Tensions avec l'Espagne royale

Felipe vi au mexique«Gobierno español rechaza que Felipe VI se disculpe por Conquista ! ». Depuis 72 heures, les relations entre le royaume d’Espagne et la république du Mexique se sont considérablement tendues. Dans une lettre adressée au souverain Bourbon le 1er mars et rendue publique, le président Andres Manuel Lopez Obrador  a exigé du roi Felipe (Philippe) VI qu’il présente des excuses officielles pour les massacres perpétrés par les conquistadors contre les indiens durant les 500 ans de colonisation du pays. Un affront que n’a pas accepté le gouvernement du roi.

« J'ai envoyé une lettre au roi d'Espagne et une autre au Pape pour que le récit des abus soit fait et qu'une excuse officielle soit présentée aux peuples indigènes (du Mexique) pour les violations subies sur ce que l’on nomme aujourd'hui les droits de l'homme ». C’est dans une vidéo, publiée sur son compte officiel, que le président populiste de la gauche mexicaine a exigé du roi Felipe VI qu’il demande pardon pour tous les crimes orchestrés par les espagnols depuis l’arrivée sur le continent sud-américain d’Hernan Cortès, le tombeur de l’empire aztèque du Tlatoani Moctezuma II Xocoyotin, en 1521.  « Une conquête qui s’est faîte avec la croix et l’épée » a affirmé dans son discours le démagogue Andres Manuel Lopez Obrador, aussi connu pour son engagement en faveur des communautés indiennes du Mexique. C’est d’ailleurs très symboliquement que le président de cette ancienne vice-royauté de la Nouvelle Espagne (1525-1821) a choisi le site maya Comalcalco, situé au sud-est du Mexique, pour illustrer en arrière fond ses demandes qui ont été aussitôt rejetées par le gouvernement du roi, indigné par une telle réclamation.Drapeau du mexique

Sabres au clair, le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez, que les sondages donnent gagnant aux prochaines élections générales et d’une courte tête, a fait front commun autour du roi. On ne saurait badiner avec l’histoire de la Grande Espagne, encore moins l’analyser avec les seuls yeux de ce siècle. « L'arrivée, il y a 500 ans, des espagnols sur le territoire mexicain actuel ne peut pas être jugée à l'aune de considérations contemporaines » a rappelé à leurs anciens sujets, dans une réponse renvoyée au président mexicain et visée par le roi, le gouvernement de « sa majesté très catholique ». « Nos peuples frères ont toujours su lire le passé sans colère et dans une perspective constructive, comme des peuples libres avec un héritage commun et une influence extraordinaire» peut-on encore lire dans la lettre du gouvernement royal. C’est en septembre 1810 que les créoles, fruit des amours entre espagnols et indiens de souche (on estime à 98% les mexicains issus de ce métissage culturel), ont décidé de prendre leur destin en main au cours d’une violente guerre civile, d’où émergeront des leaders tels que (le futur empereur) Agustin de Iturbide ou le général Antonio Lopez de Santa Anna, devenu célèbre par sa prise de Fort Alamo et qui s’achèvera en 1821 avec la signature du traité de Córdoba.

« ll sera toujours temps de dire que nous allons nous réconcilier, mais demandons d'abord pardon » (Hay que pedir perdón por los agravios y ya después reconciliarnos). Loin de se démonter,  Andres Manuel Lopez Obrador persiste et signe, accusant les espagnols d’avoir sciemment détruit des trésors de l’architecture maya et aztèque pour y construire des églises. Tout en faisant son mea culpa des meurtres organisés par l’état mexicain contre les indiens tout au long de son histoire républicaine. « Des milliers de personnes ont été assassinées durant cette période. Une culture, une civilisation s’est imposée à une autre (…) Il y a encore des blessures ouvertes. Il serait mieux de reconnaître que des abus et erreurs ont été commis » a surenchéri une nouvelle fois le président mexicain lors du 500ème anniversaire de la première bataille livrée par Cortès contre les indiens. Madrid s’est dit outrée par cette énième remarque alors que les deux pays ont prévu de commémorer ensemble le bicentenaire de l’indépendance du Mexique et la fondation de son premier éphémère empire post colonial. Pedro sanchez et le president obrador

En dépit de ce conflit diplomatique inattendu, qui a eu l’effet de provoquer une levée unanime de boucliers dans les médias (ainsi le monarchiste journal ABC a accusé le président mexicain de « falsifier » l’histoire)  afin de protéger l’institution monarchique face à cet anachronisme, le gouvernement espagnol a tenté  toutefois d’apaiser ce différent en affirmant qu’il entendait « continuer à mettre en place le cadre approprié pour intensifier les relations d'amitié et de coopération existantes » entre les deux pays. Et du côté du Saint-Siège, l’état pontifical a réagi tout aussi rapidement en rappelant que lors de sa visite dans le (rebelle) état du Chiapas en 2016, le Pape François «avait appelé  chacun à apprendre à dire pardon et à faire un examen de conscience, insistant sur l’exclusion des peuples indigènes dans l’histoire », comme l’indique l’édition francophone de « Vatican News ». D’ailleurs bien avant lui, Jean-Paul II (en 1992) comme Benoit XVI (en 2007) avait reconnu les « souffrances, les injustices et les ombres » de la colonisation en Amérique du Sud.

De son vivant, le poète Octavio Paz (1914-1998), pourtant connu pour son adhésion au marxisme, avait pourtant  lui-même reconnu « que la religion catholique comme de la monarchie espagnole avait beaucoup plus contribué à l'intégration des Indiens que la politique libérale sur laquelle a longtemps reposé les gouvernements issus de l’indépendance». Une leçon oubliée du président Obrador. Les partis politiques du royaume se sont à leur tour indignés des paroles de ce « rebelle ». «C'est un véritable affront fait à l'Espagne et à son histoire», a dit le président du Parti Populaire (PP, conservateur), Pablo Casado tout comme le leader de Ciudadanos qui a surenchéri en évoquant une «véritable offense intolérable au peuple espagnol ». Seul Podemos s’est déclaré solidaire des demandes du Mexique.

Felipe VI a effectué plusieurs visites officielles au Mexique (2014, 2015 et 2017) où il a plaidé pour un « renforcement des liens entre l'Espagne et les pays ibéro-américains, convaincu que l'Amérique latine sera un des moteurs de la relance économique mondiale » comme nous l’expliquait dans un de ses reportages RTL.

Symbole de cette histoire tumultueuse d’une empire « sur lequel le soleil ne se couchait jamais », le duc de Moctezuma de Tultengo Juan José II Marcillade Teruel-Moctezuma y Valcarel, membre de l’aristocratie espagnole et actuel héritier au trône impérial (non revendiqué) aztèque, n’a pas souhaité commenté cette affaire.

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Publié le 27/03/2019

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