Qui est le roi de Jérusalem ?

«Protéger les droits des chrétiens n’est pas une question de courtoisie mais un devoir»

Abdallah II (2013)

 

30 4La croix de de Godefroy de Bouillon flotte dans le vent, surplombant toujours la ville de Jérusalem. Arborée par cet avoué du Saint-Sépulcre, lors de la première croisade, elle est le symbole de la Custodie franciscaine de Terre sainte en charge de veiller  sur le tombeau du premier des martyrs de la Chrétienté. Formée de 5 croix, émaillées de rouge sang, elle rappelle au pénitent de passage les 5 blessures du Christ, les 5 premiers livres de la bible ou encore les 5 premières églises chrétiennes. Depuis la chute du Royaume latin de Jérusalem  en octobre 1187, précédant celle de Saint-Jean d’Acre (1291), c’est aujourd’hui la maison royale des Hashemites qui a la garde de tous les lieux saints chrétiens et musulmans de l’ancienne Mésopotamie. Un titre qui revient pourtant de droit à d’autres princes européens qui pourraient prétendre à la couronne de Jérusalem en cas de renaissance du « Regnum Hierosolimitanum ».

 

La naissance de Jésus de Nazareth,  le 25 décembre,  est fêtée chaque année par tous les chrétiens du monde entier.  Descendant des rois de Juda, selon la généalogie établie par Saint Matthieu et par Saint Luc, le fils de Marie est le Christ, ce « roi oint du seigneur », mort sur la croix. Passées les images d’épinal et autres films hollywoodiens, la première croisade, décrétée en 1095 par le pape Urbain II agacé d’apprendre que les turcs empêchaient les pèlerins de se rendre sur la tombe du messie,  sera tout sauf une promenade philanthropique. Massacres, viols, exécutions sommaires,  pillages, la chute de Jérusalem s’accompagnera d’un bain de sang qui ne fut pas sans rappeler le Nil, victime d’une des des dix plaies d’Egypte. Parmi les chefs croisés, la plupart, des cadets venus se tailler des fiefs à l’ombre des palmiers, Godefroy de Bouillon, qui ne put se résoudre à prendre une tiare d’or là où le Christ avait dû supporter le poids d’une couronne formée entièrement d’épines lui lacérant la tête.  De tous les rois de Jérusalem, nul doute que celui qui retint l’attention de l’Histoire fut le roi  Baudouin IV, dont le rôle de conciliateur des deux religions fut porté à l’écran dans le film épique « Kingdom of Heaven ».  Un exemple dans lequel entend se placer le roi Abdallah II qui avait déclaré en 2013, lors d’une visite à la Custodie, que « protéger les droits des chrétiens (n'était) pas une question de courtoisie, mais un devoir ».

La fin du royaume de Jérusalem ressemble à une mauvaise série ou se mêlent sentiments de cupidité et d’ambition dévorante, chacun des protagonistes complotant contre l’autre pour s’emparer d’un trône qui se réduisait comme une peau de de chagrin au fur et à mesure de leurs défaites face aux musulmans. Les eaux du Jourdain se remplissant doucement des larmes de ces « poulains », les fils de deux religions monothéistes,  agonisant dans le Néguev, le désert israélien. La chute de Jérusalem sera vécue comme une tragédie comparable à celle que vivra Constantinople en 1453 et dont l’Occident peinera à se relever. Il faut attendre 1924 pour que le titre de gardien des lieux saints soit (de nouveau)  attribué à Hussein ben Ali Al Sharif, alors protecteur de la Mecque et descendant du prophète. Une idée qui aurait plu à Frédéric II, le dernier des Hohenstaufen à porter le titre de roi de Jérusalem. Au cœur de la ville sainte, volent à l’unisson, entre miel et fiel, les louanges des 4 principales religions connues. Chrétienne, musulmane, juive et orthodoxe, toutes se partagent le pouvoir spirituel de la ville de Salomon. L’ombre de Saladin comme celle du roi–lépreux planent encore sur cette ville au lourd passé teintée de tensions et de passions en tout genre. A commencer par celle du Christ qui fait face à la mosquée d’Al Aqsa et son Dôme du Rocher.  Nommée par le conseil suprême musulman, la dynastie des Hashémites veille encore jalousement sur Jérusalem sans que le gouvernement d’Israël ne lui reconnaisse aucun droit sur cette ville dont la partie « Est » est également revendiquée par l’état embryonnaire de Palestine.

31 8Abdallah II est largement plébiscité par les chrétiens qui lui reconnaissent volontiers ses talents de diplomate et son investissement en faveur des lieux saints. En 2016, il participera d’ailleurs, largement, à la restauration du tombeau du Saint-Sépulcre. Même l’Union européenne, les Etats –Unis, la Ligue Arabe ou encore la Turquie n’ont de cesse de féliciter le rôle de  la Jordanie dans sa lutte  en faveur de la protection des minorités chrétiennes. En décembre 2017, Frederica Mogherini, ministre des affaires étrangères à Bruxelles, avait elle –même consacré le fils du roi Hussein Ier, «  gardien des lieux saints » de Yerushalaim, le nom hébreu de la ville.

 

Lors des traditionnelles célébrations de Noël de cette année, le roi et son fils Hussein ont  réuni  au centre culturel Al Hussein d’Amman,  tous les dignitaires religieux du Proche-Orient, dont Monseigneur Pierbattista Pizzaballa, administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem, héritier d’un système politico-religieux ayant toujours soutenu la monarchie latine

 

Le royaume de Jérusalem serait-il relevé que la question de son souverain se poserait. Loin de toute uchronie, qui serait aujourd’hui le véritable prétendant au trône d’une monarchie mythifiée avec le temps et devenu le symbole de la « Reconquista » pour divers groupes d’extrême-droites néo-croisés qui se revendiquent parfois de son héritage et rêvent de reformer des milices chrétiennes (quand ils n’ont pas directement participer à la lutte contre l’Etat islamique du Levant-DAESH) ?

32 5Comme pour bon nombre de couronnes en exil, il y a, ici aussi,  pléthore de candidats, parfois légitimes, parfois surprenants. Si le titre est utilisé par le roi d’Espagne Felipe VI, le premier à pouvoir revendiquer est l’actuel champion du catholicisme traditionaliste. Faute de trône en Espagne auquel son grand-père avait dû renoncer, le duc d’Anjou Louis-Alphonse de Bourbon figure en bonne place. La chance a un oubli de taille. Dans sa lettre de renonciation, feu le duc de Ségovie avait omis de mentionner sa titulature de Jérusalem et bien qu’il ne la revendique pas, Louis-Alphonse qui n’a jamais mis les pieds en Terre sainte, pourrait potentiellement ceindre la couronne et marcher sur les traces du comte de Chambord qui fut  de son vivant un ardent défenseur des minorités chrétiennes d’Orient. En face de lui, les deux prétendants au trône d’Italie, Victor –Emmanuel de Savoie et Amédeo de Savoie-Aoste qui ont reçu leur droits de la reine Charlotte de Lusignan, souveraine latine de Chypre entre 1458 et 1485. Comme le précédent, ils n’ont pas fait acte de prétention. On trouve aussi l’archiduc Karl de Habsbourg-Lorraine dont le nom impérial rayonne en Terre sainte depuis 1863. C’est à cette époque que l’empereur François-Joseph fit ouvrir un hospice à Jérusalem qui offre encore aujourd’hui aux pèlerins germanophones « un oasis de paix et de tranquillité ». Plus incongru, le prince belge Prince Charles-Antoine Lamoral de Ligne-La Trémoïlle qui est aussi un descendant par les femmes du roi Charles X et du roi Jean de Brienne, le roi de Saint-Jean d’Acre et futur empereur latin de Constantinople. Pas sûr que ce dernier souhaite réellement ceindre une couronne dont son porteur aurait tout à craindre de finir comme Maximilien Ier du Mexique.

 

Une fois l’idée romantique  d’hommes  balayant le sable, sabre au clair pour le Christ sur fonds de musiques modernes néo-grégoriennes, remisée dans les placards,  les généalogistes s’accordent pourtant et  unanimement sur un seul candidat en la personne du duc de Calabre, Pierre de Bourbon-Sicile, Le plus Orléans de sa famille.  C’est en 1738, 3 ans après de son couronnement comme roi de Sicile et de Jérusalem à Naples que Charles III reçoit officiellement sa titulature latine, des mains du pape Clément XII lui-même. Son descendant qui dirige l’ordre sacré et militaire constantinien de Saint-Georges dont le but  est « la glorification de la Croix, la propagation de la foi et la défense de la Sainte Église romaine »,  est d’ailleurs reconnu dans ses droits par la famille royale d’Espagne qui lui laisserait volontiers planter ses lys sur la terre du roi Hérode si l’histoire le souhaiter. Mais pour l’heure , le prince est tout à la fois à la gestion de son ordre et à ses prétentions sur les Deux-Siciles qui ont vu débarquer tant de chevaliers venus de Normandie et d’Anjou pour établir un royaume (1130-1282) dont la richesse avait fait pâlir bien des empires voisins.

Selon la tradition, la naissance de l’ordre nous ramène au temps des plus belles heures de l’empire byzantin au XIIème siècle, régnait alors le Basileus Isaac II Ange Comnène. C’est en 1718 que le pape Clément XI le placera sous la protection du Saint-Siège et celui -ci compte aujourd’hui des membres illustres des familles de la noblesse française  et étrangère comme le Baron Hervé Pinoteau qui cohabite avec le prince Jean d’Orléans, Charles –Emmanuel de Bourbon-Parme, le prince Miguel de Bragance, le prince impérial Jean-Christophe Napoléon  ou encore Jacques de Bauffremont-Courtenay, descendant de Charles IV d’Espagne et dont une petite –fille a épousé le duc d’Angoulême, Eudes d’Orléans. Leur insigne est un autre héritage du royaume de Jérusalem, représentant une croix grecque rouge à 4 branches fleudelisées et passementées d’or, chargées aux quatre extrémités des lettres I.H.S.V. (In Hoc Signo Vinces-Pour cette lignée) et au centre, en or, le monogramme du Christ, le chrisme (?).

« Les voix du Seigneur sont impénétrables » dit l’adage bien connu. Et s’il y a quasiment aucune chance de voir le couronnement de « Pierre Ier de Jérusalem », la ligne entre le fantasme et la réalité demeure pourtant bien mince tant cette partie de l’Orient est riche en rebondissements. Rien cependant qui ne serait ébranler la charge qui a été remise au roi Abdallah II, dont tous s’accordent, qu’il pourrait lui-même être le futur souverain capable de réunir les confessions religieuses sous une seule et même alliance, celle de la Croix et du Croissant dans l’idée de paix universelle. Le rêve de Baudouin IV est-il en passe d’être réalisé ?  

copyright@Frederic de Natal

Paru le 28/12/2018

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