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Le Vatican à l’épreuve des fantômes du roi Baudouin

Annoncée par surprise par le Pape François, la béatification du roi Baudouin suscite de vives polémiques. Entre passé colonial, rôle trouble dans l’affaire Lumumba et débat sur l’avortement, son successeur Léon XIV pourrait juger plus prudent de refermer discrètement ce dossier brûlant.

En septembre 2024, l'annonce inattendue du pape François, de vouloir entamer la béatification du roi Baudouin a déclenché une onde de choc dans les cercles religieux, politiques et historiques de Belgique. Alors que le nouveau souverain pontife, Léon XIV, s'installe progressivement au Vatican, nombreux sont ceux qui s’interrogent : mettra-t-il fin à un processus aussi controversé que délicat ? Car si Baudouin fut un roi pieux et respecté par une partie de ses contemporains, le passé colonial de son règne ternissent sérieusement l’image de sainteté que certains veulent lui attribuer.

Une démarche inhabituelle, le poids d’un passé colonial lourd

La nouvelle, aussi soudaine que solennelle, avait pris de court non seulement les évêques belges, mais aussi la famille royale elle-même. .La tradition veut que les demandes de béatification émanent des communautés ecclésiales locales. Or, dans ce cas, l’initiative est venue directement du sommet de l’Église catholique, suscitant de sérieuses interrogations sur les motivations réelles derrière ce geste. Peu de temps avant de décéder, le Pape François est allé jusqu’à instituer une commission d’experts en histoire et en archivistique pour examiner la vie et les vertus de ce monarque belge, mort en 1993.

Si l'intention est louable, le point le plus épineux reste la relation de Baudouin avec l’histoire coloniale belge, en particulier avec le Congo. Roi des Belges durant 42 ans, Baudouin fut aussi le dernier souverain à régner sur le Congo belge, jusqu’à son indépendance le 30 juin 1960. Une décolonisation qui ne s’est pas faîte sous les meilleurs auspices tant les colons ont tout fait pour la retarder ou la stopper totalement. Contraint de devoir se déplacer à Léopoldville, lors de son discours, Baudouin a provoqué la stupeur des Congolais décrivant son aïeul Léopold II, accusé par certains d'être responsable de millions de morts dans l'État indépendant du Congo, comme un “génie” et un “civilisateur”. Des propos perçus comme une provocation dans un pays marqué par les atrocités du colonialisme que la Belgique peine encore à regarder dans le miroir de son histoire.

Un pays qui est devenu par la suite le jeu de complots politiques orchestrés dans les alcôves des ministères belges, le faisant sombrer dans le chaos.  Le cardinal congolais Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa,  né à l'heure de l'indépendance a été l’un des premiers à dénoncer ouvertement la démarche du Vatican. Évoquant une “béatification hâtive”, il a réclamé un examen approfondi du rôle du souverain dans les drames de la décolonisation, notamment dans l’assassinat de Patrice Lumumba, premier Premier ministre démocratiquement élu du Congo, qu'il qualifie de " tâche noire" dans le règne du fils du roi Léopold III.

Le chef de l’opposition congolaise, Martin Fayulu, a abondé dans le même sens. Selon lui, “il est essentiel de reconnaître la responsabilité du roi Baudouin dans le meurtre de notre héros national Lumumba avant d’envisager sa béatification3; L’accusation, relayée par plusieurs intellectuels et journalistes congolais, repose sur des éléments qui suggèrent une complicité passive – voire active – du pouvoir belge dans cet assassinat en 1961. Mario Danneels, spécialiste de la monarchie belge, estime-lui aussi que le roi " a presque certainement été mis au courant du projet d’assassinat de  Lumumba et a fermé les yeux sans se soucier du reste ". Reste à savoir s’il a été  égalementmis au courant d’autres affaires  comme le renversement du roi Kigeri du Rwanda (1959) ou  l’assassinat Premier Ministre Burundais, le prince Louis Rwagasore (1961) ? .

Une béatification risquée pour l’image royale, Léon XIV face à un dilemme historique

Outre l’héritage colonial, un autre point divise : le refus du roi Baudouin de signer en 1990 la loi dépénalisant partiellement l’avortement en Belgique. Par “objection de conscience”, il choisit d’abdiquer temporairement pendant 36 heures. Cet acte, que certains louent comme une démonstration de foi et de cohérence morale (le Pape François a évoqué un " roi courageux"), est toujours actuellement vu par d’autres comme une remise en cause de la souveraineté parlementaire et un précédent délicat. Un choc politique qui a sérieusement menacé l'institution royale sans réellement la secouer puisque 77% des Belges de l'époque souhaitaient que le monarque reste sur son trône. Il est assez probable que le souverain n'aurait pas plus signer une loi sur l'euthanasie si elle lui avait été présentée également.

Mario Danneels avertit : « Faut-il vraiment rouvrir ce débat, 35 ans plus tard, pour accorder une auréole à Baudouin ? Ce n’est certainement pas un cadeau pour l’image de la famille royale ». Interviewé par le journal 7sur7 qui s'attarde longuement sur ce dossier, il rappelle également que le processus de béatification exige une analyse rigoureuse de la vie du candidat – « chaque aspect est disséqué dix fois » –, une perspective peu réjouissante pour un Palais royal soucieux de préserver sa réputation et qui a déjà bien du mal à contenir les déclarations de quelques membres de sa famille sur le sujet de la colonisation.

Avec l’accession du pape Léon XIV au trône de Saint-Pierre, le dossier Baudouin est à la croisée des chemins. Le nouveau pontife, connu pour sa prudence doctrinale et son sens politique affûté, pourrait choisir de refermer ce dossier explosif, sans formellement y mettre fin, mais en le reléguant dans les limbes des archives vaticanes. Une telle décision, bien que discrète, serait politiquement habile. Elle permettrait au Vatican d’éviter une polémique internationale – notamment en Afrique – tout en respectant le sens du discernement exigé par un tel processus.

Dans un monde en quête de justice mémorielle et de réconciliation historique, sanctifier une figure aussi ambivalente que  le roi Baudouin pourrait être perçu non comme un acte de foi, mais comme un déni de l’Histoire. Léon XIV devra trancher – avec prudence, et en pleine conscience des cicatrices que cette décision pourrait rouvrir.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 25/06/2025

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