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Mwanga II, le roi gay du Bouganda qui défia l'Empire britannique

Souverain indépendant du Bouganda, Mwanga II reste une figure complexe. Monarque en lutte contre la colonisation européenne, il est aussi connu pour son homosexualité qui fit scandale à l’arrivée des missionnaires chrétiens dans son royaume. Une préférence qui provoqua une guerre de religion et qui fut le prélude à sa chute.

En 1879, les premiers Pères blancs arrivent à la cour du Kabaka (roi) Muteesa Ier Mukaabya Walugembe Kayiira Bouganda. Souverain du royaume du Bouganda, c’est une monarchie nilotique qui a sa noblesse, son armée, une administration structurée, une dynastie qui a su s’affranchir de la tutelle de ses voisins et affirmer son indépendance. Bien qu’elle demeure sous l’influence des sultans de Zanzibar avec laquelle elle commerce, lui autorisant à prendre ses routes commerciales pour le trafic d’esclaves. 

Le Kabaka Mutesa Ier @Wikicommons

Une monarchie sous l'influence de l'islam sunnite

Pendant dix ans, de 1867 à 1876, Mutesa va fermement défendre l'islam sunnite, apprend l’arabe, assiste aux prières et les dirigea même dans une mosquée construite près de la lubiiri (cour),ordonna l'observation du jeûne du Ramadan sur l’ensemble du royaume. Mutesa nourrissait une véritable curiosité intellectuelle pour les enseignements de l'islam. Un tel intérêt ne saurait être sous-estimé. Mais, en tant que dirigeant, il se préoccupait inévitablement surtout des affaires d'État. Il considérait l'islam comme une religion susceptible, sous son patronage, d'accroître son pouvoir. Mais dès 1876, ce fondement de l'encouragement de l'islam fut sapé par l'intervention de l'Égypte voisine, qui cherchait à annexer les sources du Nil (y compris le Bouganda) au royaume égyptien. La visite d'Égyptiens au Bouganda la même année provoqua une crise dans les relations du roi avec l'islam. Les Égyptiens ne vont pas hésiter à critiquer la mosquée royale qui n’était pas tournée vers la Mecque et vont s’indigner lorsqu’ils apprennent que le souverain était toujourspas circoncis alors qu’il menait lui-même les prières.

Ils encouragèrent également les musulmans du Bouganda à observer strictement les lois alimentaires islamiques et à refuser de consommer la viande abattue par les bouchers du Kababa. Le refus de plusieurs jeunes bagalagala (pages) de suivre ces directives conduisit à l'exécution d'une centaine de musulmans à Namugongo, l'un des lieux d'exécution traditionnels du Bouganda. Pour Mutesa, il ne s'agissait pas simplement d'insubordination, aussi grave fût-elle, mais d'une confirmation des craintes que l'islam ne devienne une doctrine politiquement subversive. C'est aussi à cette époque qu'Henry Morton Stanley visita Mutesa. Pour le Kabaka, l'arrivée de ce Muzungu (blanc) était une occasion bienvenue de contrer la menace égyptienne et de prendre contact avec la véritable source des innovations technologiques que les musulmans avaient introduites sans en être les initiateurs. L’explorateur fit paraître dans la presse britannique un portrait idéalisé du Kabaka, le présentant comme un grand despote éclairé, avide d'entendre l'Évangile et désireux de le propager rapidement dans tout son royaume.

Le Kabaka Mwanga II @ Wikicommons

L'arrivée des Pères blancs dans le royaume menace sa stabilité

C’est ainsi que la Société missionnaire de l'Église anglicane (CMS) rassembla à la hâte un groupe de missionnaires enthousiastes. Les deux premiers représentants de ce groupe (dont le père Alexander Mackay) arrivèrent à la cour de Mutesa le 30 juin 1877, suivit deux ans plus tard de catholiques français (le père Simon Lourdel et le frère Amans). Tous étaient dans leur vingtaine, ambitieux au service de leur vision du Christ.  Contre toute attente, le souverain va accepter que ces Pères blancs résident sur son territoire et leur octroie une parcelle de terrain pour construire une église, non loin des cases royales. Mutesa Ier a très vite compris le danger que pouvait représenter la force conjointe de ces trois religions et va s’employer à les mettre en rivalité pour mieux les contrôler. Il est vrai qu’anglicans et catholiques ne vont pas tarder à s’affronter sur le champ de l’évangélisation. Les catholiques, qui s’étaient attirés l'hostilité active des musulmans à la cour par leurs dénonciations flamboyantes et extravagantes de l’islam, se sentant menacés, finirent par se retirer subitement du Bouganda.

La mort prématurée de Mutesa Ier (1884) va rabattre les cartes d’un pouvoir héréditaire qui n’entend rien lâcher de ses regalia. Basammula-Ekkere Mwanga II Mukasa a seulement 16 ans lorsqu’il succède à son père comme roi du Bouganda. Avec le couronnement de Mwanga, les Pères blancs reviennent très rapidement dans l’espoir que celui-ci soit plus ouvert. Le nouveau roi aussi est musulman. Il regarde avec méfiance ces chrétiens qui se promènent avec une bible sous la main, vantant les mérites de leur religion. C’est un traditionnaliste qui entend toutefois suivre la voie prise par son père et il va leur réserver une accueil chaleureux qui rassure les missionnaires. Peut-être trop.

Leur prépondérance dans le royaume va rapidement irriter le roi Mwanga II d’autant plus que les missionnaires catholiques et chrétiens le pressent de se convertir et de choisir une souveraine officielle parmi les 17 qu’il a déjà autour de lui (et autant d’enfants). Une ingérence qui va devenir le prétexte d’affrontements entre le monarque bougandais et les missionnaires. D’autant plus qu’un autre problème va surgir et prendre un tournant tragique. Autour du monarque gravitent de jeunes pages qui ont l’habitude de partager la couche du roi selon ses envies. Mwanga II est un roi qui a su remplir son devoir conjugal mais qui apprécie tout autant la compagnie des éphèbes à la couleur ébène. Une pratique dénoncée pour les Pères blancs qui vont s’employer à convertir les pages du roi, les uns après les autres.  

Le massacre des chrétiens par le Kabaka Mwanga II

L'homosexualité du Kabaka provoque la fureur des missionnaires et des massacres

Alors que la conquête de l’Afrique bat son plein, que la menace mahdiste venue du Soudan a été réduite, voilà que d’autres Européens venus d’Allemagne commencent à prendre pied sur la côte Est. Sous pression de sa cour et de ses conseillers, le Kabaka va prendre des décisions qui vont le mener à sa perte. Déjà agacé par les leçons de morale sur ses pratiques sexuelles, il fait tuer l'évêque anglican James Hannington, âgé de 37 ans, le 29 octobre 1885 accusé de mener une troupe armée. Dans la réalité, il n’en était rien. Le prélat fut autant victime de sa naïveté à ignorer les ordres royaux qu’il fut celle d’un monarque peureux d’une invasion européenne de son état. Quinze jours plus tard, Joseph Mukasa Balikuddembe fut brutalement assassiné pour avoir osé critiquer le Kabaka pour le meurtre de l’évêque anglican. Le premier martyr catholique dans cette partie de l’Afrique.

En mai et juin 1886, un vaste massacre de chrétiens, catholiques et protestants, a lieu. Nombre d'entre eux furent exécutés à Namugongo. La cause immédiate de ces massacres fut la colère du Kabaka face à la désobéissance des pages, notamment leur refus d'avoir désormais des relations sexuelles contraire à la religion chrétienne. Charles Lwanga, chef catholique des pages dans les appartements privés du roi, avait été particulièrement vigilant pour protéger ces jeunes chrétiens dont il avait la charge, des avances du Kabaka et de certains chefs. Mais, outre dix jeunes pages, un grand nombre des victimes étaient aussi des membres de l'aristocratie. Le plus jeune page a avoir été exécuté, Kizito, avait environ 14 ans. Il ne fait aucun doute que ces martyrs ougandais (il y avait des Bunyoro, des Basoga et des Baganda) moururent en croyant et en mettant leur confiance en Christ comme leur Sauveur. Ils chantèrent des hymnes sur le chemin de la mort, prêchèrent à leurs persécuteurs, crurent fermement en une vie après la mort, et leur courage et leur force d'âme firent une grande impression sur ceux qui les virent mourir.

Tombes des rois du Bouganda à Kasubi

Fin de règne pour le plus gay des souverains africains

Ces meurtres et la résistance persistante de Mwanga alarmèrent les Britanniques, qui soutinrent une rébellion de groupes chrétiens et musulmans qui avaient décidé de soutenir le demi-frère de Mwanga et vainquirent ce dernier à Mengo en 1888. Kiweewa Nnyonyintono, fut élevé au trône. Il resta sur le trône un mois exactement et fut remplacé par un autre frère, le Kabaka Kalema Muguluma. Cependant, Mwanga s'échappa et négocia directement avec les Britanniques. En échange de la cession d'une partie de sa souveraineté à la Compagnie britannique d'Afrique de l'Est, les Britanniques rallièrent l’armée de  Mwanga, qui destitua rapidement Kalema du trône en 1889 avant de se convertir au protestantisme et d'accepter de ne plus avoir de relations homosexuelles. Le début de la fin pour l’indépendance du Bouganda qui fut contraint d’accepter un traité de protectorat en 1894. Mwanga II tenta bien de résister  encore mais du rendre les armes le 20 juillet 1897 à Buddu (dans l'actuel district de Masaka). Il s'enfuit en Afrique orientale allemande (aujourd'hui la Tanzanie), où il fut arrêté et interné à Bukoba.

Il fut déposé par contumace le 9 août 1897. Tenace et anti-impérialiste, apostat,  il s'échappa et retourna au Buganda avec une armée  déterminée à libérer le Bouganda de l'influence coloniale, mais fut à nouveau vaincu le 15 janvier 1898. Il fut capturé, torturé et exilé aux Seychelles en avril 1899. Durant son exil, il fut contraint d'adhérer à l'Église anglicane par baptême forcé et reçut le nom de Danieri (Daniel). Il passa le reste de sa vie en exil, nourrissant un profond ressentiment envers la conquête de son peuple par les Britanniques et les exhortant à poursuivre la lutte contre la domination européenne. Il mourut aux Seychelles le 8 mai 1903, à l'âge de 34 ou 35 ans, des suites des sévices infligés par les soldats britanniques et de la faim. Le 2 août 1910, sa dépouille fut rapatriée et inhumée à Kasubi.

Aujourd’hui l’Ouganda célébré ses martyrs chrétiens tous les 3 juin de chaque année.  Un événement qui  rassemble des milliers de personnes. Si les Kabakas ont dirigé le pays à l’indépendance (1962) avant d’être renversés, restaurés traditionnellement en 1993, ils exercent encore une autorité tutélaire importance. La République fédérale a depuis renforcé son arsenal juridique contre les homosexuels, un des plus dur d'Afrique. L’histoire officielle ne reconnaît aucune once d'homosexualité à Mwanga II, plutôt érigé et célébré comme  héros national à la colonisation.

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Date de dernière mise à jour : 28/06/2025