C'est une première historique en Thaïlande. Le roi Rama X a officiellement béni un mariage inédit au domaine royal de Dusit. Ce geste fort, entre tradition monarchique et ouverture sociétale, marque un tournant symbolique dans un royaume en pleine mutation.
En bénissant officiellement l’union de deux hommes, Kampol Wongnaree et Nutthabhum Taenseesang, le 19 mai 2025, au sein même de la salle du trône Amphorn Sathan du domaine royal de Dusit, le roi Maha Vajiralongkorn (Rama X), 72 ans, a provoqué ce que certains appellent déjà un séisme culturel dans un royaume longtemps tiraillé entre traditions monarchiques et aspirations progressistes. Un événement à la fois inédit, politique et profondément symbolique : c’est la première fois dans l’histoire de la Thaïlande qu’un mariage homosexuel reçoit l’aval explicite du souverain et de la reine.
Un geste d'ouverture...inattendu
Le geste, historique, dépasse largement le cadre privé ou cérémoniel. Il intervient quelques mois après l’annonce de la légalisation du mariage entre personnes de même sexe en Thaïlande, faisant du royaume le premier pays d’Asie du Sud-Est à s’engager dans une telle réforme. Mais dans un pays où la monarchie reste au sommet d’un ordre symbolique puissant, cette bénédiction royale confère à cette reconnaissance une aura quasi sacrée.
Ce mariage n’est pas celui de simples citoyens. Kampol est un fonctionnaire de la maison royale, intégré à l’unité 904 de la Garde royale – un signe que le couple est parfaitement accepté dans les sphères les plus conservatrices du pouvoir thaïlandais. La cérémonie, riche en symboles, reprend les codes des mariages royaux instaurés au Siam depuis Rama VI, où le souverain offre bénédictions, cadeaux et faveurs à l’union célébrée. Ici, l’héritage monarchique a servi un acte d’inclusion.
Nutthabhum a exprimé, dans un message publié sur Facebook, sa gratitude pour cette « gentillesse royale sans pareille », saluant un geste qu’il décrit comme le plus grand honneur de sa vie. Un écho fort dans une société où la vénération de la monarchie reste ancrée, même chez les jeunes générations en quête de réformes.
Rama X, un roi qui demeure controversé
Pourtant, il serait naïf d’oublier que Rama X est aussi un roi controversé. Monté sur le trône en 2016 après la mort de son père bien-aimé, le roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX), il n’a jamais bénéficié du même capital de sympathie. Ses absences prolongées en Allemagne, son train de vie somptuaire, sa vie dissolue, ses remaniements au sein des institutions royales et sa gestion parfois autoritaire de la monarchie ont souvent nourri la critique, dans les limites du possible dans un pays où le crime de lèse-majesté reste sévèrement puni. Soutenue par l'aristocratrie et l'armée, la monarchie a connu sous son règne un retour au pouvoir direct. Rama X a exigé le contrôle personnel de la fortune royale, a déplacé des unités militaires sous son commandement personnel, et a rappelé que le roi n'était pas un simple symbole constitutionnel, mais un acteur institutionnel central, aux marges parfois floues. Le monarque a du faire face à de fortes manifestations estudiantines entre 2020 et 2021, réclamant le retour à la Constitution et la fin de la loi de crime de lèse-majesté.
Dans ce contexte, son soutien à un mariage homosexuel pourrait être interprété de plusieurs manières : volonté sincère d’ouverture, stratégie politique pour redorer son image auprès d’une jeunesse contestataire, ou signal d’un pouvoir monarchique qui veut rester en phase avec une société qui change.
Un tournant pour la société thaïlandaise
La monarchie thaïlandaise n’est pas un vestige folklorique. Elle est une clef de voûte du système politique et social du pays, perçue comme garante de l’unité nationale. Le moindre geste du souverain est scruté, interprété, ritualisé. En cela, la bénédiction de ce mariage prend une dimension politique. Elle confère une légitimité morale au projet de loi sur le mariage égalitaire, actuellement en cours de finalisation par le Parlement. Salué par la communauté LGBTQIA+ locale et internationale, l'adoption de cette loi en septembre 2024 a consacré une égalité juridique longtemps attendue. La Thaïlande, connue pour sa tolérance culturelle envers les identités de genre et la diversité sexuelle, avait pourtant conservé des lois discriminatoires.
Si la famille royale aurait eu son souverain gay en la personne de Rama VI (1181-1925), bien qu'il eut 4 épouses, ce basculement législatif, désormais soutenu par l'institution la plus sacrée du pays, pourrait faire école en Asie. À travers cette cérémonie bénie par le roi, c’est toute la société thaïlandaise qui semble franchir un cap. La monarchie, pilier de tradition, semble aujourd’hui s’ouvrir à des réalités nouvelles, comme si elle voulait redevenir un moteur de cohésion nationale, plutôt qu’un frein au changement.Mais le geste ne suffit pas à effacer les débats politiques de fond. Les manifestants pro-démocratie , qui continuent de demander une réforme de la monarchie, rappellent que l’ouverture sur le mariage ne doit pas masquer les problèmes plus profonds : répartition des pouvoirs, liberté d’expression, et justice sociale.
Pour l’heure, c’est un signal fort qui a été envoyé. En bénissant une union homosexuelle, le roi Rama X a bousculé une image qu’on croyait figée. Et dans un royaume où l’héritage du passé façonne encore le futur, ce symbole pourrait, qui sait, ouvrir une ère nouvelle – plus inclusive, plus égalitaire, et, peut-être, plus démocratique.
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