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Les crimes du Japon en Corée du Sud

« Il y eut une période pendant laquelle notre nation a apporté de grandes souffrances aux peuples de la péninsule coréenne [...] Le profond chagrin que je ressens à ce sujet ne sera jamais oublié»

Empereur Akihito, 1996

 

31 3Le tollé est général au Japon qui fait front commun derrière son empereur. Le président du parlement sud-coréen, Moon Hee-sang, qui était en visite aux Etats-Unis avec une importante délégation de députés issus de son parti et ceux  de l'opposition, a eu des propos très cinglants contre le descendant de la déesse Amaterasu, qualifié de «fils du principal coupable des crimes de guerre ». Le gouvernement du premier ministre nationaliste Shinzo Abe a exigé que la république de Corée du Sud présente des excuses immédiates à son empereur, toujours considéré par les plus conservateurs des japonais comme un demi-dieu.

Banzaï ! « Je veux qu'il fasse attention à ses déclarations » a averti le ministre des affaires étrangères, Taro Kono, qui ne décolérait pas le 11 février dernier alors qu’il commentait la sortie peu diplomatique du président du parlement sud-coréen. Ce dernier qui réclamait que le fils de Hiro Hito « prenne la main des femmes de réconfort et s’excuse au nom du Japon », évoquait dans une interview un des chapitres douloureux de la seconde guerre mondiale. Taro Kono a rapidement rétorqué que le différend relatif aux « femmes de réconfort » avait été résolu « pleinement et finalement » par un accord de 2015, dans lequel le Premier ministre Shinzo Abe avait offert aux victimes « les excuses les plus sincères » de son pays avant de créer un fonds d'indemnisation. Le ministre des affaires étrangères est d’autant plus concerné par cette « prostitution légalisée par l’armée du Kwantung » que celui qui a mis à jour cette pratique n’est autre que son père Yohei Kono, alors chef de l’opposition.

«Le Japon doit faire preuve de sincérité pour l'honneur et la dignité afin de remédier à la souffrance émotionnelle des victimes sur la base d’une approche centrée de celles-ci » a surenchéri son homologue sud-coréen. Dénonçant à son tour des « propos extrêmement inappropriés et très regrettables », Shinzo Abe, petit-fils d’un ancien ministre du Mandchoukouo, a également réclamé que le président du parlement sud-coréen récuse ses propos. Le concerné a simplement refusé de s’exécuter,  dans une affaire qui menacent aujourd’hui les deux pays de ruptures diplomatiques. Ambiance, ambiance.

 

Mais au-delà de ce qui pourrait être anecdotique pour des médias occidentaux et de toute surenchère guerrière, c’est une blessure plus profonde qui se cache derrière cet incident. Celui de la colonisation de la Corée par le Japon entre 1910 et 1945. Le débat a de nouveau refait surface en 2017 avec l’élection à la tête de la Corée du Sud du président Moon Jae-in, et encore récemment avec la mort de l’activiste Kim Bok-dong à 92 ans, une des 200 000 coréennes cantonnées dans l’une des maisons de réconfort, ianjo en japonais, mises en place par les soldats du mikado dans toute la « sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale » . Des esclaves sexuelles  (wianbu) pouvant « servir » jusqu’à 15 soldats par jour selon les témoignages de Kim Bok-dong à qui le président Moon Jae-in a promis « de faire tout ce qui était en son pouvoir pour corriger l'histoire des 23 victimes survivantes ». Le sujet est sensible entre les deux pays d’autant que la mainmise du pays du Soleil levant sur celui du Matin calme a été particulièrement violente.

32 2Avec la guerre russo-japonaise, Tokyo impose un traité de protectorat à son voisin, prélude à une véritable colonisation de la péninsule. L’assassinat sauvage de l’impératrice Myeongseong, violée dans son palais par des rônins du mikado en 1895, précéda le meurtre spectaculaire du représentant du Japon en Corée, Hirobumi It? , 13 ans plus tard. Et si un mouvement de résistance se forma, il ne put empêcher le destin de l’empire coréen de basculer. En 1910, la maison impériale Joseon était destituée, le pays annexé à l’empire nippon et une forte politique d’assimilation développée. Aujourd’hui encore pour 74% des (sud-) coréens, cette période de l’histoire reste un drame national. Au Japon, le sentiment est quasi –identique mais à l’envers. Outre, les livres d’histoire officiels qui font du révisionnisme de gouvernement en gouvernement, c’est l’extrême-droite qui affiche un sentiment anti-coréen dès plus virulent, considérant cette partie de l’Asie comme une « sous-race ».  K-POP ou K-Dramas ont fait les frais de leur vindicte nationaliste comme en 2011 où elle n’avait pas hésité à manifester leur colère devant les studios de télévision qui avaient osé projeter de tels shows sur les ondes japonaises. Il importe peu que le Japon ait reconnu Séoul comme seul gouvernement légitime de Corée en 1965, l’animosité demeure entre les deux pays constants. Y compris frontalières.

La plupart des Sud-Coréens estiment d’ailleurs que le Japon ne s'est pas suffisamment excusé pour ses actes durant l'occupation, tandis que de nombreux Japonais soutiennent que les regrets déjà exprimés par le passé, notamment les excuses officielles du gouvernement, y compris au plus haut-niveau de l’état,  adressées aux « femmes de réconfort, ont été plus que suffisants. Ainsi, le 126èeme empereur du Japon avait déclaré devant le président Roh Tae-woo, un an après son montée sur le trône : « En songeant à la souffrance que votre peuple a enduré pendant cette malheureuse période, par la faute de notre nation, je ne peux ressentir que le plus profond remords». En 1996, nouvelles excuses impériales de la part d’un homme qui fut lui-même au cœur des opérations de l’armée, alors jeune héritier au trône : « Il y eut une période pendant laquelle notre nation a apporté de grandes souffrances aux peuples de la péninsule coréenne [...] Le profond chagrin que je ressens à ce sujet ne sera jamais oublié».

 

33 4Mais pour le président du parlement sud-coréen, hors de question de se satisfaire que de cela : «Pour la question des femmes de confort, le problème est entre leurs mains [des japonais-ndlr] et il nécessite des excuses plus sincères », a déclaré Moon. « Je ne comprends toujours pas pourquoi ils traînent depuis si longtemps à le faire » a-t-il surenchéri à Bloomberg, sur un ton narquois et méprisant.

Le secrétaire général du Cabinet impérial, Yoshihide Suga, a simplement fait remarquer à  Moon Hee-sang, que «  la position  actuelle du Japon vis-à-vis de cette question était parfaitement cohérente ». A savoir que le Japon millénaire assumait et n’avait rien à regretter de son glorieux passé.  Une affaire qui intervient, au moment où ces deux alliés des Etats-Unis, ont atteint leur plus haut niveau de tensions militaires, notamment avec un Japon qui n’hésite plus désormais à aborder l’ancien drapeau du Soleil levant aux rayons, rouges, le Dai-Nippon Teikoku Rikugun, sur ses navires de guerre. Comme au bon vieux temps.  

Frederic de Natal

Paru le 19/02/2019

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