauté de Bidache reste une curiosité européenne à part entière.
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