Le retour des Osmanoglu

Blason des osmanlis1922-1924, Ankara : « Autrefois, la maison d’Osman avait conquis la souveraineté de la Turquie. Aujourd’hui, c’est au tour de la nation. Il est indispensable de sanctionner ce fait, mais il faut encore désigner, à la place du prince qui dans toutes occasions a démérité du pays, le membre de la dynastie d’Osman qui nous paraîtra  le plus digne et le meilleur ».  Héros de la première guerre mondiale, le général Mustapha Kémal vient, lors d’un discours, d’écrire les dernières pages d’une dynastie qui aura compté pas moins de 30 souverains depuis 1453. Presque un siècle après la chute de la monarchie ottomane, le ?ehzade  (prince) impérial Abdülhamid Kay?han Osmano?lu entend désormais laver l’affront fait à sa famille et prendre sa revanche sur l’histoire.  

Arrière- petit-fils du sultan Abdülhamid II, le prince Abdülhamid Kay?han Osmano?lu  n’est pas un inconnu des turques. A 39 ans, portant une barbe broussailleuse, 17ème dans l’ordre de succession impériale,  il vient d’annoncer qu’il avait co-refondé avec le fils de l’ancien premier ministre Necmettin Erbakan, le parti Refah (parti du Bien-être).

Dissous par la cour constitutionnelle en 1998, après une décennie d’existence, le Parti Refah avait finalement accouché du Parti de la justice et du développement (AKP) de l’actuel président Recep Tayyip Erdogan. Au pouvoir depuis 2001, les islamo-conservateurs n’ont eu de cesse depuis  de réhabiliter les anciens membres de la maison impériale, de mettre en place une politique néo-ottomane sur fond d’expansionnisme avéré, de Bagdad à Sarajevo, d’Istanbul à Grozny. Ce retour en grâce, les Osmano?lu le doivent à l’actuel premier ministre turque, Ahmet Davuto?lu. Ce dernier, alors ministre des affaires étrangères entre 2009 et 2014, n’avait-il pas affirmé alors que le kémalisme (laïc) avait fait perdre à la république turque, son « identité profonde traduite à travers l’islam et la période faste des Ottomans » !?

Twitter ou Facebook, le prince Abdülhamid Kay?han Osmano?lu  est suivi par 120 000 personnes. Rares sont les princes qui peuvent se targuer d’un tel nombre de soutiens. C’est en 1973 que les descendants de Mehmed II, le vainqueur de Constantinople, ont été autorisés à revenir officiellement en Turquie. Lorsque le prétendant au trône meurt le 23 septembre 2009, ce sont des milliers de turques qui suivent le cercueil de celui qui aurait pu être leur légitime sultan. Le temps d’une journée, sous le regard des membres du gouvernement réunis pour le saluer, c’est un véritable hommage national qui avait été rendu au prince Ertu?rul II Osman V Osmano?lu (il avait récupéré sa citoyenneté en 2004). Il avait connu les fastes de l’empire,  les peines de l’exil à 12 ans. La nostalgie impériale reste d’ailleurs très perceptible en Turquie. «Nous sommes coupables de la manière dont on vous a traité »  pouvait-on entendre lors des funérailles nationales de celui qui a été baptisé par la presse internationale de « dernier empereur ».

LAbdulhamid kay han osmano lu et abdul hamid iie ?ehzade Abdülhamid a été autant un soutien infatigable du premier ministre puis président Erdogan que l’artisan de la réhabilitation d’un règne controversé, celui du sultan rouge dont il porte l’illustre prénom. Il avait ardemment soutenu, en août 2016, le gouvernement turc lors du coup d’état qui avait amené l’AKP à procéder à une vaste purge dans toutes les administrations. Il refuse toujours tout rapprochement de son pays avec l’Occident « dont il se méfie » déclarait-il lors d’une interview à Haber7. Il organise de multiples conférences sur ce sultan, « l’homme malade de l’Europe » (il était le 9 avril dernier à Bordeaux, invité sur ce thème par le Conseil pour la justice, l'égalité et la paix (Cojep) qui regroupe des membres de la diaspora turque en France),  ne tolérant aucune critique sur l’histoire de sa famille. Une série télévisée intitulée Muhte?em Yüzy?l, (ou « Le Siècle magnifique ») avait fait les frais des foudres princières  entre en 2015. « Jugée offensante et immorale pour l’image du sultan Soliman et pour la nation », le ?ehzade Abdülhamid n’avait pas hésité à menacer les producteurs de les poursuivre devant les tribunaux.

« Partimizin kurulu? dilekçesini Kurucular Kurulu Üyemiz ?ehzade Abdulhamit Kay?han Osmano?lu ile birlikte imzalad?k. Allah hay?rl? eylesin. ». « Nous avons signé l’acte fondateur notre parti avec le ?ehzade Abdülhamid Kay?han Osmano?lu, membre du comité fondateur. Qu’Allah nous bénisse » a déclaré sur Twitter le docteur Fatih Erbakan. Le prince lui-même n’a pas tardé à réagir de son côté : « Nous sommes fiers  d’incarner à nouveau l’espoir de la nation ». La nouvelle a fait l’ouverture des journaux télévisés locaux. Un membre de la maison impériale vient de faire officiellement son retour sur la scène politique. Jusque-là cantonnés aux interviews et autres commémorations historiques vantant les mérites de la période impériale, les Osmanlis s’étaient faits ce derniers mois plus présents dans les affaires internes du pays, multipliant les déclarations ouvertes non sans quelques divisions au sein de la maison impériale. Le mouvement (qui pourrait être rebaptisé « Parti de la protection sociale »), qui a réuni un millier de ses partisans lors d’un congrès extraordinaire, entend à la fois protéger les intérêts de ses concitoyens, sous les couleurs d’un nouveau conservatisme qui a toutes les teintes d’un nationalisme panturque, et défendre les communautés musulmanes de par le monde.

En 2014, au journal « Cumhuriyet », il déplorait déjà que « ses frères musulmans doivent faire à des persécutions dans le Turkestan oriental, l'Irak, la Syrie, la Palestine [il avait fustigé Israël dans un entretien en 2013 accusant l’état hébreu de détruire délibérément la ville de Gaza], ou l'Égypte », dénonçant l’absence de mesures prises pour les protéger.

« Mon arrière-grand-père avait également un projet concernant Jérusalem. Cette ville aurait été sous le contrôle de l'Empire ottoman mais serait également restée ouverte à toutes les religions » tentaient –il de néanmoins temporiser au journal TRT en 2016 avant de surenchérir un an plus tard dans le même journal qui rapportait que le prince avait avoué au cours d’un entretien que son « arrière- grand-père avait lui-même acheté 70% de la bande de Gaza, de Rafah et de ses environs, dans le but d'empêcher les Juifs de s'approprier ces terres en Palestine ».

Nostalgie ottomaneSon entrée en politique n’est pas anodine. Elle est l’aboutissement d’un travail dont l’issue avait déjà été annoncée, il y a 6 ans. C’est lors d’un rassemblement organisé par le mouvement de la jeunesse de l’AKP, dans la ville d’Arifiye, que cet ancien journaliste et lui-même producteur de série [il a conseillé l’actuelle série à succès « Payitaht: Abdülhamid », qui « suit les dernières années du règne du sultan Abdülhamid II au début du XXe siècle, marquées par des rébellions séparatistes, des complots de coup d’État des Jeunes-Turcs et des menaces extérieures venant des puissances européennes » nous indique le magazine « Middle East Eye » et qui  précise aussi que la filmographie se fait l’écho de la thèse d’un complot orchestré par les sionistes pour faire chuter la monarchie]  avait dessiné les contours de son futur projet à venir. Un retour des Osmanlis qui n’a pas manqué d’attirer l’attention même si il est encore difficile de savoir si le prince et ses alliés vont se situer dans l’opposition au régime du Président Ergodan ou dans le soutien total à un homme qui rogne un peu plus la laïcité turque chaque jour. 

Un pas vers le retour de la monarchie ? Le ?ehzade Abdülhamid Kay?han Osmano?lu, qui se revendiquait citoyen ordinaire à « Yeniasya, conduisant une Chrysler blindée ornée de l’écusson impérial et reçu avec beaucoup de déférence par les différentes autorités municipales qui l’invite,  ne s’est véritablement pas prononcé sur le sujet.

Bien qu’il  ait confié à « Cumhuriyet, », qu’il  regrettait fortement que « le monde musulman n’ait plus à sa tête un  véritable chef », vague allusion au califat turque, dernière souveraineté monarchique fédératrice. « Mes ancêtres ont gouverné le monde pendant 700 ans » a-t-il rappelé très justement devant les journalistes du Hurriyet Daily news. Un projet de statut spécial octroyé aux membres de la maison impériale, déposé à l’assemblée nationale par le député d'extrême-droite (MHP) Ekmeleddin Ihsanoglu, est d’ailleurs toujours à l’étude depuis 3 ans.

Copyright@Frederic de Natal

Publié le 23/11/2018

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