Son nom est inscrit dans les plus belles pages de l'histoire de la Résistance française. Empereur d'Annam, gaulliste de la première heure, Duy Tân incarnera les espoirs d'un Vietnam en devenir et celui d'une France héroïque, soucieuse de préserver ses acquis en Indochine.
Située entre l’Equateur et le tropique du Capricorne, l’île de la Réunion est un fleuron français dans l’océan indien. C’est dans cette partie des Mascareignes que la République conquérante a décidé d’exiler le prince Nguyen Phuc Vĩnh San et une partie de sa famille.
Si les Réunionnais ont été habitués à voir passer toutes sortes de monarques sur son sol, c’est la première fois qu’elle reçoit un ex-Empereur, à peine âgé de 17 ans. Descendant direct de Gia Long, le fondateur de la dynastie, Nguyen Phuc Vĩnh est monté sur le trône en septembre 1907, dans des conditions particulièrement difficiles. Son père, déclaré fou, a été démis de ses fonctions par l’autorité coloniale française et qui a décidé de s’immiscer dans les affaires impériales pour désigner celui qui serait le plus apte à ceindre la couronne.

Un Empereur-enfant, conscient de ses devoirs
Devenu Duy Tân, l’enfant prend rapidement conscience des inégalités qui règnent dans son empire d’Annam. Il n’hésite pas à ordonner de prendre sur ses propres fonds « pour soulager son peuple qui ne mélange pas à sa faim ». Si les premières années de son règne sont marquées par quelques révoltes rapidement jugulées, celle de 1916 va le faire entrer de plein pied dans l’Histoire. La France est alors en pleine guerre mondiale quand elle doit affronter un soulèvement important auquel le souverain sera mêlé de …loin. S’il prend fait et cause pour les insurgés, il évite cependant de prendre la tête ou de faire des appels contre la France. L’adolescent se méfie des colons autant que ceux-ci jugent que l’Empereur n’est qu’un simple idéaliste. Le soutien des mandarins à la révolte, réprimée dans le sang, achève de compromettre Duy Tân qui sera promptement destitué.
« La France était en guerre avec l'Allemagne. Les grands féodaux de la cour d'Annam jugèrent le moment propice (…) et tentèrent d'entraîner le jeune empereur dans leur complot. Celui-ci s'y refusa, mais les mandarins s'y prirent de telle sorte que Vinh San fut compromis. La France, talonnée sur le continent par les Allemands, réagit brutalement. La rébellion annamite fut écrasée et Vinh San exilé à La Réunion. », écrit à cette époque un Dutremblay Agénor (1906-1990), syndicaliste et futur conseiller municipal communiste de Saint-Denis de la Réunion. La République, quant à elle, entend se justifier de sa décision : « L'Empereur Duy Tân est encore mineur. S'il est coupable, il l'est vis-à-vis du gouvernement du protectorat français, mais nullement de son gouvernement et de son peuple. Par ailleurs, la révolte projetée n'a causé aucun tort aux Français de Hué et des autres provinces de l'Annam tant en biens privés qu'en vies humaines. En outre, Duy Tân est très estimé de son peuple. Dans ces conditions, sa condamnation à mort ne manquerait pas de susciter des troubles parmi la population. (..) Il s'avère donc prudent de se montrer indulgent envers le jeune monarque en le destituant tout en lui laissant sa liberté et son ancien titre de prince. Cette sentence, outre qu'elle est judicieuse, montrera à tout le monde la magnanimité de la France », déclare Paul Prudent-Panlève, ministre de l'Instruction Publique.

Un Résistant de la première heure, entre espoirs et amertumes
L’exil dans ce bout de France ne sera pas de tout repos pour ce souverain habitué à plus de décorums que cette maison bourgeoise qui lui est attribuée. Duy Tân tombe malade, voit sa jeune épouse prendre la poudre d’escampette, se lance dans l’étude du droit, apprend l’anglais et l’espagnol et se passionne pour la radio-électricité (il crée même le premier poste de radiodiffusion de l’île). C’est justement par cette entremise qu’il entend l’Appel du 18 juin 1940 prononcé par le général de Gaulle. La Réunion a fait le choix du régime de Vichy en dépit des divisions qui règnent chez les colons. Elle appliquera ses lois avec une férocité extrême, se dotant de sa propre milice. Mais pour l’Empereur, qui a soutenu le Front populaire, pas question de rester sans rien faire. « […] De Gaulle, j'ai déjà vu ce nom-là quelque part. Qu'importe, puisqu'il veut continuer la lutte ! Quand ça serait un cul-de-jatte, c’est lui qu’il faut suivre ! », déclare le prince exilé qui va multiplier les provocations contre l’administration coloniale.
Il met ses compétences de radio-télégraphiste au service de la France Libre, relayant les messages en provenance de Londres et des territoires africains fidèles au général de Gaulle. Lorsque les colons pro-vichy découvre ses activités clandestines, il est aussitôt arrêté (mai 1942), interné au Lazaret de Saint-Denis et son équipement radio saisi. Libéré après un mois de détention, cet opposant politique — qualifié autrefois d’anti-français — choisit de rester fidèle à ce qu’il considérait comme « la vraie France ». Dans la clandestinité, il construisit un nouvel appareil de transmission et reprit son engagement aux côtés des gaullistes. En novembre suivant, il s’engage dans la Marine et monte à bord du contre-torpilleur Léopard affrété par les Forces Navales de la France Libre (FNFL). Expérience qui avorta tant il avait peu le pied marin. Redébarqué, il va tenter à diverses reprises d’entrer dans la résistance, mais son statut ne lui permet pas de briller comme il l’entend. « […] je me suis engagé dans la France libre en décembre 1942 et je ne suis toujours admis par personne. », écrit-il, un brin amer. Ce n’est qu’en 1944 qu’il peut enfin intégrer l’armée comme simple soldat. La Réunion ne va pas être tardée à être libérée de sa tutelle vichyssoise par les Alliés qui prennent position dans l’Océan indien.
Duy Tân est envoyé en France. il participera aux combats qui libèrent la France. Il a gravi les grades et commande même un bataillon en septembre 1945. Pour ses actes héroïques, il va recevoir la médaille de la Résistance avec rosette. « […] Le prince Vinh San, par son attitude courageuse, ses propos, et en permettant à de nombreux auditeurs d'écouter des postes radiophoniques de la France libre ou des Alliés, postes dont l'audition était strictement interdite, a contribué à maintenir vivaces à La Réunion le flambeau de la Résistance et la foi en la victoire finale ; a été pour ce fait interné administrativement. », peut-on lire dans l’acte de remise de médaille. L’Empereur est redevenu persona grata aux yeux des Français et du général de Gaulle, lé héros de la France Libre, qui ne tarit pas d’éloges sur lui.

Une solution de choix avortée pour le Général de Gaulle
En Indochine, l’Annam au Vietnam est en proie à l’agitation. Occupée par le Japon, la colonie entière se retrouve presque sans aide de la France. Si les armes se taisent en Europe, on en est encore loin dans cette partie de l’Asie. La monarchie du Soleil Levant a reconnu l'intégrité territoriale de la colonie française et la résistance doit, à la fois combattre, Vichy et ses affidés, les rebelles communistes du Viet Minh (qui profite de l’occasion pour épurer le mouvement de tout ce qu’il compte de trotskystes) et les Japonais qui n’hésitent pas à interner les Français dans des camps de concentration comme imposer un néo-esclavagisme de fait aux Indochinois. Cette faiblesse des autorités françaises va profiter aux communistes qui gagnent en popularité en Annam. Le 9 mars 1945, dans une vaine tentative de réinvestir le champ militaire, les Japonais attaquent par surprise les garnisons françaises, massacrent les soldats et passent par le fil de l’épée son état-major (3000 morts).
Avec une France décapitée, les communistes d’Ho Chi Minh s’emparent du pouvoir et proclament la République, sommant l’Empereur Bao Daï d’abdiquer et de quitter le pays. De Gaulle n’entend pas se laisser faire et plaide pour la création d’une fédération de colonies et de protectorats qui comprendrait les trois provinces du Viêt-nam (les trois Ky : Tonkin, Annam et Cochinchine) ainsi que le Cambodge et le Laos. Il songe même à placer Duy Tân sur le trône d’Annam en lieu et place de Bao Daï, plus play-boy qu’il ne fut souverain. « (…) C'est une personnalité forte. Quelque trente années d'exil n'ont pas effacé dans l'âme du peuple annamite le souvenir de ce souverain. Le 14 décembre, je le recevrai, pour voir avec lui, d'homme à homme, ce que nous pourrons faire ensemble. Mais quelles que soient les personnes avec qui mon gouvernement sera amené à conclure les accords, je projette d'aller moi-même les sceller en Indochine dans l'appareil le plus solennel, quand le moment sera venu. », déclare le libérateur de Paris. C'est dans ces circonstances que le 29 août 1945, depuis les ondes de Radio-Tananarive, le prince Vinh San prononce alors sa première déclaration politique depuis le début de son exil. S’adressant directement à son peuple, il condamne l’occupation japonaise et affirme que l’avenir de son pays ne saurait s’envisager autrement qu’à travers des relations d’amitié et de coopération avec la France.
Le projet n’aboutira pas. En accord avec le général de Gaulle, l’Empereur s’envole fin décembre 1945 vers son pays, à bord d’un avion léger. Celui-ci, victime d’une avarie, va s’écraser en Oubangui-Chari (l’actuelle République du Centrafrique). Un décès qui pose certaines questions, toujours non élucidées à ce jour. Il faudra attendre 1987, grâce à l’intervention du Premier ministre Jacques Chirac, pour que ses restes soient inhumés dans son pays natal. Avec lui, les souvenirs d’un Empereur dont le cœur fut partagé entre ses deux nations auxquelles il restera fidèle toute sa vie, d'une aventure qui prendra fin pour la France, à Genève, en 1954.
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