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La dernière fille du roi Lamine Ier Bey vient de s’éteindre

Taj El Molk Lilia HusseinC’est une page de l’histoire monarchique tunisienne qui vient de se tourner. La princesse Taj El Molk Lilia Hussein a rendu son dernier souffle de vie à 92 ans, le 19 février. Elle était la dernière fille vivante de Lamine Ier Bey, ultime souverain d’une dynastie qui a contribué à construire la Tunisie durant plus de deux siècles. Contrainte à l’exil après la proclamation de la république et des mois d’humiliation, elle n’est revenue dans son pays qu’en 1987. Princesse des mille et une nuits, elle a élevée ses enfants « dans la simplicité, l'affection et l'humilité » sans jamais se plaindre. Elle incarnait toute la noblesse d’une monarchie qui fut longtemps soumise au pouvoir colonial de la France et s'était battue toute sa vie pour que la vérité historique soit rétablie sur le règne de son père. 

Lamine IerNée le 12 septembre 1929 au sein d’une fratrie qui va compter pas moins de 3 garçons et 8 filles, la princesse Taj El Molk Lilia Hussein va grandir dans un pays déjà en proie à de forts tumultes politiques. Son père Mohammed El Amine Bey est un prince de la Maison royale Husseinite qui règne sur la Tunisie depuis le XVIIIème siècle. Territoire à la croisée des chemins entre Orient et Occident, les Beys de Tunis portent aussi le titre de « possesseur du royaume ».  Progressivement, les monarques de Tunisie, ce pays que Saint-Louis a foulé de ses pas lors de 7ème la croisade, s’éloignent de l’influence exercée par la « Sublime Porte » de Turquie pour se rapprocher de l’Europe. Et comme dans toutes familles royales du Maghreb, les Husseinites n’échapperont pas aux complots et autres assassinats au sein du sérail. L’intervention de la France en 1827 permet de mettre définitivement fin aux exactions des corsaires sur la côte et les Beys entament dès lors de profondes réformes énergiques qui changent le visage du pays. Mais aussi provoquent un fort endettement de l’état qui va bientôt passer sous la tutelle de la France entre 1881 et 1956. La princesse Taj El Molk Lilia Hussein a 27 ans quand son père devient le premier monarque d’une Tunisie indépendante. La jeune fille suit depuis le balcon du palais de Carthage, et avec inquiétude, les événements qui s’enchaînent dans la capitale, cette « belle au bois dormant » au bord de la Méditerranée.  Les temps ont changé et le vieux Bey Lamine qui règne officiellement depuis 1943 a du mal à comprendre les menaces qui planent au-dessus de lui.

Lamine Ier et Habib Bourguiba (gacuhe)Lorsqu’il vient assister à la première audience de l’Assemblée nationale, le 8 avril 1956, il est reconduit hors de l’enceinte alors qu’on lui explique que « seul, le peuple dispose de la souveraineté nationale ».  Les humiliations vont dès lors se multiplier et un mois plus tard, on supprime déjà une large partie des privilèges financiers dont jouissent les membres de la maison beylicale. La princesse apprend, médusée, qu’elle n’a plus droit à aucune dotation. La famille royale devient rapidement nerveuse. En juin, l’assemblée modifie les armoiries du royaume et celles-ci ne mentionnent même plus les Husseinites de Tunisie. Le chef du gouvernement néo-destourien, Habib Bourguiba, fait preuve d’un mépris constant envers le monarque à qui on a retiré tout pouvoir exécutif. Le jour de la réception de l’Aïd, le signe que la monarchie vit ses derniers jours, ne fait plus de doutes à personne. Le 19 juillet 1956, Bourguiba accompagné de ses ministres refuse de venir s’incliner devant le Bey. « Je ne suis pas venu comme avant, mais en tant que chef du gouvernement et vous vous devez de venir à ma rencontre et de ne pas rester assise sur votre trône » lance Bourguiba à Lamine Ier qui ne bronche pas. Un an plus tard, l’Assemblée nationale se débarrasse de son souverain et la princesse Taj El Molk Lilia Hussein, priée de quitter les lieux du pouvoir avec sa famille qui est reléguée dans un palais sans eau ni électricité. L’événement et la violence de la destitution du Bey, qui n’a plus qu’une jebba de lin blanc et des savates sur lui, va faire naître un sentiment d’amertume chez la princesse Taj El Molk Lilia Hussein. En Tunisie, l’histoire est réécrite par Bourguiba qui n’hésite pas à brocarder la vielle dynastie, piller le trésor de la maison royale et faire surveiller constamment le Bey qui habite  désormais un appartement de deux pièces à Tunis.

Taj El Molk Lilia HusseinLamine Ier meurt en 1962. Le seul photographe présent lors de la cérémonie d’inhumation du souverain sera brièvement embastillé. Le départ de la princesse a été préparé de longue date avec son époux, le docteur Hamadi (Mohammed) Chelly. Elle laisse ses plus jeunes enfants chez son beau-frère et part s’installer au Maroc où le docteur Chelly a trouvé un poste au sein de de l'hôpital civil de Tétouan. Ses enfants les rejoindront ultérieurement. Pour Bourguiba, il faut oublier jusqu’au nom du Bey Lamine. Il faudra attendre  1987 pour que la princesse Taj El Molk Lilia Hussein ne revienne en Tunisie. Elle a perdu son époux mais a eu la satisfaction d’apprendre que son tombeur a été la victime d’une révolution de palais. Elle retrouve un pays complètement transformé. On se souvient des beys, elle va marquer par sa simplicité et sa gentillesse en dépit des vicissitudes qu’elle a jusqu’ici affronté. Elle n’est pas nostalgique mais prend plaisir à raconter ses jeunes années de princesse, la beauté d’un royaume qui appartient aux livres d’Histoire. D’ailleurs, depuis la révolution de 2011, la famille royale tente de faire réhabiliter leur maison  et « à rétablir la vérité historique, dénonçant régulièrement l’injustice et le traitement dont elle a été la victime ».  Les enfants de la princesse ont  « déposé un dossier auprès de l'instance Vérité et Dignité en Tunisie qui leur a reconnu des droits » affirme « Médias24 ». « Des projets de livres seraient en gestation afin de raconter leur histoire telle que vécue par leur grand-père, Lamine Bey, dernier titulaire du titre, et par ses enfants » précise même le » Courrier de l’Atlas » qui rend hommage à la princesse.

Lillia Chelly« Je me demande si le départ de ma Princesse vers un monde meilleur n’incarne pas l’espoir de millions d’âmes insoumises à la tyrannie, le rêve utile pour leur reconstruction improbable et l’exemple d’une vie réussie malgré le fatalisme. J’ai aussi beaucoup d’amertume lorsque je vois défiler toute une vie promise au bonheur saccagée par la traîtrise d’un Despote, une dignité bafouée par l’arbitraire et une morale écrasée tel un mégot de cigarette. Je revois dans mon imaginaire heurté, une Demoiselle qui avait grandi heureuse dans le cocon beylical et dépouillée de tout, dès l’instauration de la République. Puis, je me réfugie dans le triste souvenir d’une mère à peine adulte devant quitter pays et famille précipitamment, sans espoir de retour, afin de devancer un début de règlement de compte des plus obscènes. Et dans le détour de cette macabre rêverie, une impression de malaise m’envahît lorsque j’imagine ma Princesse laissant son père, dernier Souverain de la Dynastie Husseinite en exercice, se faire déshumaniser par la machine Républicaine et sa mère la Beya se faire torturer par les hommes du Président jusqu’à ce que mort s’en suive ». Sur sa page personnelle, son fils, le docteur Chafik Chelly a rendu sur u un ton grave embué de colère et de tristesse, un hommage émouvant à sa « princesse », dernier témoin d’une monarchie révolue mais qui a fait les plus belles heures de la Tunisie. 

Ccopyright@Frederic de Natal

Date de dernière mise à jour : 27/02/2021

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