La tentation monarchiste de l'Irlande

C'est une page méconnue de l'histoire irlandaise. Peu de temps avant l'indépendance de l'Irlande du Sud, les rebelles du Sinn-Féin songent à réinstaurer la monarchie. Contre toute attente, c'est un prince allemand qui aura les honneurs d'une couronne qu'il ne ceindra finalement jamais. 

En 1922, après des années de lutte contre le Royaume-Uni, un accord reconnaît enfin l’indépendance à une large partie de l’Irlande. Les nationalistes ont fait le choix de la République comme seule institution garante de la paix. Pourtant, lors de la Première guerre mondiale, la question d’un retour de la monarchie a été abordée par les nationalistes qui vont se tourner vers l’Allemagne du Kaiser Guillaume II afin de se venger de siècles d’humiliation forgés par les Anglais.

La conquête de l'Irlande par les anglo-Normands

Une île colonisée et soumise à l'autorité de l'Angleterre 

Tout commence en 1169 lorsque le roi Henri II Plantagenêt décide de conquérir l’Irlande en destituant les quatre souverains qui se partagent cette île verdoyante. Si le monarque remporte succès après succès, il est loin d’imaginer qu’il vient de transformer le visage d’un pays christianisé par Saint Patrick. La couronne anglaise va multiplier les vexations et heurter la fibre catholique d’un peuple fier de ses origines. Après avoir interdit le port de leur habit traditionnel et l’usage du gaëlique (1366), pris les terres les plus arables aux seigneurs locaux, la volonté du roi Henri VIII de se parer des attributs des anciens souverains irlandais va jeter le feu aux poudres. C’est le comte de Tyrone, Aodh Mór Ó Néill (ou Hugh O’Neil) qui va lever le drapeau de la révolte entre 1595 et 1602, même se parer d’un titre royal auquel il est pleinement légitime. Un conflit de neuf ans, aidé par l’Espagne, qui se terminera avec la reddition du « Grand comte », peu de temps après sa défaite à la bataille de Kinsale. Pardonné par les Stuart au grand dam des nobles anglais, il reprendra le chemin de la rébellion après avoir été habilement exclu de ses terres. Pour éviter l’ordre d’arrestation, il s’enfuit en exil, à Rome, où il meurt en 1616, âgé de 76 ans.

De Brian Boru à O' Neill, l'esprit d'indépendance des Irlandais

La guerre civile ravage l'Irlande 

Contestataire et opposante à tout régime, l’Irlande se révèle néanmoins un fort soutien aux Stuart durant la guerre civile qui opposera le Parlement à la monarchie. Une tentative d’indépendance fut même mise en place avec l’organisation des Etats confédérés d’Irlande (1642-1651). Le pays se divise entre partisans du roi Charles Ier et ceux d'Olivier Cromwell, plus tard entre stuartistes et orangistes, entre catholiques et protestants. Entrecoupé de paix éphémères, la bataille de la Boyne (juillet 1690 ) marque la fin du conflit et le retour de l’Irlande dans le giron britannique. Une victoire qui est toujours célébrée, chaque année par les orangistes irlandais qui défilent dans les villes, non sans difficultés, tant la rancune est encore tenace de nos jours. Loin de tirer les leçons de l’antagonisme qui règne entre les deux peuples, Londres va poursuivre sa politique de vexation. Des lois anti-catholiques sont votées, obligeant le clergé irlandais à prêter serment d’allégeance à la couronne en 1709.  La guerre civile reprend avec en fond de toile la volonté des Stuart de remonter sur le trône et celle des Hanovre de se maintenir sur leur trône. Si l’issue est connue de tous, il faut attendre la Révolution française pour que se réveillent les velléités indépendantistes des Irlandais. En 1798, durant quelques jours, les insurgés proclament la République de Connaught. La France envoie alors des contingents leur porter secours avant finalement de capituler honteusement. La famine qui sévira au XIXème siècle entraîne l’exode massif de centaines de milliers d’irlandais vers les Etats-Unis, accentuant une crise économique qui accroît le ressentiment irlandais. Le pays du roi légendaire Brian Boru est sous la coupe des Anglais qui se comportent en colons et réduisent quasiment les Irlandais dans une sorte d’esclavage qui ne dit pas son nom.

Arthur Griffith et Ruprecht de Baviere @wikicommons

Les nationalistres appellent le prince héritier de Bavière sur le trône d'Irlande

Le 17 mars 1905, le journaliste et imprimeur Arthur Griffith fonde la revue du Sinn Féin (« Nous-mêmes »). Nationaliste, la revue affirme que tant que le Sinn Féin existera « il soutiendra toujours la cause des opprimés contre les oppresseurs et se battra fermement pour la classe ouvrière. ». Ce n’est qu’en 1905 qu’il deviendra officiellement le parti que l’on connaît.  Ses débuts sont modestes. A peine 500 membres, guère plus qu’un ces groupuscules qui pullulent dans le microcosme irlandais. Il n’est pas encore républicain. Le modèle austro-hongrois de double couronne intéresse ses membres fondateurs et dans son programme, on peut y lire que « l’Irlande doit devenir un partenaire égal de la couronne anglaise par le biais d’une double monarchie ». D’ailleurs, ce n’est qu’en octobre 1917, sous l’influence d’Eamon de Valera (futur Président), que sera réellement inscrit dans les organes du parti, le projet de république irlandaise. Mais en 1905, Griffith écrit qu’il souhaite toujours servir le Roi Edouard VII au sein d’une Irlande totalement autonome.  Londres accepte de mettre en place le fameux « Home rule » en 1912 afin de les calmer mais il ne sera jamais mis en place par l’administration britannique locale qui refuse de se placer Anglais et Irlandais sur le même pied d’égalité. Se sentant floué, le Sinn Féin cherche à prendre contact avec tout gouvernement qui soutiendrait une rébellion. Griffith envoie d’abord des émissaires à Munich où ils vont rencontrer le prince Ruprecht von Wittelsbach. Nous sommes à l’aube de la Première Guerre mondiale et le prince héritier de Bavière est aussi le légitime prétendant jacobite au trône catholique d’Angleterre. Cette première tentative n’a pas de suite mais elle retient l’attention de l’Empereur Guillaume II qui cherche également le moyen de déstabiliser le Royaume-Uni alors que les premiers coups de canons s’apprêtent à retentir en Europe. Jamais à court d’idées, l’état-major prussien imagine la création d’une « brigade irlandaise », le propose aux rebelles qui accepte. Elle  ne verra jamais le jour. Tout au plus Berlin enverra seulement quelques armes aux cercles nationalistes irlandais.

La rebellion de Pâques

L’idée monarchique n’est pas abandonnée pour autant et va se construire en plusieurs étapes. Si le prince héritier de Bavière ne veut pas d’un trône irlandais, un autre prince fera tout aussi bien l’affaire, du moment qu’il soit allemand. Le Kaiser est une nouvelle fois approché. En 1913, le baron Edward Carson, avocat du romancier Oscar Wilde, député et futur fondateur des Volontaires d’Ulster,  rencontre à son tour Guillaume II à Berlin. Après avoir négocié de nouvelles caisses d’armes débarquées sur les plages irlandaises dans la brume du matin, il obtient enfin  de l’état-major prussien une aide financière substantielle. Reste à trouver le roi et provoquer le soulèvement général.  Le 24 avril 1916, 1200 membres des Volontaires irlandais, ceux de la Fraternité républicaine irlandaise et du Sinn Féin se soulèvent. C’est la fête de Pâques ! Dublin se couvre de barricades, le gouvernement envoie plus de 20000 soldats anglais réprimer cette insurrection. Les rebelles impriment de milliers de manifestes qui affirment garantir le suffrage universel, l’égalité des droits de tous les citoyens, et la liberté religieuse et civile mais évite soigneusement de parler de monarchie. Le drapeau tricolore orange blanc vert est déployé, on aborde les badauds afin de les convaincre de rejoindre le soulèvement mais les insurgés se heurtent à une certaine opposition inattendue.

Joachim de Prusse et la partition de l'Irlande

La solution Hohenzollern

Dans les coulisses, des envoyés de l’Empereur d’Allemagne annoncent aux leaders indépendantistes comme Michael Collins ou Eoin O’Duffy (future figure du fascisme irlandais) que le Kaiser leur propose comme souverain, un de ses fils, le prince Joachim de Prusse (1890-1923), accessoirement arrière-petit-fils de la Reine Victoria. L’idée fait son chemin, un Hohenzollern pourrait devenir roi d’une Irlande indépendante. Dans l’enthousiasme général, on appelle même l’Empereur à prendre la tête des Carson Volunteers et mettre à l’eau les anglais depuis Belfast.  La confusion règne cependant parmi les rebelles quant au futur régime à adopter. « We serve neither King or Kaiser » (Nous ne servons pas plus le roi que l’empereur) est aussi un des slogans affichés par les insurgés. On est loin de ces affiches provocatrices en 1914 qui proclamaient « Welcome to the Kaiser » (Bienvenue au Kaiser) ou encore « We prefer German Rule to a Home Rule Governement » (On préfère un régime allemand  au Home Rule). Un certain amateurisme règne même parmi les insurgés qui ne prennent pas la peine de s’emparer du château de Dublin, pourtant sans défenses. L’artillerie anglaise mettra fin à cette insurrection dans le sang (300 morts, 200 blessés). Les mois suivant, affaiblis, les principaux leaders indépendantistes décident d’abandonner l’option monarchique. Le prince Joachim ne verra jamais son royaume. Et la piteuse tentative de débarquement, le fameux « complot allemand » de mai 1918, n’aura pas de suites concrètes.

La monarchie est morte, vive la République ! 

République ou monarchie, preuve que la question agitera encore les milieux nationalistes, ce n’est finalement qu’en 1921 que le titre de « Président de la République » apparaitra officiellement sur les documents des indépendantistes. Il est vrai qu’une partie de l’Europe avait perdu ses monarchies à la fin du conflit mondial. Le système républicain était alors à la mode et représentait encore une autre forme d’opposition à la royauté britannique.  En France, la nouvelle de cette insurrection a été différemment appréciée et commentée par la presse. En Bretagne, pourtant proche de l’Irlande par la culture, on parle de « violentes émeutes » avant de prendre la mesure rapidement de la « révolution » en cours. Pas un mot sur les tractations entre le Sinn Fein et le Kaiser, la presse l’ignore dans tous les sens du terme, voir condamne même le soulèvement comme « L’Ouest-Eclair » (futur Ouest-France) qui écrira alors : « Le Sinn-Féin n’est pas l’Irlande. […] Ne confondons pas en France nos amis les Irlandais avec les Sinn-Féiners qui ont accepté les rôles odieux que leur avait distribués l’Allemagne. […] L’Irlande reste et restera inébranlablement fidèle »

Les élections de décembre 1918 sont remportées par le Sinn Féin qui s’empresse de constituer un parlement (Dáil Éireann) et de proclamer l’indépendance. Aussitôt les anglais annoncent sa dissolution ; c’est de nouveau la « Cogadh na Saoirse » (guerre d’indépendance). L’armée républicaine irlandaise (IRA) fait alors son apparition sur la scène politico-militaire irlandaise. Elle ne la quittera plus. Au terme de 3 ans de guerre et de négociations, le traité de Londres confirmera finalement l’indépendance de l’Irlande, amputée de sa partie nord qui restera sous domination britannique (1922). Ce n’est qu’une décennie plus tard que la République d’Irlande (Eire) abandonnera définitivement la prestation de serment obligatoire faîtes aux souverains britanniques. L’idée monarchique a définitivement vécue et attend toujours de renaître.

Copyright@Frederic de Natal

 

Date de dernière mise à jour : 17/03/2024

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