Fouad II, le dernier Pharaon

1952, le royaume égypto-soudanais est au bord de la révolution. La seconde guerre mondiale a épuisé l’économie du pays encore aux mains des britanniques. Le parti Wafd (Délégation) est omniprésent dans la vie politique de l’Egypte confrontée à diverses tentatives de déstabilisation orchestrées par l’organisation des Frères musulmans. Jadis fringant et élégant, le roi Farouk monté sur le trône en 1936, à l’âge de 16 ans, a perdu de sa superbe. On l’accuse de débauche et des affaires de corruption entachent la monarchie. La création d’Israël en 1948 a provoqué de vives tensions dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Une guerre éclate contre l’état hébreu ; l’Egypte sera le premier pays à devoir signer un armistice vécu comme une humiliation nationale. Le destin de la dynastie de Mehemet Ali venait désormais d'être scellé.

La reine Narrimane, le roi Fouad II et le roi Farouk IDans la nuit du 22 au 23 juillet 1952, des militaires dirigés le major-général Néguib et le lieutenant-colonel Gamal Abdel Nasser s’emparent du pouvoir. Les manifestations anti-occidentales se sont multipliées, le roi a renvoyé son gouvernement. L’anarchie menace de s’étendre sur tout le long du Nil. Le Royaume-Uni a décidé de ne pas intervenir, abandonnant ce bedonnant souverain, proche de l’obésité, qui doit s’embarquer 3 jours plus tard sur le Yacht «El-Mahroussa». C’est un enfant qui monte alors sur le trône. Fouad II n’a que quelques mois lorsqu’on lui pose une couronne virtuelle sur ses couches. Sa mère, Narriman, dotée d’une beauté toute orientale et surnommée, la « cendrillon du Nil », a épousé en seconde noce le roi (mai 1951) alors qu’elle était dans la fin de son adolescence.

La famille royale prend le chemin d’un exil sans retour.

Une régence est installée mais sans la réalité du pouvoir. Les militaires n’allaient pas tarder à s’en débarrasser et le 18 juin 1953, premier ministre, Néguib signe le décret de proclamation de la république. En Italie, le couple se déchire. Fatiguée par cette vie trop ennuyante de mondanités, Narriman quitte le roi un an plus tard, laissant son fils derrière elle. Casinos de Monte-Carlo ou hôtels à Capri, Farouk profitait de ses richesses personnelles. Son appétit pour la bonne chair devait lui être fatal un jour de 1965. On parla d’empoisonnement, on évoqua un meurtre... Le mystère de sa mort n’a d'ailleurs toujours pas été résolu.

Fouad II grandit seul. Farouk regardait son héritier avec la tristesse d’un roi dépossédé. Les événements successifs, qui allaient bientôt hisser Nasser au rang de héros du panarabisme avec la nationalisation du Canal de Suez (1956), n’offraient que peu de perspectives de retour de la monarchie au jeune prince. En Suisse, il vivait sous la constante surveillance d’un garde du corps albanais. L’Albanie, l’origine de la maison royale qui avait gagné ses galons de Pacha d’Egypte en 1805, à l’ombre des pyramides séculaires.

La mort de son père le rend orphelin. Les écoles privées, chics, se succèdent. Il est élevé strictement, parmi les souvenirs de sa famille et des grands noms de la maison royale à qui l’Angleterre avait brutalement imposé un protectorat en 1882. Il choisit le domaine de l’économie qu’il étudiera d’abord à Genève puis Paris avant d’intégrer une banque de renom. Le roi d’Arabie Saoudite, veillant sur lui, négocia en toute discrétion le retour de la dépouille du roi Farouk dans son pays. Nasser se plia de mauvaise grâce à cette demande et fit inhumer le monarque en pleine nuit et secrètement. En dépit de la tradition sunnite. Une humiliation de plus que le prince vécut dans la résignation.

Armoiries du royaume égyptienDevenu président en 1970 à la mort de Nasser, le général Anouar Al Sadate cherche un nom pour galvaniser le patriotisme égyptien alors qu’une nouvelle guerre contre Israël va bientôt éclater. Fouad II est autorisé à revenir pour la première fois en Egypte contre la promesse de ne pas se mêler de politique. On déterre même Farouk pour le replacer dans le caveau de la dynastie. C’est donc un citoyen anonyme qui va se promener dans son ancien royaume. Bien peu d’égyptiens le connaissent, bien peu de personnes le salueront. Fouad II est une image du passé, une touriste qui reviendra encore 3 fois de suite dans son pays dans les années 1980.

La chute du mur de Berlin coïncide avec le début de la perte de popularité du président Hosni Moubarak. Cet officiel militaire a succédé à Sadate, assassiné en 1981 par des Frères musulmans, en plein défilé militaire. Le Caire se couvre de manifestations, on ose crier le nom de Fouad II mais bien trop timidement pour que l’on songe à le porter sur un trône. En juin 1991, sa visite sera médiatisée. Son passeport est de nouveau égyptien, il porte son nom mais sans ses prédicats. Tout un symbole dans une Egypte qui redécouvre son histoire.

Fouad II n’est pas un politicien pas plus qu’il n’a de parti officiel qui le soutient. Si un mouvement royaliste a refait surface à l’aube des années 2000, si on agite parfois dans les rues de la capitale le drapeau de l’ancienne monarchie, il n’y a jamais eu réellement de mouvement populaire spontané en sa faveur. Un documentaire en 2007 sur la vie de la famille royale sera néanmoins produit sur les ondes de la télévision nationale. Le roi est interviewé. C’est un succès inattendu pour ce souverain qui commence à accorder les entretiens et à qui on donne du « votre majesté ! » sur les plateaux de télévision. « L’Egypte est dans un tel désarroi ! Le roi pourrait être un arbitre au-dessus des partis » déclare-t-il.

On pense lui octroyer une poste d’attaché culturel dans le nouveau gouvernement. Les négociations n’aboutiront pas et le pays finit par sombrer dans la révolution. L’espoir a laissé place à la lassitude. Le roi déclare en février 2011 : "il y'a des gens qui veulent toujours revenir en arrière mais nous vivons aujourd'hui dans un monde totalement différent". Il ne croit plus en ses chances de restauration de la monarchie, condamne par des communiqués les attentats qui frappent régulièrement la communauté religieuse copte (lors d’un entretien à Nouvelles de France, il dira : « tous les Egyptiens sont frères et je trouve tout à fait injuste de s’attaquer aux Coptes [chrétiens d’Orient-ndlr], à eux-mêmes ou à leurs lieux de culte. J’espère que cela va cesser et que l’Etat va garantir la liberté de religion, la liberté de pensée et la possibilité pour chacun de vivre en paix dans son propre pays ») et dénoncera le coup d’état institutionnel des Frères musulmans qu’un nouveau putsch dirigé par le maréchal Al Sisi finira par chasser en 2013, 3 ans après leur accession au pouvoir par les urnes.

Démocrate, le roi Fouad II l’est assurément. L’extrémisme religieux, il le rejette fermement et rappelle à ses interlocuteurs, que sous la monarchie les « femmes étaient libres de s'habiller comme bon leur semblait ». Rejetant toute notion de nationalisme et malgré quelques manifestations organisées en sa faveur, Fouad II finira par rallier le régime en place : « De nombreuses personnes m'ont demandé pourquoi je n'avais pas créé un parti monarchiste. Ce qui est absurde. Ce n'est pas ma conception de la monarchie. Par définition, un roi doit être au-dessus des partis. Il doit être le père de tous ses sujets, quels qu'ils soient. Je me suis tu aussi parce que je ne voulais pas que l'on m'accuse de profiter de la situation et d'ajouter au désordre régnant » explique-t-il tant bien que mal pour se justifier à ceux qui lui demandaient pourquoi il n’avait pas tenté d’inverser le sens de l’histoire.

Le roi Fouad IILe gouvernement du maréchal Al Sisi lui en saura gré. Bien qu’invité à assister à l’ouverture du second canal de Suez, Fouad II préférera décliner l’offre d’être à la première place qui lui revenait de droit (2015).

Aujourd’hui, Fouad II vit entre la Suisse et la France publiant parfois des nouvelles de la maison royale sur sa page Facebook (suivie par plus de 50000 personnes), tentant de réhabiliter la mémoire de son père ou préparant son fils, Mohammed Ali (II) à tenir son futur rôle. Un prince du Saïd, né en 1979, qui a épousé lors d’une cérémonie hautement médiatisée, une princesse de la maison royale d’Afghanistan. Le bonheur d’un mariage, Fouad II l’a connu lui-même. En avril 1976, sous les yeux de Rainier III et Grace de Monaco, il avait convolé avec Dominique –France Picard (devenue Fadila) non sans avoir irrité les autres maisons arabes. La mariée était française et d’origine juive. Le scandale sera tout aussi retentissant que leur divorce en 1996. Fouad II devra se battre devant les tribunaux pour voir ses 3 enfants

A 65 ans, il avoue, avec un sourire tout débonnaire, qu’il apprécie désormais de déambuler dans les rues du Caire en toute simplicité : «On m’appelle Fouad, c’est donc bien que quelques part on me reconnait comme un monarque. C’est toutefois très lourd comme héritage, même si je suis roi sans être roi, c’est un fardeau ». Aujourd’hui, il s’est mué en grand-père heureux de deux petits-enfants, le prince Fouad (III)-Zaher et sa soeur jumelle, la princesse Farah-Noor.

Le sable chaud du désert libyque a recouvert depuis le blason d’une famille qui jadis avait su transformer l’Egypte des mamelouks en une puissance régionale capable de rivaliser avec la Turquie ottomane. En Egypte, il y’a encore un roi. Un pharaon dont le nom… orne désespérément les papyrus jaunis de l’histoire contemporaine. La monarchie ne reviendra pas !

Copyright@Frederic De Natal

Publié le 25/10/2017

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