Une fois, le roi Charles III reparti du Canada, le Parlement québécois a exprimé d’une seule voix son désaveu envers l'institution royale britannique. Derrière cette motion unanime de rupture se cache une fracture plus ancienne : celle d’un peuple francophone toujours en quête d’émancipation face à ce que la Belle Province définit comme un héritage colonial persistant.
À peine le roi Charles III avait-il quitté le sol canadien pour rejoindre Londres que le Québec, d’une seule voix, lui a fait parvenir un message sans équivoque : la monarchie britannique n’a plus sa place dans la Belle Province. Le 27 mai 2025, une motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale a réclamé la fin du lien entre l’État québécois et la Couronne.
Derrière cette fronde institutionnelle au caractère symbolique se cache une réalité politique, culturelle et historique bien plus profonde : celle d’un Canada toujours divisé entre anglophones et francophones, entre mémoire coloniale et volonté d’émancipation.C’est à Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti Québécois, que l’on doit ce texte. Bien que minoritaire au sein du Parlement Québécois, Il a réussi à trouver l’appui nécessaire de tous les partis, y compris les libéraux et la Coalition avenir Québec (qui dirige la province), pour faire adopter cette motion inédite. « Ce n’est pas mon roi, ce n’est pas mon pays ! », a-t-il lancé dans l’hémicycle, dénonçant une institution jugée dépassée, voire humiliante, pour le peuple québécois. Ruba Ghazal, cheffe parlementaire de Québec solidaire, a même renchéri dans la foulée : « Cette institution-là est archaïque. En 2025, les Québécois ne s’y reconnaissent plus. », assure cette élue libano-palestinienne, réclamant que l’on coupe même les vivres à la Gouverneur-générale Mary Simon qui a les moyens de s’opposer aux votes des lois au Québec.
Un antagonisme historique entre les deux communautés
Un antagonisme entre francophones et anglophones qui remontent au XVIIIe siècle. En 1760, la France est contrainte de cèder sa colonie de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne à la suite de la guerre de Sept Ans. Le Traité de Paris de 1763 marque officiellement la fin de la souveraineté française en Amérique du Nord conquise à la sueur du front et des larmes de sang. Les Canadiens français deviennent des sujets britanniques. S’ouvre alors une période de cohabitation difficile : langue, religion catholique, et système juridique français sont tolérés, mais constamment sous pression. La Loi sur le Québec (1774) garantit néanmoins temporairement certaines protections aux francophones (liberté de religion, droit civil français), mais la colonie reste gouvernée sans représentation démocratique effective.
Les Rébellions des Patriotes (1837-1838) vont illustrer la volonté des Canadiens français d'obtenir un gouvernement responsable et démocratique. Leur répression brutale marque une rupture durable. Le rapport de Lord Durham, commandé par Londres, recommande alors l’assimilation des Canadiens français, de gré ou de force. Un véritable plan d’éradication de la langue française pour une province qui selon son auteur est « sans culture et sans histoire ». Pourtant, la résistance des francophones ne va pas cesse de croître. En 1867, la Confédération canadienne est créée. Le Québec devient une province du Dominion du Canada, mais la centralisation du pouvoir à Ottawa, majoritairement anglophone, continue de susciter des tensions.
Une lutte pour la survivance culturelle
Pendant une grande partie du XXe siècle, les francophones du Québec vivent dans un cadre marqué par la « survivance » : langue, foi et traditions comme remparts contre l’anglicisation. La minorité canadienne-française hors Québec, elle, subit une assimilation rapide.Les années 1960 marquent un tournant majeur avec la Révolution tranquille : modernisation de l’État, laïcisation, prise de contrôle des leviers économiques. Le nationalisme québécois passe du religieux au politique et social. En 1980 et 1995, deux référendums sur la souveraineté du Québec sont organisés. Le premier est perdu largement, le second de justesse (49,4 % pour le « Oui »).
Cette fronde de la part des partis québécois n’est pas seulement politique. Elle s’inscrit dans ce clivage ancien et persistant entre le Canada anglophone et francophone. Philippe Mailhot, historien francophone de l’Ouest canadien, confie son irritation : « Quand j’étais jeune, les anglophones s’enveloppaient dans la couronne. Tout était Her Majesty the Queen. » Pour lui, la monarchie reste le synonyme de la supériorité symbolique des anglophones et l’effacement de la culture francophone.
C'est un non à la monarchie pour les Québécois
Cette réalité résonne encore aujourd’hui. Pour une majorité de Québécois, la monarchie est le vestige d’un Canada anglais qui n’a jamais su reconnaître la dualité linguistique comme fondement égalitaire. Le roi, ou la reine, reste l’incarnation d’un pouvoir étranger, d’un héritage colonial qui rappelle à certains le statut de peuple conquis. 87 % des Québécois, disent ne ressentir aucun attachement envers la monarchie, selon un récent sondage Léger.
Le roi Charles III, lui, n’est crédité que de 31 % d’opinions favorables. Atteint d’un cancer depuis début 2024, le souverain de 76 ans reste discret sur son état de santé. Pour une majorité de Québécois, le passage du monarque au Canada apparaît de plus en plus désormais comme une tournée d’adieu que comme un acte de diplomatie active. En dépit d’une hausse de popularité envers la famille royale, la majorité des francophones (52%) « voteraient pour mettre fin à la monarchie et pour la création d’une république, si le Canada tenait un référendum sur cette question », assure la même enquête d’opinion. Un chiffre qui fluctue puisque c’est le premier depuis des mois qui donne le « oui » gagnant. Même le Parti libéral du Québec, traditionnellement fédéraliste et attaché à l’institution royale, s’est dernièrement montré tiède concernant le faste déployé pour la visite éclair du roi Charles III. « Quand je me lève le matin, je ne pense pas au roi », a glissé Marc Tanguay, son actuel leader par intérim, avec une certaine ironie qui en dit long sur son sentiment actuel.
La contestation de la monarchie par le Québec dépasse aujourd'hui le cadre institutionnel : elle cristallise un refus identitaire, une mémoire de conquête jamais vraiment digérée, et une volonté profonde d’émancipation. Ce rejet est aujourd’hui partagé par une majorité de Québécois, tous partis confondus, dans un rare moment d’unité politique. Alors que le Canada peine encore à réconcilier ses deux solitudes linguistiques, le désamour croissant envers la monarchie pourrait bien annoncer une redéfinition plus large du pacte fédéral — voire, à terme, une remise en question du cadre même de la Confédération sans pour autant franchir le rubicon : celui de l'indépendance.