Monarchies et Dynasties du monde Le site de référence d’actualité sur les familles royales

Le retour de l' Empire au Brésil : réalité ou fantasme ?

Face aux crises multiples qui secouent le Brésil, une proposition au Sénat relance un débat inattendu : Et si le pays restaurait son Empire ? Une idée révélatrice d’un malaise profond qui frappe ce pays d’Amérique du Sud.

Le Brésil, puissance sud-américaine aux immenses ressources et à l’histoire politique tumultueuse, traverse aujourd’hui une période de troubles profonds. Crises économique, fractures identitaires, polarisation politique et tensions sociales alimentent une instabilité croissante qui pousse une partie de la population à se tourner vers des solutions radicales ou inattendues.

C’est dans ce contexte qu’une proposition déposée au Sénat, portée par plus de 10 000 signataires, appelle à un nouveau plébiscite pour décider si le pays doit redevenir une monarchie constitutionnelle.

 

 

Trône brésilien

L’idée monarchique est persistante au Brésil

La monarchie est brutalement tombée en 1889, à l’issue d’un coup d’Etat militaire, après sept décennies d’existence et deux Empereurs (Dom Pedro Ier et Dom Pedro II). Pour autant, la République a eu du mal à s’installer au sein d’une population très attachée à sa famille impériale, qui lui avait autant donné l’indépendance au Brésil qu’elle avait aboli l’esclavage, pourtant un de ses socles fondateurs.  « Aux yeux de la population, la République n'a aucune légitimité », explique la présidente du mouvement Brasília Capital da Monarquia, Júlia Bittencourt, 23 ans, étudiante en droit, interrogée par le Correio braziliense.

Durant près d’un siècle, le Brésil à vécu au rythme de régimes présidentiels forts ou de dictatures militaires, de gouvernements civils corrompus, ponctués par des tentatives ratées de restauration de la monarchie. En 1993, une consultation populaire avait déjà permis aux Brésiliens de choisir entre monarchie et république : la République l’avait largement emporté avec 66 % des voix, contre seulement 12 % pour la monarchie. Donné pourtant largement gagnants, les monarchistes avaient alors dénoncé une campagne biaisée, un déficit d’information et des manipulations de la part de l’appareil d’Etat républicain ayant, selon eux, influencé l’issue du scrutin.

Affaiblis par les résultats, la mouvance monarchiste a finalement et progressivement réinvesti le champ républicain, notamment avec la montée en puissance de l’extrême-droite, la mise en place d’un groupe parlementaire favorable au monarchisme conduite par le prince-député Luiz-Philippe d’Orléans-Bragance et même la nomination de ministre favorables au retour de la monarchie sous le gouvernement du Président Jair Bolsonaro.

 

 

Généalogie des Orléans-Bragance @KG/FDN

Une monarchie pour répondre aux maux du Brésil ?

« La monarchie est la solution à long terme pour le pays. Il existe un projet d'État et de gouvernement distinct. Dans la République, il est concentré entre les mains d'une seule personne. Le pouvoir modérateur fait contrepoids au Parlement », affirme Israel Soares da Silva, étudiant en ingénierie forestière de 28 ans. Si cette idée ressurgit, c’est aussi parce que le Brésil peine à résoudre des crises qui rongent le tissu national : pauvreté endémique, inégalités abyssales, violence urbaine, corruption endémique, et une extrême polarisation politique, particulièrement exacerbée depuis les présidences de Dilma Rousseff ( 2011-2016), Jair Bolsonaro  (2019-2023) et de Lula da Silva (2003-2011), réélu Président en 2023.

À ces maux s’ajoute une crise identitaire : le pays semble en quête d’un récit unificateur, d’un symbole de continuité et d’unité. C’est précisément dans cette brèche que s’insèrent les partisans de la monarchie parlementaire, qui proposent un système proche de celui en vigueur au Royaume-Uni, en Suède ou au Japon : un monarque à rôle symbolique, garant de l’unité nationale, et un Premier ministre élu dirigeant le gouvernement. Pour eux, cette formule offrirait davantage de stabilité, une neutralité politique au sommet de l’État, et une plus grande efficacité institutionnelle.

Une première initiative de référendum populaire a été introduite en 2017 mais a été rejetée par le Sénat qui n’a pas donné suite, arguant de l’impossibilité de remettre en question l’actuelle république.  Aujourd’hui, alors que le Sénat doit se prononcer sur une nouvelle initiative, des obstacles juridiques majeurs se dressent toujours sur le chemin des monarchistes. La Constitution de 1988, fondement de l’actuelle République fédérative du Brésil, établit une structure rigide que nombre de juristes estiment incompatible avec un retour à la monarchie. Pour les constitutionnalistes Pedro Serrano et Lenio Streck, tout changement de régime nécessiterait non seulement un amendement constitutionnel, mais probablement la rédaction d’une nouvelle Constitution, tant les principes républicains et fédératifs sont verrouillés par des clauses dites « pérennes » (ou de Pierre). Autrement dit, même si un plébiscite était autorisé, son résultat ne pourrait avoir de portée normative sans un profond bouleversement institutionnel.

 

 

Ligne de succession Vassouras @Pro monarquia

Une maison impériale divisée : la querelle dynastique

Mais même dans l’hypothèse d’un retour de la monarchie, une question de taille reste en suspens : qui monterait sur le trône ? La Maison impériale du Brésil, issue de la dynastie des Bragance, est en effet divisée depuis des décennies entre deux branches rivales : la branche conservatrice (dite "de Vassouras"), représentée aujourd’hui par Dom Bertrand de Orléans-Bragance et la branche libérale (dite "de Petrópolis"), représentée par le prince Pedro-Carlos d’Orléans-Bragance.

Tout oppose les deux lignées de la maison impériale, notamment sur le plan idéologique et dynastique. Depuis 1908, les monarchistes les plus radicaux considèrent la renonciation de Dom Pedro de Alcântara à ses droits dynastiques comme irrévocable, faisant de la branche de Vassouras la seule légitime. D’autres, en revanche, contestent cette renonciation ou estiment qu’elle fut imposée, donnant ainsi à la branche de Petrópolis — dont plusieurs membres vivent en Europe — des droits égaux, voire supérieurs. Ce conflit de légitimité, resté vif au sein des cercles monarchistes, affaiblit considérablement la crédibilité d’un projet de restauration, faute d’un candidat consensuel pour incarner le rôle de monarque.

Faute de s’imposer sur le champ de la communication, la branche libérale a cédé le pas à celle plus conservatrice dont les idées heurtent néanmoins une partie de la population brésilienne, dont les prises de position (notamment sur l’esclavage, la religion ou l’homosexualité) sont en totale contradiction avec ce que pensent majoritairement les Brésiliens.

 

 

Mausolée de Dom Pedro II à Pétropolis @wikicommons

Quelles chances réelles pour un retour  de l'institution impériale ?

À l'heure actuelle, les chances que cette initiative aboutisse à un autre référendum ( qui serait prévu en 2026) sont très faibles. L’idée divise même les monarchistes et peine à faire consensus comme au sein du Cercle Monarchique Dom Luiz. (..) Nous serions dans une position défavorable si plébiscite était réalisé si rapidement », affirme les leaders de cet mouvement proche des Vassouras, qui rappelle que les monarchistes continuent de faire face à « une désinformation idéologiquement antimonarchiste, systématiquement placardée par la presse et par les institutions d’enseignement scolaire ».

Le soutien populaire, malgré une curiosité croissante sur les réseaux sociaux et dans certains cercles conservateurs, demeure cependant marginal au regard du nombre de Brésiliens vivant dans cette partie de l'Amérique du Sud. Les sondages réalisés sur le sujet montrent un chiffre d’adhésion à l’idée monarchique ne dépassant pas les 20%. Le professeur Marcello Cavalcanti Barra, du département de sociologie de l’Université de Brasilia (UnB), estime que la montée en puissance du mouvement et de l'idée monarchique est surtout  liée à « l’épuisement du régime politique actuel ». 

Mais, l’appareil politique, quant à lui, ne montre aucune volonté sérieuse d’engager un tel bouleversement. L’idée monarchique semble davantage relever du fantasme de la nostalgie, que d’un projet pragmatique inscrit dans l’agenda institutionnel.

Copyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 02/05/2025