Une polémique royale

«Le jour où nous nous devons pardonner, bien sûr, je pardonne pour cette ignorance et cette myopie de certains, mais je n'oublierai pas l'insulte à la mémoire de mon père »

Simeon II de Bulgarie, 2019

 

50 3«Avec douleur et chagrin, je constate une fois de plus que même dans les cercles du pouvoir et dans une partie de la société, il existe des personnes au cerveau étriqué. Si on prend fait et cause que dans les années 1935-1943, la Bulgarie était dirigée par le roi Boris III, nos Juifs auraient- ils été  sauvés sans la volonté expresse du roi ? » s’est irrité lors d’une communiqué,  le roi Siméon II.

 

Oublié des commémorations annuelles organisées le 10 mars dernier, en hommage aux juifs bulgares sauvés des camps d’extermination, le roi Siméon II a manifesté son agacement à travers une déclaration publiée sur son site officiel. « Durant ces années, seul, en tant que chef d'État, il a osé affronter Hitler afin de protéger nos compatriotes ayant des origines juives. Son courage alors, même au risque de sa vie, est reconnu et honoré dans le monde » a renchérit le souverain exilé par les communistes en 1946 et visiblement hors de lui.

 

La question de l’implication du sauvetage des juifs par le roi Boris III est l’objet de vaste polémiques récurrentes en Bulgarie mais que balaye son fils en affirmant que de nombreux documents attestent de l’action du roi Boris III en faveur de la communauté juive bulgare. Devenue quasi-dépendante de l’Allemagne nazie, Boris III craint alors de voir son pays tomber complètement entre les mains du chancelier Hitler qui entend faire de ce pays des Balkans, un garde-manger permanent. Manipulé par les allemands qui lui promettent de restituer les territoires perdus lors des guerres balkaniques, Boris III doit confier le gouvernement à un pro-allemand, Bodgan Filov. « Mes généraux sont germanophiles, mes diplomates anglophiles ; la reine est italophile et mon peuple russophile. Je suis seul neutre en Bulgarie » déclare le roi, spectateur de son échec et mis sous pression, à la fois par les nazis et les soviétiques. Contraint de rejoindre le pacte tripartite en mars 1941, Hitler remercie le roi en lui octroyant l’administration des provinces grecques récemment conquises. Rapidement le gouvernement fait voter une « loi sur la sauvegarde de la nation » qui vise clairement l’épuration du pays de ses étrangers, les juifs étant les premiers visés. Le vote de la loi est mal perçu en Bulgarie où l’antisémitisme est très peu développé. Port de l’étoile jaune, déportation des juifs, les nazis exigent que la Bulgarie obtempère et envoient le Hauptsturmführer  Schutzstaffel (capitaine SS) Theodor Dannecker (1913-1945) régler cette « question ». En vain.


La population résiste avec à sa tête, le métropolite Stéphane Ier de Sofia. L’Exarque mène une véritable campagne de sauvegarde des juifs bulgares et demandent aux popes de ne pas refuser le baptême à ceux-ci, si ils viennent se réfugier dans les églises orthodoxes. En mai 1943, plus de 10 000 personnes se rassemblent devant le palais royal du Tsar Boris III qui est ovationné lorsqu’il décide de ne pas donner suite aux exigences des nazis.  C’est 50000 juifs bulgares qui échapperont aux camps de concentration, par la seule volonté royale. Hitler est furieux et demande des explications au roi qui répond qu’il a « le grand besoin de « ses » juifs pour l’entretien des rues », n’ayant pas oublié que ceux-ci avait fourni un nombre d’officier durant les deux guerres balkaniques à son pays. Convoqué le 14 août  dans le quartier général sur le front Est du führer, Hitler et le roi ont une entrevue houleuse dont ce dernier ne reviendra pas vivant.

51 4Dans l’avion qui le ramène vers sa capitale, le roi est subitement pris par de violentes douleurs abdominales. Il a 49 ans, il ne reverra pas sa famille.  Diverses théories sont nées de cette mort opportune pour les allemands comme celle, la plus répandue, d’un assassinat orchestré par le chancelier allemand. « Il est logique que la disparition d’un chef d’État de 49 ans et en bonne santé, à une époque aussi critique, ait de quoi donner à penser. Rien ne dit néanmoins que la version officielle ne soit pas exacte». Une thèse que réfute donc Siméon II.

Certains historiens (notamment durant la période communiste), néanmoins, tentent de minimiser le rôle déterminant et joué par le roi Boris III dans l’affaire du sauvetage des juifs. En effet, plus de 11000 juifs ont été déportés vers les camps de concentrations nazis depuis la Thrace et la Macédoine, alors sous juridiction bulgare. Des déportations que ne pouvaient ignorer le souverain. « Un fait passé longtemps sous silence par la propagande officielle » rappelait dans une de ses éditions datées de 2013, le journal « Le Temps » et qui faisait également remarquer que la «question est aussi très politique aujourd’hui: le rejet du communisme et le désir de renouer avec une monarchie longuement diabolisée par l’ancien régime participent certainement à cet hommage appuyé (…) » en faveur de Boris III.

« La Bulgarie fut ainsi le seul pays sous influence ou contrôle allemand où la population juive s’accroît durant la guerre : elle passa de 48 565 âmes en 1939 à 49 172 en 1945 » peut-on lire dans la Revue Hérodote qui consacre un article sur le sujet en 2002 et qui  semble donner raison à Siméon II. « Le jour où nous nous devons pardonner, bien sûr, je pardonne pour cette ignorance et cette myopie de certains, mais je n'oublierai pas l'insulte à la mémoire de mon père » a déclaré le roi Siméon II, très en colère et dont les propos ont été rapportés dans tous les médias locaux.

En 2001, le mémorial Yad Vashem a décerné au métropolite Stéphane Ier le titre de « juste parmi les nations ».

Copright@Frederic de Natal

Paru le 17/03/2019

Ajouter un commentaire