Les Salomonides d'Ethiopie

« Si la dynastie Solomonide était restaurée, la monarchie serait probablement un atout et non un handicap pour le peuple éthiopien » 

Gizachew Tiruneh, professeur de sciences politiques (2016)

 

31 1C’est le mouvement apolitique « Ethiopian for constitutional monarchy » qui l’affirme sur les réseaux sociaux. Le prince Ermias Sahle-Selassie aurait rencontré ces derniers jours le premier ministre Abiy Ahmed sous le sceau du Conseil de la couronne dont il a la charge depuis des décennies. Tout un symbole dans un pays qui a enterré en toute discrétion, 19 ans auparavant, son dernier négus, dont le souvenir n’orne plus que les livres d’histoire d’Ethiopie.

 

C’est à Addis Abeba le 14 juin 1960 que naît le prince Ermias Sahle-Selassie. Sa généalogie est éloquente. Il descend de Ménélik Ier, le fils du roi Salomon et de la reine de Saba. Plus veille maison impériale avec celle du Japon, les Salomonides sont montés sur le trône du lion de Juda au XIIIème siècle. Par une ironie de l’histoire, le dernier représentant de la branche masculine sera une femme, Zaouditou Ière régnant conjointement avec le Ras Tafari Makonnen, futur Hailé Sélassié, quant à lui issu d’une lignée féminine, qui va marquer l’histoire du pays de 1930 à 1974, date de sa chute.

Il reçoit l’éducation qui sied à un prince héritier de la maison impériale. Son père, Sahle, n’est autre que le fils cadet de l’empereur mais que son propre destin l’empêchera de connaître. Il meurt subitement deux ans après sa naissance, à peine âgé de 30 ans. Objet de toutes les spéculations, il est dit que le prince fut un critique de la politique du « masque d’or ». Royaume –Uni et Etats-Unis, Ermias Sahle-Selassie est un adolescent qui assiste au spectacle tragique d’une monarchie absolue qui n’aura pas su répondre aux attentes de son peuple ni se moderniser. Il vivra loin des merveilles géologiques de son pays qui, selon la légende, garde jalousement l’Arche d’Alliance volée par Ménélik Ier et placée au centre de l’église Sainte-Marie-de-Sion, tout en cultivant son amour pour sa langue natale, l’amharique, que ce fervent croyant partage avec Jésus.

Si le prince reste longtemps discret, résidant à Washington, il n’en suit pas moins les événements qui se succèdent dans son pays. La fin du régime marxiste de Mengistu Haïlé Mariam est synonyme de réveil  pour le monarchisme éthiopien jusqu’ici endormi. Les rebelles de l’Union démocratique éthiopienne (E.D.U), fondée par le  Ras  Seyoum Mengesha II, ont rejoint les troupes du Parti Révolutionnaire du Peuple Ethiopien  (E.P.R.D) entré en sédition contre le Derg au pouvoir. Le retour de la monarchie semble alors imminente tant la dictature en place est détestée et impopulaire. En Avril 1989 Asfa Wossen, fils d’Hailé Sélassié, proclamé brièvement roi d’Ethiopie (1974),  qui est réfugié à Londres, décide d’abandonner son titre de prince héritier pour celui plus impérial de Négus Amaha Selassié Ier (« Cadeau de la trinité »).  Mais une fois au pouvoir, l’EPRD décide de se débarrasser de ses encombrants alliés et n’autorise aucun référendum sur le retour de la monarchie en Ethiopie. C’est depuis les Etats-Unis, le 23 octobre 1990 que l’héritier au trône crée le  mouvement Moa Ambossa (Le lion conquérant), chargé de promouvoir l’idée impériale en Ethiopie et de préparer son retour dans le pays. En vain.

 

Parallèlement le prince Ermias Sahle-Selassie, qui a eu deux enfants, des jumeaux en 1992, est entré également en politique. Un Conseil de la couronne d’Ethiopie a été créé en 1993, rassemblant les descendants et survivants de la maison impériale. Il en prendra la tête pour ne plus en quitter le siège. Il est un infatigable défenseur de la monarchie, voyageant à travers toute l’Afrique et l’Europe,  recevant  l’honneur en 1998 de s’adresser 2 fois au Congrès et au sénat américain. C’est parmi la diaspora que les monarchistes recrutent. En Ethiopie, le gouvernement  empêche les membres de la famille impériale de jouer un rôle de premier plan. Lorsque l’on se décide enfin à enterrer le négus, dont le corps a été retrouvé sous le bureau de Mengistu Hailé Mariam, le gouvernement du premier ministre Meles Zenawi refusera de lui octroyer les honneurs de funérailles d’état.

32Il est populaire, certains songent même à l’opposer au  prince Zera jacob, souverain de jure depuis 1997,  mais peu intéressé par ses devoirs au trône. Il faut attendre le 16 mars 2005 pour que les deux cousins mettent fin à leurs dissensions internes. Le prince héritier est confirmé dans ses droits par le Conseil de la couronne, le prince Ermias Sahle-Selassie reste à la tête de l’organisation qui s’est muée officiellement en « mission de préservation de la culture, de développement et d’action humanitaire en Éthiopie ». Parlant couramment l’anglais et l’allemand, Ermias Sahle-Selassie, qui ne se lasse pas de raconter ce que fut sa vie à la cour impériale, ses rencontres avec le maréchal Tito ou la reine Elizabeth II,  est reçu par ses pairs de toutes origines, du duc Dom Duarte de Bragance à feu le roi Ntare V du Rwanda, Reza Shah Pahlavi II ou encore le prince Idriss Senoussis.

Il n’a pas renoncé à remettre l’idée monarchique au centre des débats dans son pays, à revenir s’y installer (citant volontiers l’exemple du prince Alexandre II de Serbie)  et n’hésite pas à faire des déclarations qui sont relayées par l’opposition. Souhaitant participer à la reconstruction  de l’Ethiopie ainsi qu’il l’affirmait lors d’une interview accordée à Voice of America en 2016, peu après sa visite symbolique en Jamaïque afin  de commémorer le 50ème anniversaire de la visite du négus dans les Caraïbes, il se considère pourtant  toujours comme un prince en exil, réclamant le retour du multipartisme dans son pays où une dictature a été chassée par  une autre.  Le 3 juillet 2018, alors que l’Ethiopie signe enfin un accord de paix avec la république (sécessionniste) d’Erythrée, Ermias Sahle-Selassie publie un communiqué où il rappelle que ses « ancêtres ont maintenu la souveraineté de l’Ethiopie, en déplaçant la couronne solomonique dans une position où sa fonction première était de représenter et d’inspirer l’unité et la noblesse de notre nation et de nos peuples », condamnant toute formes d’irrédentismes dans son pays. Vague allusion à la rébellion qui sévit dans l’Oromoland, province longtemps résistante à l’ordre impérial qui massacra entre 1868 et 1900 la moitié de sa population (soit 5 millions d’individus). Quand elle ne fut pas l’objet de sévices comme la main droite des hommes coupées attachées à leurs cous où les seins des femmes arrachés. Un souvenir que préfère éluder le prince pour évoquer le temps de la réconciliation, sa mère étant elle-même une princesse oromo encore en vie.

 

34 1La Chinafrique ? « Une bonne chose source de créations d’emplois et d’investissements » dit-il au journal gréco-australien « Neokosmos » qui l’interrogeait, en juillet 2017 sur le sujet et  également sur la montée des extrémismes religieux dans son pays, cette constante sous l’empire qui força même Haïlé Sélassié à se soulever contre l’Empereur musulman d’Ethiopie,  Iyassou V (1913 – 1916, dont la branche frappée d’apostasie a toujours des descendants aujourd’hui). Un mouvement monarchiste ? Plutôt actif sur les réseaux sociaux, chez les rastafariens qui vouent un culte christique à l’empereur défunt (le Conseil de la couronne avait appelé tous les adorateurs d’Haïlé Sélassié à soutenir les efforts de restauration de la monarchie dans une lettre en 1997), le Kebra Nagast Party étant peut-être le plus connu d’entre eux.

Dernièrement, le prine Ermias Sahle-Selassie a été reçu par le précédent gouvernement australien. Une consécration pour cet homme qui rêve d’un avenir comparable à la destinée de son illustre grand-père et qui tente d’« essayer d’être un exemple, un modèle » pour les autres. « L’Éthiopie a bien traversé les siècles passés et a réussi à survivre. Nous sommes un peuple combattif. Nous devons nous préserver et créer une Éthiopie pacifique, prospère et capable d'offrir à ses citoyens la possibilité de mener une vie agréable », ma mission est de « faciliter la création d'une identité forte et susciter un sentiment de fierté, de destin et d’égalité, sur la base du respect de nos traditions » déclare le prince qui ne cache pas qu’il espère un jour pouvoir assister au couronnement d’un négus dans le pays du légendaire « prêtre Jean ».

« Si la dynastie Solomonide était restaurée, la monarchie serait probablement un atout et non un handicap pour le peuple éthiopien » avait rappelé en 2016, Gizachew Tiruneh, professeur de sciences politiques à l’université d’Arkansas au journal Nazret.

 

Copyright@Frederic de Natal

 

Paru le 12/01/2019

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