Le dernier roi absolu d’Afrique en quête d’unité continentale
Le dernier roi absolu d’Afrique en quête d’unité continentale
Le souverain du royaume d’Eswatini, Mswati III, a entamé une visite d’État au Ghana, accueilli avec tous les honneurs. Entre culture, diplomatie économique et éloges appuyés à l’égard du pays hôte, le dernier monarque absolu d'Afrique poursuit sa stratégie d’influence sur le continent, malgré les critiques récurrentes dont il fait l’objet dans son propre royaume.
Vêtu de la traditionnelle Emahiya, accompagné de la reine et d’une importante délégation de dignitaires, le roi Mswati III a été reçu en grande pompe à l’aéroport international de Kotoka par plusieurs membres du gouvernement ghanéen. Tambours, tenues colorées, garde d’honneur : l’arrivée du monarque a donné le ton d’une visite officielle de quatre jours où symboles et gestes diplomatiques se conjuguent à chaque instant.
Le 24 juin 2025, le monarque s’est rendu à la Maison du Jubilé pour rencontrer le président John Dramani Mahama et la vice-présidente Naana Jane Opoku-Agyemang. Un banquet d'État a été offert en son honneur. Le roi a exprimé sa gratitude pour l’accueil reçu, saluant le rôle historique du Ghana dans l’unification de l’Afrique et sa lutte en faveur du panafricanisme.
Le roi Mswati III est en visite d'État de quatre jours au Ghana.
Il a été accueilli avec tous les honneurs civils et militaires à Accra, la capitale, où il a rencontré le président de la République, John Dramani Mahama, au palais présidentiel. pic.twitter.com/CnMpZQMKpA
Mswati III est monté sur le trône du petit royaume d’Eswatini (anciennement Swaziland) en 1986, à l’âge de 18 ans. Il est aujourd’hui le dernier monarque absolu du continent africain. Ce pays enclavé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, peuplé d’1,2 million d’habitants, conserve un système politique unique où le roi cumule à la fois les fonctions de chef d’État, de chef religieux et d’autorité traditionnelle suprême. Il nomme le Premier ministre, les juges, contrôle le Parlement et peut dissoudre l’Assemblée à sa guise.
Le royaume a été rebaptisé Eswatini en 2018, à l’initiative du souverain, pour marquer une rupture symbolique avec la période coloniale britannique. L’histoire du pays est marquée par une forte tradition monarchique et une culture profondément enracinée dans les rites et symboles du pouvoir royal.
Si Mswati III jouit d’un certain prestige sur le plan symbolique et culturel, son règne est entaché de nombreuses controverses. Les critiques à son encontre se multiplient, tant au niveau national qu’international. Le roi est accusé de mener une vie de luxe ostentatoire – il disposerait de plus d’une dizaine de palais, d’une flotte privée de jets et d’une quarantaine d’épouses – pendant que la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les manifestations prodémocratie sont régulièrement réprimées, parfois violemment.
En 2021, une vague de protestations a été sévèrement matée par les forces de sécurité, faisant plusieurs dizaines de morts et a même fait craindre une chute de l'insitution royale. L’Union européenne et les ONG de défense des droits humains dénoncent régulièrement l’absence de libertés politiques, la censure, et le non-respect des droits fondamentaux.
Une diplomatie culturelle et économique affirmée
Malgré ces critiques, le roi poursuit une stratégie diplomatique active, cherchant à nouer des alliances régionales. Sa visite au Ghana vise à renforcer les échanges économiques, notamment autour de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), dont le siège est à Accra. Le roi a plaidé pour une meilleure intégration africaine, sur le modèle de l’Union européenne, et une mutualisation des infrastructures pour accélérer le développement du continent.
« Le Ghana a toujours été au cœur de la transformation de l’Afrique. Aujourd’hui encore, il incarne l’espoir d’un continent uni, fort et résolument tourné vers l’avenir.», a déclaré le souverain, soulignant les potentialités d’un commerce intracontinental renforcé et rappelant qque l'ancienne Gold Coast a été un des membres fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (aujourd’hui Union africaine). Il s’est également félicité de la diplomatie ghanéenne, saluant les figures historiques comme Kofi Annan (ancien Secrétaire-général de l'ONU de 1997 à 2006) et le rôle du pays dans la consolidation de la démocratie sur le continent. « L’Afrique ne doit pas renier ce qu’elle est. Nos institutions traditionnelles sont des piliers de stabilité. Le lien entre nos peuples va bien au-delà des frontières tracées par l’histoire coloniale. »,a ajouté le souverain swazi.
— DailyGraphic GraphicOnline (@Graphicgh) June 25, 2025
Un clin d’œil royal aux racines africaines
Le roi Mswati III s'est également rendi n à Kumasi pour une visite protocolaire à Otumfuo Osei Tutu II, l’Asantehene (roi des Ashantis), une rencontre hautement symbolique entre deux figures traditionnelles africaines. Elle fait écho à leur précédente entrevue lors du couronnement du roi Charles III au Royaume-Uni (2023). Le monarque d’Eswatini y voit une reconnaissance mutuelle de l’autorité traditionnelle africaine, toujours vivante au XXIe siècle. « J’ai promis de lui rendre visite, et je suis heureux d’honorer cette promesse. Le lien entre nos royautés témoigne de la profondeur des liens africains ancestraux. », a déclaré le roi Mswati III aux journalistes présents pour son déplacement, au sein du Parlement des rois et chefs traditionnels du pays.
Monté sur le trône des Ashantis, fort d’une population de 11 millions de personnes, le roi Osei Tutu II est l’héritier d’un empire ouest-africain défait par les Britanniques vers la fin du XIXe siècle. Les monarques ashantis ont vu leurs pouvoirs réduits lors de la proclamation de la République en 1957 mais restent encore une haute autorité tutélaire qu’il est difficile d’ignorer.
Cette visite d’État illustre les paradoxes du roi Mswati III : chantre de l’unité africaine sur la scène diplomatique, mais dirigeant autoritaire chez lui, souvent contesté pour son mode de gouvernance. À Accra, les discours fraternels et les appels à l’intégration continentale n’effacent pas les tensions internes persistantes dans son propre royaume. Reste à voir si cette diplomatie royale, teintée de tradition et de stratégie économique, permettra à l’Eswatini de trouver un nouvel élan sans sacrifier les aspirations démocratiques de son peuple.