La France s'attire la colère des descendants des derniers Beys

Moncef BeyL’affaire fait grand bruit et a sorti la maison Husseinite de Tunisie de sa torpeur. La mise aux enchères d'objets datant de l'ère beylicale par Drouot, notamment un coran ayant appartenu à Moncef Bey, un souverain qui a marqué cet ancien protectorat français par son esprit de résistance au régime de Vichy, a soudainement cristallisé les passions. Les descendants des derniers Beys sont montés au créneau contraignant le gouvernement du premier ministre social-démocrate Elyes Fakhfakh à ouvrir une enquête officielle.

«C’est l’histoire d’une nation qu’on est en train de détruire, pour le malin plaisir de détruire». La princesse Nour El Houda Bey, arrière-petite-fille de Moncef Bey, s’est récemment exprimée dans la presse après que la Tunisie ait découverte la mise en vente d’une centaine d’objets ayant appartenu à la maison royale des Husseinites par Drouot, une «institution française» qui a pignon sur rue dans ce type d’enchères. Ils «n'appartiennent à aucun musée de l'Etat» et il s'agit de «propriétés privées» appartenant aux descendants d'un dignitaire beylical a renchéri Aouzi Mahfoudh, le directeur de l'Institut national du patrimoine, interrogé par l’AFP. Parmi lesquels un coran ayant appartenu à Moncef Bey, une figure marquante de l’histoire tunisienne, offert par cheikh Ahmed Ouertani durant la seconde guerre mondiale.

Moncef Bey est l’un des rares souverains de Tunisie à n’avoir pas subi l’ire des bourguibistes lors de la chute de la monarchie, il y a soixante-trois ans. Monté en juin 1942 sur le trône d’un royaume occupé par les français depuis le XIXème siècle, pour de nombreux tunisiens, il incarne toujours l’esprit de résistance de tout un peuple au régime de Vichy. Le Bey a grandi dans ue Tunisie en proie à l’agitation nationaliste que la maison royale soutient aléatoirement. A peine couronné, il s’empresse d’envoyer ses doléances aux autorités coloniales. Le 2 août 1942, Vichy a la surprise de recevoir une série de revendications telles qu’une demande de traitement égal entre fonctionnaires français et tunisiens, une réforme de l’enseignement des deux langues ,  la mise  en place de salaires identiques entre les deux peuples, de la justice et enfin l’abrogation du décret anti-juif mise en place par le régime de collaboration (il va d’ailleurs refuser de signer la loi du port de l’étoile jaune, sauvant ainsi des milliers de juifs de la déportation). Ce dernier point va considérablement crisper le gouvernement. Les relations entre le Bey et le Résident-général, l’Amiral Jean Pierre Esteva (1880- 1951), ne vont pas tarder à se détériorer. Le souverain exige même le départ du Haut-fonctionnaire, en vain. L’Afrique du Nord est devenue un enjeu de taille pour les Alliés qui vont bientôt y débarquer, la plaque tournante de tous les complots et des forces de l’Axe qui tentent de convaincre le souverain de rejoindre le nouvel ordre mondial en échange d’une pleine indépendance et l’abrogation du traité du Bardo.  Si Berlin et Rome échouent dans leurs plans à retourner le Bey contre les français (et qui correspond secrétement avec le président américain Roosevelt), le choix du Résident–général sera moins équivoque puisqu’il va livrer des bases navales aux allemands qui ont fait atterrir des appareils de la Luftwaffe. Un  royaume désormais le théâtre de combats entre l’Afrika Korps et les Alliés.

Extrait du programme de vente de la Collection d’un dignitaire tunisien de la vente baptisée Cour du beylicaleLa nomination d’un nouveau Résident-général, après la défaite de l’Axe et la fuite d’Esteva, ne change en rien la situation qui prévaut en Tunisie. Pis, le pouvoir colonial exige l’abdication du Bey, accusant le souverain de collaboration avec l’ennemi. «J'ai juré de défendre mon peuple jusqu'à mon dernier souffle. Je ne partirai que si mon peuple me le demande» déclare le jeudi 13 mai 1943, Moncef Bey à la représentation française libre venue à sa rencontre. Le Bey ignore alors qu’il vient de signer son propre ordre d’arrestation. Le lendemain aux premières heures du matin, le Bey est enlevé par les Forces Françaises Libres (FFL), jeté à bord d’un Viking de l’armée de l’air. Durant le vol, un officier lui annonce que le Général Giraud, le nouvel homme fort d’Alger, a décidé qu’il serait déposé. L’avion atterrit dans le Sahara algérien et le souverain est assigné à résidence. C’est ici qu’il accepte de parapher son acte d’abdication, le 8 juillet suivant.  Dans ses mémoires, le maréchal Alphonse Juin reconnaîtra que les motifs de destitution du souverain étaient fallacieux et que sa complaisance coupable avec le Néo-Destour, le parti nationaliste de Habib Bourguiba, qu’il avait associé à son pouvoir était certainement la vraie raison de son limogeage.

Fatigué par cet exil forcé, le souverain déchu est transféré sur une petite ville côtière d’Algérie avant d’être envoyé à Pau, en France. Le Bey qui avait aboli le cérémonial du baise- main meurt le 1er Septembre 1948, loin de son pays qui ne la jamais oublié. La monarchie beylicale n’a plus que quelques années à vivre avant. En 1957, alors qu’il est premier ministre, Habib Bourguiba s’emparera du pouvoir et proclamera la république.

Princesse nour el houda bey«Qu’aujourd’hui certains de ses biens soient mis à la vente aux enchères ne devrait pas être anecdotique, certes. Je m’étonne d’ailleurs de voir que certains en soient outrés. Si, toujours à titre personnel, je n’en suis pas du tout étonnée, je n’en suis pas moins dépitée (…) » déclare la princesse Nour El Houda Bey à Tuniscope, qui ne décolère pas et qui exprime par défaut la position d'une maison beylicale qui sort rarement de sa réserve. «Tenues d'apparat du début du XXe, manuscrits religieux et de poésie, correspondances officielles, des bijoux beylicaux ou encore des blasons aux armes de la maison Husseinite», comment autant d’objets ont-ils pu être sortis du pays en plein confinement a exigé de savoir l’ambassade de Tunisie à l’UNESCO. Le gouvernement tunisien a demandé à Drouot de stopper cette vente, baptisée «Collection d’un dignitaire tunisien de la Cour du beylicale», initialement prévue le 11-12 juin prochain. C’est «252 ans de monarchie que l’on tente de détruire» s’irrite la princesse qui blâme aussi le pouvoir en place qui n’a toujours pas créé d’institutions muséale afin protéger des biens nationaux dont leurs prédécesseurs faisaient déjà  peu de cas.

En effet, si l’histoire beylicale connaît un regain d’intérêt depuis le «Printemps arabe», durant des décennies, la république s’est employée à détruire toute trace de son passé prestigieux, enseignant à des générations de jeunes tunisiens que les «Beys de Tunis avaient vendu le pays aux étrangers». «On m’a souvent demandé si mes grands-parents avaient des palais ou des bijoux royaux, de l’argenterie et j’en passe… Et on m’a souvent prise de haut car je n’avais pas honte d’assumer un nom probablement difficile à porter pour de longues raisons. Alors oui, j’en suis fière. Moncef Bey n’est pas epsilon dans l’histoire » martèle la jeune femme de 25 ans. Une princesse royale qui  réclame que le gouvernement tunisien ramène chez lui les symboles d’une monarchie progressiste qui a fait les grandes heures de l'Afrique. 

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Date de dernière mise à jour : 04/06/2020

Commentaires

  • Moine Eric
    • 1. Moine Eric Le 05/06/2020
    undefinedIl
    n'est pas normal que l'ont vende des objets privés d'une Maison Royale qui a fait les grandes heures de la Tunisie la Princesse Nour El Houda Bey s'indigne ! ....

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