Les Senoussis, une solution ?

« Je pense que nous avons maintenant le choix, soit de perdre notre pays et de constater son effondrement, soit de prendre une autre alternative, celle du retour de la monarchie ». Le 30 mars, Ashraf Boudouara, un des leaders du Mouvement pour le  retour de la légitimité constitutionnelle, a appelé ,sur les réseaux sociaux, les libyens à réclamer le retour de la famille royale des Senoussis alors que la Libye s’enfonce dans la guerre civile.

Prince mohammed el senoussiPremiers acteurs de la chute de la chute du régime de  Mouammar Kadhafi en 2011, les islamo-monarchistes ont tenté de s’imposer, en vain, dans une Lybie qui n’a eu de cesse de se balkaniser. Porté à la tête de la province de la Cyrénaïque, le prince Ahmed Al-Zoubair al-Senoussi, petit-neveu du roi Idriss Ier, intègre le Conseil National de Transition mis en place. L’option monarchique est même envisagée au sein de l’hémicycle de l’Union Européenne qui invite l’héritier au trône, d’une monarchie renversée en septembre 1969, à s’exprimer officiellement. « C'est au peuple libyen de décider s'il veut s'engager sur la voie d'une monarchie constitutionnelle ou d'une république » déclare alors le prince Mohammed El Senoussi. Avant d’être abandonnée tant aucun des pays de la coalition engagée dans le conflit n’est en mesure de déterminer si les libyens souhaitent le retour d’une famille royale aussi scindée en 2 branches rivales qu’il y a de gouvernements reconnus dans l’ancienne  Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste.

 «Violations flagrantes de la souveraineté libyenne et ingérence dans les affaires internes » du pays, les monarchistes pointent du doigt la responsabilité des pays occidentaux, celle de l’Organisation des Nations unies dans la crise  politique qui s’est aggravée actuellement dans cette partie de l’Afrique du Nord. Notamment la France. Dans une interview à la chaîne italienne Sky TG24, il y a 4 jours,  le président (monarchiste) du Parlement européen, Antonio Tajani a accusé le président Nicolas Sarkozy d’être responsable du chaos qui règne actuellement en Libye.  « Il s'agit d'une erreur historique retentissante. La France pensait pouvoir peser plus en Libye mais finalement elle n'a rien pesé» a déclaré Tajani  et qui a surenchéri en ajoutant que sa guerre personnelle avait « provoqué une crise migratoire dont le prix est payé par l'Italie et d'autres pays ». Expression d’une vieille rancune historique qui n’a pourtant pas empêché la botte de l’Europe de signer des contrats avec les successeurs de Kadhafi !  Possession de l’Italie de 1911 à 1943 et le théâtre de combats entre l’Afrika Korps et les Alliés, la Libye avait été divisée en 3 après la seconde guerre mondiale. La province du Fezzan aux français, la Cyrénaïque et la Tripolitaine aux britanniques.  Aujourd’hui, c’est une autre guerre qui se déroule, plus feutrée,  plus économique et qui aiguise les appétits. La Libye est la 9ème réserve de pétrole dans le monde. Un enjeu de taille pour qui  des différentes tribus, des djihadistes, des partisans du fils de Kadhafi,  Saïf al Islam, s’en emparera ou pour l’Europe qui joue les équilibristes entre le gouvernement de Fayez El Sarraj à Tripoli et celui (non reconnu) de Tobrouk dirigé par le député Aguila Salah Issa.

Libye 1Après avoir tenté en mars 2012 de proclamer une semi–indépendance de la Cyrénaïque, la famille royale est chassée du pouvoir deux ans plus tard par les milices qu’elle avait tenté de désarmer à Benghazi. Réhabilitation du roi Idriss Ier, communiqués du prince héritier (il se déclare « prêt à jouer son rôle en Libye »), manifestations, rumeurs de complots et congrès monarchiste en plein Tripoli, la capitale, se sont multipliés sans que les Libyens n’adhèrent à l’idée pour autant. Le ministre des affaires étrangères, Mohamed Abdelaziz, avait même essayé d’imposer la monarchie comme alternative lors d’un sommet de la Ligue arabe. Sans résultats.  Il est vrai que l’ «on ne connaît pas sa personnalité, il donne très peu d'interviews », explique à propos du prince Mohammed El Senoussi,   le spécialiste du monde arabe Slimane Zeghidour sur les ondes de TV5. Pourtant, il est « possible que l'on propose à Mohammed el-Senoussi de remonter sur le trône » si les libyens ne trouvent « personne pour fédérer le pays». Une option, cependant,  refusée par le nouvel homme fort du pays, le maréchal Khalifa Haftar, à la tête de l’armée nationale libyenne et qui a lancé son offensive finale sur Tripoli. « Les partisans de la monarchie comptent bien des personnalités de valeur dans leurs rangs, mais ce système est dépassé depuis longtemps » avait déclaré à l’hebdomadaire Jeune Afrique en février 2018, celui qui est  soutenu à la fois par l'Egypte, les Emirats, ainsi que de l'Arabie saoudite.

Paris avait pourtant bien essayé de réconcilier les deux présidents ennemis, en juillet 2017, en obtenant à l’arrachée un accord pour l’organisation d’élections libres qui se font toujours attendre. « Pour qu’il y ait un scrutin, il faut une loi électorale, une logistique. Il n’y a rien de tel (…), je ne parle même pas des conditions de sécurité » avait déclaré le prince Idriss Senoussis, autre prétendant au trône, homme controversé et proche des Etats-Unis, qui avait accusé Emmanuel Macron de jeter de la « poudre aux yeux » sur les libyens. Et de se proposer comme alternative crédible: «(..) le président français a réussi à réunir les parties belligérantes et à obtenir un cessez-le-feu. C’est très bien. Mais ça ne résout pas le problème de fond, contrairement à ce que je propose. En tant que membre de la famille Senoussi, je me sens une responsabilité historique et sociale ». Avant de rassurer la communauté internationale sur  ses intentions : «  Je ne veux pas être roi et je ne suis d’aucun parti. C’est pour cela que je suis disponible pour assurer le poste de [chef d’État par intérim pendant une période transitionnelle]  qui est avant tout symbolique de l’unité du pays » avait-il déclaré. 

«D’abord, la monarchie n’a jamais été révoquée par le peuple. Ensuite, Mohamed el Senoussi n’est pas perçu comme le candidat d’une tribu, d’une ville ou d’un parti, c’est un homme indépendant »  avait déclaré à Jeune Afrique  la responsable du Mouvement pour le retour de la légitimité constitutionnelle et fille d’un ancien ministre des Affaires sociales du roi, Fathi Sikta. Retour à la charia, constitution de 1951, fédéralisme, les monarchistes continuent de réclamer que soit soumise à référendum la question royale aux libyens. Sur les murs de Tripoli, on peut encore lire des graffitis qui réclament le retour de cette « monarchie qui nous unis ». Mais aujourd’hui, alors que les tirs de balles crépitent  et les roquettes se font entendre aux abords de la capitale, qui écoute encore les partisans de la dynastie Senoussis ? 

Copyright@Frederic de Natal ?

Publié le 10/04/2019

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